Situation institutionnelle «inédite» à Madagascar: décryptage avec Christiane Rafidinarivo

À Madagascar, des scènes de liesse ont suivi mardi soir, l’annonce de la prise de pouvoir par les militaires et de la destitution du président Andry Rajoelina. La Haute cour constitutionnelle, devant la vacance du pouvoir, a invité « l’autorité militaire compétente incarnée par le colonel Michael Randrianirina à exercer les fonctions de chef de l’Etat ». Les militaires promettent la tenue d’élections et le rétablissement de la démocratie. Une situation politique inédite qu’analyse Christiane Rafidinarivo, chercheuse au Cevipof-Science Po, invitée de notre édition spéciale ce mercredi matin.
Comment est-ce que vous qualifieriez ce mercredi matin la situation politique de Madagascar?
La situation politique, en tout cas vue par l’Assemblée nationale, c’est la vacance du pouvoir. C’est ce qui a motivé l’organisation du vote, hier, qui a abouti majoritairement à la destitution du président Andry Rajoelina, qui se retrouve donc aujourd’hui en difficulté du point de vue institutionnel. Il faut rappeler que, à Madagascar, le Parlement est composé du Sénat et de l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale est composée de députés élus de tout le pays, tandis que le Sénat est en partie composé d’élus et de personnalités nommées. L’Assemblée nationale étant la seule institution composée entièrement d’élus, a cette légitimité et légalité démocratique.
C’est un point important.
Une Assemblée nationale d’ailleurs qui était normalement favorable à Andry Rajoelina, et qui a pourtant voté sa destitution.
Oui, Rajoelina avait la majorité, une large majorité à l’Assemblée nationale. Ce qu’il faut comprendre en termes de rapport de force politique, c’est que ces députés qui lui étaient favorables ont considéré qu’il a quitté le pays, que le pouvoir est vacant et, à ce titre-là, ils ont décidé sa destitution avec les autres (députés) dans une forme de cohésion qui s’est exprimée de façon très claire. Ils se sont tous réunis dans la soirée, avec la nouvelle entité composée par les militaires, un conseil collectif qui va prendre en charge – d’après leurs déclarations – la présidence de la République.
Et pourtant, quand on lit la Constitution malgache en cas de vacance du pouvoir. C’est le président du Sénat qui est censé assumer les fonctions de chef de l’État.
Oui, mais il n’y a pas de président du Sénat à l’heure actuelle puisque le président qui était en fonction est introuvable. Il a été d’ailleurs limogé par le Bureau du Sénat. C’est pour cela qu’aujourd’hui, il y a effectivement une double vacance : c’est le président du Sénat qui, dans la Constitution, est censé, assurer l’intérim jusqu’aux nouvelles élections s’il y a quelque empêchement du Président de la République.
Et s’il n’y pas de président du Sénat, c’est le gouvernement qui est censé assumer ce rôle de manière collégiale. Mais là encore il n’y a plus de gouvernement à Madagascar en ce moment.
Il y a eu un gouvernement nommé par Andry Rajoelina pendant la première semaine de manifestations, et ce gouvernement est composé d’un Premier ministre nommé qui a lui-même a nommé trois ministères seulement, des ministères on va dire sécuritaires : l’armée, la gendarmerie et la police. Il n’y a pas eu d’autres ministres nommés. Aujourd’hui, ce qui est intéressant à observer, c’est que le ministre de l’Armée a effectué la passation avec le nouveau chef d’état-major issu de la réorganisation de la chaîne de commandement au sein de l’armée et initiée par le contingent CAPSAC.
Oui, c’était au début de la semaine. Est-ce que vous pensez que tout cela est de nature à convaincre la communauté internationale que ce qui s’est joué hier ce n’est pas un coup d’État.
On ne peut pas le savoir aujourd’hui, mais ce qui est certain, c’est que cette nouvelle organisation va prendre de plus en plus forme avec la composition d’un gouvernement, très probablement en étroite collaboration avec l’Assemblée nationale. Et très probablement donc, des négociations vont se tenir avec la communauté internationale…
Hier, quand les militaires ont annoncé prendre le pouvoir, ils ont suspendu la plupart des institutions. Mais pas l’Assemblée nationale. Comment vous le comprenez ? Et quid de la Haute Cour constitutionnelle, ils avaient dit qu’ils la suspendaient aussi ?
Ils l’ont annoncé clairement : la logique qui a été expliquée, c’est que toutes les institutions issues de la Constitution de 2010 ont été suspendues. Qu’est-ce que c’est que cette Constitution de 2010 ? C’est celle qui a été élaborée puis votée en pleine crise, donc après la prise de pouvoir d’Andry Rajoelina, qualifiée de ‘coup d’État’ par la communauté internationale à l’époque (en 2009). Cette Constitution a été votée dans des conditions électorales très particulières, c’est pour cela qu’elle est très critiquée aussi, mais en tout cas elle a servi de guide pour la feuille de route de sortie de crise et elle a été maintenue par des pouvoirs élus depuis 2014.
Est ce qu’on sait ce qui fonctionne ou ce qui au contraire ne marche pas en termes d’institutions de transition?
Je rappelle qu’il y a eu un chef d’État qui a été nommé en 1975, un général de gendarmerie, Richard Ratsimandrava, qui a été assassiné quelques jours après sa nomination. Donc il y a des choses qui ne marchent pas. Effectivement, en termes d’institutions aujourd’hui, il est clair que ce qui se passe actuellement est la mise en place de quelque chose d’inédit.
Le point commun avec les crises du passé dans lesquelles les militaires sont intervenus, c’est très certainement le fait que les militaires – après la chute du mur de Berlin en tout cas – ont influencé largement les prises de pouvoir dans le cadre de ces crises, mais n’ont pas exercé le pouvoir directement. La différence ici, c’est qu’ils motivent (cet exercice en raison) de la vacance du pouvoir.
Ils vont exercer le pouvoir sous une forme qui vient d’être configurée…
Un conseil du président avec des officiers de l’armée et de la gendarmerie…
Et en annonçant un gouvernement civil. Il est intéressant de voir si cela va vraiment se faire avec l’Assemblée nationale qui est légitime, qui a été élue au suffrage universel, et si effectivement en termes de rapport de force ensuite, ça peut donc être un gouvernement consensuel qui puisse – et là je reviens au début du mouvement en termes d’analyse – refaire couler l’eau au robinet, faire fonctionner l’électricité et donc répondre à ces droits fondamentaux qui ont été les principales et premières revendications de ce mouvement…
Andry Rajoelina s’est opposé à ces décisions hier dans des communiqués. Est ce qu’il parle dans le vide désormais?
C’est un peu tôt pour le dire, il est destitué du fait des décisions qui ont été prises hier. Qu’est-ce qu’il va choisir ? Est-ce qu’il va continuer à lutter politiquement parlant ?
Quelles voies de recours s’offrent à lui par exemple ?
Il y aurait eu la HCC, la Haute Cour constitutionnelle qui s’est déjà prononcée hier pour cette nouvelle configuration du pouvoir.
Donc il n’a plus vraiment de recours légaux.
En tout cas, il a toujours son parti politique. Et vous savez, la vocation des partis politiques, c’est de conquérir et d’exercer le pouvoir. Donc s’il ne prend pas sa retraite politique, il va sans doute jouer sur ce levier-là de l’extérieur. Ce qui ne sera pas simple puisque comme on a vu à l’Assemblée nationale, une très large partie de ses soutiens, en tout cas élus, ce sont détournés de lui.



