Tunisie: Le mariage au pays devient un marché d'intérêts, selon un sociologue

Le mariage en Tunisie connaît une profonde transformation sociale, devenant de plus en plus un « marché fondé sur les intérêts », affirme le professeur de sociologie Mamdouh Ezzeddine. Intervenant ce mardi 30 septembre 2024 sur les ondes d’Express Fm, l’expert réagit aux dernières données de l’Institut national de la statistique (INS) sur le mariage et le divorce, publiées à la veille du recensement national.
Selon Ezzeddine, les chiffres de l’INS (notamment l’augmentation des divorces et le recul du mariage chez les jeunes) ne sont pas surprenants, mais ils traduisent une mutation sociétale profonde. Il met en avant trois tendances majeures : le report du mariage, l’individualisation des choix familiaux et la marchandisation des relations conjugales.
Âge du mariage en hausse, divorce en progression
En Tunisie, l’âge moyen du mariage atteint désormais 35 ans chez les hommes et 29 ans chez les femmes. Ce retard, selon le sociologue, est à la fois un choix assumé et une contrainte imposée par la précarité économique et sociale.
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« Les jeunes n’ont plus les moyens d’assumer les responsabilités familiales dans un contexte de vie chère et d’effondrement de la classe moyenne. Le mariage devient alors un projet repoussé, voire redéfini », explique Ezzeddine.
La structure familiale elle-même a changé : de la famille élargie, on est passé à une famille nucléaire, avec des décisions de couple de plus en plus autonomes. Le mariage n’est plus perçu comme une obligation sociale ou religieuse, mais comme un outil d’épanouissement personnel — ce qui bouleverse les rapports conjugaux traditionnels.
Un mariage fondé sur des logiques d’intérêt ?
Le professeur va plus loin, affirmant que le mariage est désormais guidé par des logiques de rentabilité émotionnelle, sociale et économique. « Il ne s’agit plus uniquement de fonder une famille, mais de rechercher un partenaire qui apporte une valeur ajoutée, un avantage matériel ou symbolique », souligne-t-il.
Ce glissement vers une approche individualiste et utilitariste aurait des conséquences visibles : 40 % des divorces surviennent dans les cinq premières années de mariage, avec un âge moyen de 37 ans pour les personnes divorcées.
Autre phénomène préoccupant : le divorce silencieux, c’est-à-dire des couples qui restent officiellement mariés mais vivent sans lien affectif ou sexuel, uniquement pour préserver les apparences ou des avantages sociaux.
Pour rappel, selon les dernières statistiques de l’INS : le taux de divorcés est passé de 0,5 % en 2004 à 1,4 % en 2024, le taux de femmes divorcées a doublé, passant de 1,5 % à 2,8 % et la proportion de célibataires hommes a chuté de 47,1 % à 39 %, tandis que celle des femmes célibataires est passée de 38 % à 29,8 %.
Ces données confirment les propos d’Ezzeddine sur une mutation des rapports familiaux en Tunisie, entre individualisme croissant, exigences économiques et nouvelles aspirations sociales.


