Sud-Soudan: Les 70 ans de la mutinerie de Torit, un évènement qui aboutira à l'indépendance

Au Soudan du Sud, ce lundi 18 août marque les 70 ans d’un évènement fondateur de la révolte sud-soudanaise contre Khartoum qui, après une longue lutte, aboutira à l’indépendance du pays en 2011. En 1955, alors que le Soudan sort du giron britannique, des soldats originaires du sud du pays se rebellent contre leurs officiers nordistes, dans la ville de Torit, dans l’extrême sud du pays, un épisode particulièrement sanglant.
En août 1955, le Soudan prépare encore sa sortie du statut colonial de condominium anglo-égyptien. Le 1er janvier suivant, il sera indépendant. Mais dans le sud du pays, cette transformation inquiète, en raison de la mainmise, sur le nouvel État, des nordistes, arabes et musulmans qui composent l’élite politique, économique et militaire. Sous-représentés dans les institutions, les Sudistes protestent, mais des leaders et des officiers sont arrêtés et poursuivis.
Le 18 janvier, alors qu’ils reçoivent l’ordre de quitter Torit pour Khartoum, les soldats sudistes des Equatoria corps, un bataillon multidécoré durant la Seconde Guerre mondiale, décident de retourner leurs armes contre leurs officiers. Ils prennent le contrôle de la caserne, de l’armurerie.
Cette mutinerie fait tache d’huile dans d’autres régions du sud et le bilan est lourd. En dix jours, plus de 430 personnes, principalement originaires du nord, sont tuées. La réponse de Khartoum est violente. Les mutins sont contraints à la reddition, 300 sont jugés et exécutés.
De cet épisode, naissent les premiers mouvements rebelles. Faute de soutien international et souvent divisés sur la marche à suivre, il leur faudra plusieurs décennies pour contraindre le Soudan à entrer en négociations, menant le pays à l’indépendance en 2011. Un combat qui aura coûté la vie à des centaines de milliers de personnes.
Contexte et mémoire de la mutinerie de Torit
Et pour parler du contexte et de la mémoire de cette mutinerie de Torit dans un pays toujours instable comme le Soudan du Sud, RFI a joint l’anthropologue Jok Madut Jok, professeur à l’université de Syracuse, aux États-Unis.
« Du point de vue des Sud-Soudanais, ils avaient le sentiment que cette indépendance du joug britannique allait être le début d’une nouvelle forme de colonisation, par la partie nord du Soudan. Alors, certains de ces hommes qui allaient être transférés, décidèrent de prendre la garnison de Torit, d’attaquer et tuer les officiers, des nordistes arabes.
« À cette époque, le traitement des soldats par ces officiers montrait déjà l’attitude des Soudanais à l’égard du sud, c’est-à-dire qu’ils voulaient les soumettre, à leurs règles, leur culture, leur langue et leur religion. Il était déjà très clair qu’ils voulaient coloniser politiquement et culturellement le sud. »
Torit, un jalon majeur dans le parcours vers l’indépendance
À la question de savoir si on peut dire que c’est l’acte de naissance des rébellions qui a mené à l’indépendance du Soudan du Sud, Jok Madut Jok considère que « si vous pensez à la quête du Soudan du Sud pour un État indépendant, vous pouvez voir les évènements de Torit comme un jalon majeur dans ce parcours vers l’indépendance, un moment très significatif sur ce chemin. C’est certainement le début de la gestation de la quête pour la libération. »
Il n’y a jamais eu de célébrations globales
À la question de savoir si cet épisode est bien connu au Soudan du Sud ou si cela intéresse surtout les universitaires et les historiens ou encore si la population connait cette histoire, pour l’anthropologue Jok Madut Jok « ce n’est pas vraiment que c’est un moment oublié, c’est qu’il n’y a jamais eu de célébrations globales. Il y aura une cérémonie modeste, comme toujours, à Torit, par les autorités locales de l’État de l’Équateur oriental. On en a beaucoup parlé dernièrement sur les réseaux sociaux. Les gens se sont montrés intéressés, des photos ont été partagées et ont circulé. Donc, je pense que c’est un moment de fierté pour beaucoup de Soudanais du Sud. C’est juste que cela n’a pas une grande visibilité comme si c’était une célébration nationale. Beaucoup de gens pensent que ce devrait être le cas, pour que ce moment puisse être utilisé pour bâtir l’unité du pays. Le Soudan du Sud souffre de nombreux épisodes de risque de désintégration et d’écroulement. Alors beaucoup pensent que ce genre de moment de fierté devrait être célébré comme un outil constitutif d’identité nationale. »
La longue marche vers l’indépendance
La mutinerie a lieu en 1955, mais le Soudan du Sud n’est devenu indépendant qu’en 2011. Jok Madut Jok souligne que « plusieurs facteurs expliquent que la marche vers l’indépendance a été si longue. Le premier est que le régime autoritaire de Khartoum n’était pas du tout intéressé par un dialogue, un accord de paix et préférait la guerre. Le gouvernement du Soudan a essayé de régler le problème militairement et, plus il tuait de gens, plus les Sudistes devenaient déterminés. Mais il n’avait pas beaucoup de soutien. Rappelez-vous qu’à cette époque, il y avait encore peu de pays africains indépendants, donc le soutien extérieur pour la rébellion sudiste était vraiment limité et difficile à obtenir. Donc cela a mis longtemps pour que les combattants eux-mêmes parviennent à confisquer des armes. Ils manquaient d’armes. Mais aussi, il y avait beaucoup de désunions entre les Sud-Soudanais. Les politiciens et les militaires n’étaient pas d’accord entre eux, ce qui a mené à la multiplication des fronts et des partis politiques. Il y avait beaucoup de désaccords sur ce qui devait être fait et comment. Même si tout le monde était d’accord que la guerre de libération était imminente et nécessaire, ils différaient sur l’approche ».