Sierra Leone: La violence obstétricale tue des femmes et des nouveau-nés

Le gouvernement devrait réformer certaines pratiques qui portent atteinte aux droits des femmes enceintes

  • Des femmes qui accouchent dans des hôpitaux publics de Sierra Leone mais ne sont pas en mesure de payer des frais officieux sont victimes de négligence et d’abus dangereux de la part de prestataires de soins de santé, ce qui entraîne dans certains cas la mort de ces femmes ou de leurs nouveau-nés.
  • Les progrès réalisés par la Sierra Leone en matière de soins de santé maternelle sont compromis par le manque de ressources dans les hôpitaux publics, et par le recours à du personnel bénévole, alors que la politique du gouvernement prévoit la gratuité de ces soins.
  • Le gouvernement devrait fournir à ces établissements les fonds nécessaires pour payer les médicaments et d’autres produits médicaux indispensables, rémunérer davantage de membres du personnel médical, et mettre en place un système de plaintes et d’indemnisation en cas de soins de mauvaise qualité.

Les femmes qui accouchent dans des établissements de santé publics en Sierra Leone sont confrontées au risque de négligence et d’abus humiliants, dangereux et potentiellement mortels de la part des prestataires de soins de santé si elles ne peuvent pas payer ces soins gynécologiques, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.


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Le rapport de 75 pages, intitulé « No Money, No Care: Obstetric Violence in Sierra Leone » (« Pas d’argent, pas de soins : Violence obstétricale en Sierra Leone »), documente des cas de violence verbale, de négligence médicale et d’abandon de soins pour certaines femmes et filles confrontées à de graves complications obstétricales ; selon les experts interrogés, ces pratiques sont courantes. De nombreuses femmes interrogées ont déclaré avoir été humiliées et maltraitées par des prestataires de soins de santé avoir s’être plaintes de douleurs ou avoir demandé de l’aide, sans assez d’argent pour payer ces soins. D’autres femmes ont décrit des expériences humiliantes au cours desquelles les prestataires de soins de santé les ont traitées rudement ou ne leur ont pas divulgué des informations importantes sur leur santé. Certains cas documentés constituent des formes de « violence obstétricale », un type de violence sexiste répandue dans le monde entier, mais relativement peu connue.

« Des femmes qui accouchent dans certains hôpitaux publics en Sierra Leone y subissent des pratiques humiliantes, de longues périodes d’attente, des douleurs non soignées, ou même le risque de décès ou de mort de leur nouveau-né », a déclaré Skye Wheeler, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Le gouvernement sierra-léonais n’a pas agi pour mettre fin aux pratiques néfastes dans son système de santé publique, comme la pression exercée par certains prestataires de soins pour obtenir de l’argent de la part de patientes extrêmement vulnérables. »

Le terme « violence obstétricale » recouvre divers abus subis par des femmes dans des établissements de santé reproductive ; ce phénomène est répandu à l’échelle mondiale, mais peu reconnu. Il s’agit notamment de violations de l’autonomie corporelle, telles que la stérilisation forcée et d’autres opérations ou interventions médicales pratiquées sans le consentement de la patiente. Le terme « violence obstétricale » désigne aussi certaines pratiques néfastes dans des salles d’accouchement, comme le fait d’attacher des femmes à leur lit d’hôpital lors de l’accouchement, des violences verbales, la négligence, le refus d’administrer des analgésiques, ou l’abandon des soins.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 50 femmes sierra-léonaises en période de post-partum (après l’accouchement), et avec 50 prestataires de soins de santé. Certains membres du personnel hospitalier ont affirmé avoir régulièrement vu des cas de femmes et, plus souvent, de nouveau-nés, ayant souffert de complications sanitaires graves et parfois même mortelles ; ceci était dû au retard des soins prodigués, ou au refus de fournir de tels soins, si une femme n’était pas en mesure de rémunérer le personnel hospitalier. Human Rights Watch s’est également entretenu avec des femmes dont les nouveau-nés étaient décédés ou étaient nés avec des problèmes de santé graves après avoir attendu des heures, voire des jours, pour recevoir des soins à l’hôpital Princess Christian Maternity Hospital (PCMH), le principal hôpital obstétrique du pays, situé à Freetown, la capitale.

Une femme qui n’avait pas suffisamment d’argent, et dont le nouveau-né est décédé à cet hôpital, a attribué sa mort à la mauvaise qualité des soins qu’elle y a reçus. « Ils ne s’occupaient que [des femmes] qui avaient de l’argent et comme je n’en avais pas, j’ai dû souffrir », a-t-elle déclaré. Elle a expliqué que comme elle ne pouvait pas payer le savon et les bâches en plastique, elle a été abandonnée pendant deux heures lors de son accouchement ; durant cette période, son mari a désespérément collecté de l’argent auprès de leur communauté. Finalement, une sage-femme est arrivée. « J’ai entendu le bébé, mais il est mort », a déclaré la femme qui venait d’accoucher.

