Succession à l’Unesco : un duel Égypte-Congo pour succéder à Audrey Azoulay

Après huit années à la tête de l’organisation, Audrey Azoulay s’apprête à céder sa place. Le Conseil exécutif élit ce lundi 6 octobre son successeur. Deux candidats sont en lice : l’Égyptien Khaled El-Enany, soutenu par plusieurs grandes puissances, et le Congolais Firmin Matoko, fort de trente ans de carrière au sein de l’Unesco. Au-delà de cette rivalité, l’enjeu est de taille pour une institution fragilisée, faisant l’objet de critiques, et qui, selon des experts, doit se réinventer autour de ses fondamentaux.

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« Quand Madame Azoulay est arrivée en 2017, elle a mis en place une réforme stratégique, une transformation de l’organisation pour rendre l’Unesco encore plus efficace », se souvient Oumar Keïta, ex-ambassadeur du Mali auprès de l’organisation.

En huit ans, la Française Audrey Azoulay a profondément marqué l’Unesco. Son budget a doublé, passant de 450 à 900 millions de dollars par an. Elle a accru la visibilité de l’agence onusienne et lancé des projets emblématiques, comme la reconstruction de Mossoul en Irak. Elle a aussi mis en avant le patrimoine africain : 19 sites ont été inscrits au patrimoine mondial depuis 2018, contre 11 seulement sous son prédécesseur. Trente-sept éléments immatériels africains ont également été ajoutés à la liste de l’Unesco, soit près de la moitié des nouvelles entrées mondiales.

 

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Un bilan contrasté

Pour la délégation espagnole, proche d’Audrey Azoulay, l’organisation, épurée de ses prises de position politisées, « est plus forte qu’il y a huit ans ». Mais ce satisfecit n’efface pas les critiques. Le style de gouvernance de la directrice générale, jugé « jupitérien » par certains, a parfois semblé trop vertical, laissant peu de place aux ONG et aux délégués des États membres. « Elle a privilégié l’action plutôt que la concertation », confie un diplomate, sous couvert d’anonymat.

Même constat du côté des chercheurs. L’anthropologue Lynn Meskell estime que l’Unesco est devenue « otage de ses États membres », réduite à une agence technocratique qui évite désormais les dossiers sensibles. Dans son livre A Future in Ruins, elle parle d’une « gestion de l’impasse » et prend l’exemple de Gaza : « Sur Gaza, il n’y a quasiment rien, c’est vraiment minimal. L’Unesco avait autrefois le courage de s’emparer de ces dossiers, de trouver des mécanismes pour amener les États à dialoguer, à trouver des solutions, à être comptables les uns envers les autres. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. »

L’Unesco fait toutefois valoir plusieurs initiatives en cours : suivi des dommages sur le patrimoine culturel, soutien psychosocial pour les étudiants et aide aux professionnels de la culture pour la mise à l’abri de biens archéologiques. Faute d’accès au territoire, son action reste cependant limitée.

Concernant Mossoul, l’initiative de reconstruction a été saluée, mais aussi accusée de manquer d’ancrage local : selon une enquête menée en 2018 par Lynn Meskell et l’universitaire Benjamin Isakhan, 39 % des habitants estimaient que l’Unesco ne prenait pas assez en compte leur point de vue.

Deux candidats, deux visions

C’est précisément sur ce terrain que les deux candidats en lice cherchent à se démarquer, en insistant sur la politique de la « la porte ouverte ». Ils étaient quatre au départ, il n’en reste plus que deux. D’un côté, Khaled El-Enany, 54 ans, égyptologue et ancien ministre, soutenu par l’Union africaine, la Ligue arabe et plusieurs grandes puissances, dont la France et l’Allemagne. De l’autre, Firmin Edouard Matoko, 69 ans, haut fonctionnaire congolais, qui revendique trente années de carrière à l’Unesco, en Afrique, en Amérique latine et à Paris.

Tous deux se présentent comme les candidats du changement. Khaled El-Enany défend une « maison de tous les peuples » et promet de mettre l’accent sur l’éducation, la science et la concertation. « Enfin quelqu’un de qualifié, un égyptologue de renom, compétent dans les domaines où l’Unesco est censée exceller », se réjouit Lynn Meskell. Un diplomate espagnol, dont le pays soutient le candidat égyptien, dit aussi lui faire confiance pour redresser les comptes de l’organisation.

Firmin Matoko, lui, mise sur son expérience et sa connaissance intime de l’institution. « Celui qui a couvert pas mal de pays a une longueur d’avance », note Oumar Keïta. Sa promesse : « réformer sans déstabiliser », avec une attention particulière pour le développement humain, les jeunes et les femmes.

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Une institution fragilisée

Le prochain directeur général héritera d’une organisation affaiblie. Déjà ébranlée par le retrait des États-Unis en 2011, l’Unesco doit se préparer à un nouveau départ américain en 2026. Une décision qui la priverait d’environ 8 % de son budget annuel, alors même que Washington contribuait autrefois à hauteur de 22 %. Officiellement, l’administration américaine dénonce une bureaucratie trop lourde et un soutien jugé excessif à la Palestine.

« L’Unesco doit se réinventer autour de ses fondamentaux : l’éducation, la culture, la science et la souveraineté des savoirs », insiste Oumar Keïta. Et d’ajouter : « L’Unesco doit redevenir ce pourquoi elle a été conçue, c’est-à-dire un lieu d’idées, de production de savoirs, un laboratoire pour la paix, le dialogue et une voix pour la dignité humaine. »

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