Vingt organisations interpellent la France sur les essais nucléaires en Algérie


Soixante-cinq ans après le premier tir atomique au Sahara, une coalition internationale exige que Paris assume pleinement ses responsabilités face aux conséquences sanitaires, environnementales et mémorielles des 17 essais nucléaires menés en Algérie entre 1960 et 1966.
Le 29 août 2025, à l’occasion de la Journée internationale contre les essais nucléaires, vingt organisations internationales ont lancé un appel solennel à la France. Coordonnée notamment par la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), cette tribune réclame quatre mesures concrètes : la reconnaissance officielle des crimes commis, la publication intégrale des archives, la dépollution des sites et la ratification par Paris du Traité d’interdiction des armes nucléaires.
Cette initiative survient après une communication restée lettre morte des rapporteurs spéciaux de l’ONU en septembre 2024. Elle traduit une pression croissante de la société civile mondiale pour que la France affronte enfin un passé longtemps occulté. Depuis 2010, seules deux victimes algériennes ont été indemnisées, contre plus de 400 Polynésiens. Une disparité jugée insoutenable par les signataires, qui dénoncent un traitement discriminatoire et une injustice mémorielle flagrante.
L’héritage toxique des explosions du Sahara
Entre 1960 et 1966, la France a procédé à 17 essais nucléaires dans le désert algérien. Les quatre tirs atmosphériques de la série « GerboiseGerboise » à Reggane ont marqué l’entrée de la France dans le club nucléaire. Le plus puissant, Gerboise Bleue (70 kilotonnes), a irradié de vastes zones habitées. Treize autres essais souterrains ont suivi dans le Hoggar, dont le tristement célèbre accident de Béryl, le 1er mai 1962, qui a libéré un nuage radioactif atteignant le Niger. Neuf militaires français furent gravement contaminés, parmi eux de hauts responsables politiques.
Au-delà de ces cas médiatisés, les conséquences pour les populations sahariennes sont considérables. Des dizaines de milliers d’Algériens ont développé cancers, malformations congénitales, maladies respiratoires ou problèmes de fertilité. Les Touaregs du Hoggar parlent encore de « l’année de l’ophtalmie » et de « l’année corrosive », évoquant des infections oculaires et des pluies acides. Même les générations suivantes continuent de souffrir de pathologies liées à cette exposition massive.
Une dette sanitaire et diplomatique qui empoisonne les relations
Soixante-cinq ans après Gerboise Bleue, la question reste une plaie ouverte dans la mémoire algérienne. Les accords d’Évian avaient autorisé secrètement la France à poursuivre ses essais pendant cinq ans après l’indépendance, avant de laisser derrière elle des sites contaminés volontairement obturés ou enfouis sous le sable. Aujourd’hui encore, l’Algérie réclame la reconnaissance de crimes imprescriptibles, la dépollution des sites et l’indemnisation équitable des victimes.
La loi Morin, censée permettre cette réparation, se révèle inadaptée. Ses critères restrictifs et la clause du « risque négligeable » bloquent la grande majorité des demandes. En comparaison, les États-Unis ont déjà indemnisé près de 42 000 personnes pour leurs propres essais et le Royaume-Uni a financé la dépollution de ses sites en Australie dès les années 1990. La France, elle, persiste à minimiser l’impact de ses explosions sahariennes et refuse toujours d’ouvrir pleinement ses archives.
Cette position entretient une impasse diplomatique durable entre Alger et Paris, dans un contexte où les tensions mémorielles sont déjà fortes. Pour les organisations signataires, s’agit d’une exigence universelle de justice et de responsabilité. Elles rappellent qu’aucune réconciliation authentique ne sera possible tant que la France n’aura pas fait face à ce chapitre sombre de son histoire nucléaire.