Le trafic de bétail est un « outil économique » et un « moyen de coercition », à la fois pour les jihadistes du Jnim, liés à Al-Qaïda, et pour les forces de sécurité burkinabè, en particulier pour les VDP, les Volontaires pour la défense de la patrie, des supplétifs de l’armée recrutés parmi les populations locales. Telles sont les conclusions d’un rapport publié mardi 29 juillet par l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (Global initiative – Gitoc), qui a décortiqué les chaînes d’approvisionnement et de revente dans la zone des trois frontières entre le Burkina, le Ghana et la Côte d’Ivoire.
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Plus de 150 témoins ont été interrogés dans les trois pays : acteurs du secteur de l’élevage, autorités civiles et militaires, membres des VDP…
Premier constat : « le pillage du bétail est profondément lié aux dynamiques du conflit ». Dans la région du Sud-Ouest au Burkina, le rapport indexe à la fois les jihadistes du Jnim, les forces régulières de l’armée burkinabè et leurs supplétifs VDP, « les deux camps pillant les troupeaux lors de leurs affrontements ». Les VDP sont même devenus, depuis 2024, « les principaux auteurs de vols de bétail dans le sud du Burkina », selon Global Initiative, « affaiblissant la légitimité de l’État et brouillant les frontières entre acteurs de la lutte antiterroriste et réseaux criminels ».
« Contrôle et intimidation »
Le Jnim s’approprie le bétail par le vol violent ou, dans les zones qu’il contrôle, en instaurant une forme d’impôt. Le rapport détaille avec précision les noms des chefs jihadistes ou des réseaux de contrebande impliqués. « Tant le Jnim que les VDP utilisent le vol de bétail comme une méthode de contrôle et d’intimidation », poursuit Global Initiative : « en visant les éleveurs et leurs troupeaux, ils terrorisent la population, provoquent des déplacements et contraignent les communautés à reconnaître leur autorité ».
Les conséquences sur les populations sont dramatiques, avec des pertes économiques irrémédiables — « un seul vol peut ruiner un ménage entier » — et une vulnérabilité alimentaire directe. Le rapport évoque des milliers d’animaux volés : « dans certaines zones, plus de 70 % des troupeaux ont disparu depuis 2022, par vol ou par fuite des propriétaires ». Pour se protéger, certains éleveurs s’arment ou s’allient à des groupes armés, « renforçant le cycle du conflit ».
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Le Ghana, principal pays de revente
Le bétail volé est ensuite introduit clandestinement et revendu dans les régions frontalières de Boukani, en Côte d’Ivoire, et surtout, ces dernières années, de l’Upper West, au Ghana (ou Haut-Ghana occidental), décrit comme « un centre névralgique de blanchiment du bétail volé au Burkina ». Cette chaîne d’approvisionnement fait intervenir « une constellation d’acteurs secondaires », du jeune berger au gros commerçant, en passant par des chauffeurs de camions, des douaniers, des chefs traditionnels, des vétérinaires ou des bouchers.
Les animaux sont le plus souvent revendus sur des marchés clandestins informels, au noir, ou sur de grands marchés officiels régionaux, mêlés au bétail « légal ». Les transactions se font majoritairement en liquide, mais aussi par transfert d’argent.
Marges doublées voire triplées
Les jihadistes du Jnim et les supplétifs VDP de l’armée burkinabè y trouvent une ressource financière se chiffrant chaque année en centaines de millions de FCFA. Les commerçants impliqués achètent le bétail volé à bas prix et doublent voire triplent leur marge à la revente. S’ils ne sont pas à l’origine du trafic, ce sont eux qui font les plus gros bénéfices. Une « convergence d’intérêts » qui, selon le rapport, « sape les efforts de paix ».
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