Viande rouge hors de prix : les dessous d’une hausse mondiale

Viande rouge
Viande rouge

Partout dans le monde, la viande rouge devient un produit de plus en plus difficile à se procurer à un prix raisonnable. De l’Europe au Maghreb, cette hausse brutale résulte d’un ensemble de facteurs interdépendants : crises climatiques, inflation, tensions géopolitiques et déclin de la production locale. Entre les professionnels de la restauration contraints d’ajuster leurs tarifs et les consommateurs déboussolés, toute la chaîne subit de plein fouet les conséquences d’un déséquilibre qui semble s’installer durablement.

Que ce soit à Bruxelles, Casablanca ou Valence, la hausse des prix des viandes rouges ne passe pas inaperçue. Derrière cette flambée généralisée se cache un enchevêtrement de facteurs économiques, sanitaires, climatiques et géopolitiques. Si certains restaurateurs communiquent ouvertement sur cette hausse, d’autres, comme les bouchers ou les consommateurs, en subissent les conséquences sans toujours en comprendre les ressorts.

C’est sur les réseaux sociaux qu’Aldwin Camus, gérant du restaurant bruxellois Gringo, a décidé de s’exprimer. Il y annonce une augmentation de 0,5 euro sur son taco emblématique au suadero, une viande de bœuf cuite lentement. « Ce n’est pas une décision prise à la légère », explique-t-il. Face à la pénurie de bœuf, lui et son équipe ont tenté d’utiliser des morceaux alternatifs, comme le cou, mais ces solutions n’ont été viables qu’un temps.

Effet domino dans la chaîne d’approvisionnement

Les alternatives bon marché ont fini par devenir elles aussi plus chères, à mesure que d’autres établissements tentaient de faire face au même problème. En bout de chaîne, les fournisseurs ont ajusté leurs prix, poussant les restaurateurs à revoir les leurs. « À un moment, cela ne suffit plus », constate Camus. L’inflation du prix du bœuf est donc devenue inévitable. L’augmentation, bien que modeste, n’est pas comprise de tous. Si 70% des clients semblent réceptifs aux explications, une majorité ignore la gravité de la crise.

Et cette dernière dépasse largement les frontières belges. Le Maroc, par exemple, fait face à une situation similaire, voire plus préoccupante sur certains aspects. En juillet, le gigot d’agneau s’échangeait à 120 dirhams le kilo, tandis que le bœuf et le mouton tournaient autour de 110 dirhams. Les produits dérivés comme la viande hachée et les saucisses grimpent jusqu’à 130 dirhams. Malgré cette cherté, les prix n’ont montré qu’une faible variation, notamment autour de la période de l’Aïd al-Adha.

Au Maroc, la viande devient un produit de luxe

Le message du roi Mohammed VI appelant les citoyens à éviter le sacrifice rituel cette année, en raison de la sécheresse et de ses répercussions sur le cheptel, n’a pas suffi à soulager le marché. Les importations de bétail n’ont pas totalement comblé les manques, et les mesures gouvernementales n’ont pas eu d’effet tangible sur l’inflation alimentaire. En Espagne, les marchés souffrent également, notamment à cause des exportations massives de bétail vivant vers les pays arabes. « Deux bateaux par semaine partent avec des veaux et des agneaux vivants », explique un commerçant du marché central de Valence.

Ces exportations vident le marché local et contribuent à la stabilisation des prix… à des niveaux très élevés. De plus, les politiques européennes sur les émissions de gaz à effet de serre et les contrôles agricoles poussent de nombreux éleveurs à abandonner leur activité. L’offre diminue, tandis que la demande reste constante, exacerbant l’écart entre offre et prix. Cette combinaison entre raréfaction de l’offre, sécheresse et politiques agricoles contraignantes pèse lourdement sur les filières de la viande.

Viande rougene filière en crise générationnelle

Le vieillissement des éleveurs, souvent sans repreneurs, participe lui aussi à la raréfaction de la viande. En Belgique comme ailleurs, les exploitations s’éteignent doucement, et les nouvelles générations hésitent à se lancer dans un secteur jugé peu rentable et fortement réglementé. Cette désertification agricole, couplée à la diminution des cheptels touchés par des maladies comme la fièvre catarrhale ovine, explique en grande partie la hausse des prix. D’autant plus que dans de nombreux pays, les aides publiques sont jugées insuffisantes ou mal ciblées.

« Dans toutes les politiques, c’est le producteur qui paie le prix fort », déplore un vendeur espagnol. Au Maroc, malgré les aides mises en place, les professionnels peinent à s’en sortir. À Témara, un boucher explique que la viande de veau se vend au détail autour de 105 dirhams le kilo, tandis que celle d’agneau atteint 110 dirhams. Même les abattoirs régionaux proposent des tarifs élevés, ce qui limite les marges des petits commerçants.

Des consommateurs résignés, mais vigilants

À Fès, les professionnels dénoncent des difficultés d’approvisionnement depuis les marchés de gros. La viande d’agneau coûte 90 dirhams en gros, mais le foie atteint 120 dirhams, réduisant l’accès aux produits pour une partie de la population. Résultat : une baisse de la consommation et un recul des ventes, même en été, pourtant période faste avec les mariages et festivités. Face à cette flambée durable, les habitudes changent. De nombreux Marocains privilégient les produits locaux, même si leur prix est proche de celui des viandes importées.

La viande issue de bétail espagnol (notamment de la race Limousin) séduit encore, tandis que le bœuf brésilien, considéré de qualité inférieure, peine à trouver preneur. La cherté de la viande rouge installe progressivement une fracture alimentaire. Ceux qui ne peuvent suivre sont exclus de ce marché devenu élitiste. Si certains professionnels plaident pour une réduction de la bureaucratie et une plus grande liberté laissée aux éleveurs, d’autres appellent à un véritable plan de relance du secteur, à l’échelle nationale et internationale.

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