Une autre femme enceinte a attendu près de trois jours pour être soignée à l’hôpital PCMH, dormant à même le sol, avant d’être enfin examinée par des professionnels de santé. À ce stade, son état nécessitait une intervention chirurgicale majeure, mais il était trop tard pour sauver son bébé. Le médecin qui a pratiqué sa césarienne lui a dit que le bébé était mort à cause du retard pris dans les soins, qu’elle attribue à son incapacité à payer les frais qu’on lui demandait. « [Le médecin] était vraiment en colère », a-t-elle déclaré. « Il a dit que c’était la faute du PCMH que mon bébé soit mort. »

Toutes les femmes interrogées ont déclaré que les frais exigés par le personnel hospitalier, qui sont souvent impossibles à distinguer de pots-de-vin sollicités de manière opportuniste, déterminaient leur accès ou non aux soins, ainsi que la rapidité et la qualité des soins qu’elles recevaient. Elles ont déclaré que ces demandes étaient souvent exorbitantes et coercitives, et qu’elles étaient souvent formulées alors qu’elles se trouvaient dans une situation d’extrême détresse physique ou mentale. Les femmes et leurs familles n’avaient accès à aucun système de plainte ni à aucune autre forme de responsabilité ou de recours.

Les taux de mortalité maternelle restent élevés en Sierra Leone, malgré une baisse de 70 % entre 2013 et 2023, alors qu’ils étaient autrefois considérés comme les plus élevés au monde. Le taux de mortalité des enfants âgés moins de 5 ans – dont des nouveau-nés – était parmi les plus élevés au monde en 2024.

La Sierra Leone a reconnu l’urgence d’améliorer la qualité des soins de santé maternelle et a mis en place une formation sur les soins de maternité respectueux, qui, selon certains prestataires de soins de santé interrogés, a permis de réduire les pratiques néfastes. La Commission anti-corruption de ce pays, qui relève du ministère de la Justice, a également pris des mesures pour réduire la corruption dans les établissements de santé publics.

En 2010, le gouvernement sierra-léonais a annoncé le lancement de son « Initiative pour des soins de santé gratuits » (Free Health Care Initiative, FHCI), prévoyant la gratuité des soins de santé pour les femmes enceintes et allaitantes et les enfants de moins de 5 ans. À peu près à la même époque, la Sierra Leone a également interdit aux accoucheuses traditionnelles d’assister aux accouchements à domicile. Mais plusieurs femmes et prestataires de soins de santé interrogés par Human Rights Watch interrogés ont décrit le FHCI comme un « programme fantôme » ou un « mirage », et que toutes les femmes avaient payé pour certains aspects de leurs soins.

Human Rights Watch a constaté que le soutien financier insuffisant du gouvernement au système de santé public est à l’origine de nombreux abus. Jusqu’à 50 % des travailleurs de la santé publique en Sierra Leone sont des bénévoles non rémunérés. Les établissements de santé publics sont confrontés à une pénurie chronique de produits de santé de base, y compris de médicaments essentiels. Tous les établissements de santé visités par Human Rights Watch présentaient des lacunes importantes, obligeant les patients à utiliser des produits achetés par les prestataires.

La Sierra Leone est un pays à faible revenu, mais pourrait faire davantage pour respecter ses obligations en matière de droit à la santé, y compris son objectif louable de parvenir à une couverture sanitaire universelle, a déclaré Human Rights Watch. Reconnaître publiquement les violations des droits humains, y compris la violence obstétricale, devrait être une première étape importante. Le gouvernement doit également se procurer les médicaments et autres produits nécessaires et réduire le nombre de travailleurs de santé bénévoles. Les femmes et leurs familles ont également besoin de systèmes de plainte accessibles et de mécanismes de recours efficaces en cas de mauvais traitements dans les établissements de santé publics.

Les autres pays et les institutions internationales devraient prendre des mesures pour veiller à ce que le remboursement de la dette internationale élevée de la Sierra Leone ne compromette pas sa capacité à lever et à allouer des ressources financières publiques à la réalisation des droits humains, notamment les soins de santé maternelle et néonatale.

« En l’absence d’action gouvernementale, les progrès significatifs réalisés par la Sierra Leone dans la réduction de la mortalité maternelle sont menacés », a conclu Skye Wheeler. « Mais il ne s’agit pas seulement de statistiques de santé publique. Le gouvernement devrait écouter les récits et les expériences des femmes, et reconnaître à quel point la violence obstétricale a porté gravement atteinte aux droits des filles et des femmes de ce pays. »

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