Restitutions d’objets africains : un pas de plus vers la justice patrimoniale

Soapstone birds on pedestals Zimbabwe
Soapstone birds on pedestals Zimbabwe

La restitution d’œuvres d’art africaines s’impose désormais comme un enjeu diplomatique, culturel et moral d’envergure. De plus en plus de pays européens reconnaissent la nécessité de réparer les spoliations héritées de la période coloniale en rendant aux nations africaines les pièces emblématiques de leur histoire.

La décision des Pays-Bas de restituer à l’Égypte une sculpture vieille de 3 500 ans marque une nouvelle étape dans le long processus de retour des œuvres d’art africaines spoliées. Ce geste, qui s’inscrit dans une dynamique mondiale de réévaluation du patrimoine colonial et postcolonial, montre à quel point la question de la restitution dépasse la simple réparation symbolique : elle engage une réflexion sur la mémoire, l’identité et la responsabilité partagée des nations.

Accord de coopération culturelle et diplomatique

L’artefact en question, une sculpture représentant un haut fonctionnaire du règne du pharaon Thoutmôsis III, aurait quitté illégalement l’Égypte au moment des bouleversements du printemps arabe en 2011. L’œuvre, datant de 1479 à 1425 av. J.-C., a refait surface bien plus tard, en 2022, lors de la prestigieuse foire d’art Tefaf à Maastricht. C’est là que l’histoire a pris un tournant décisif : informé du caractère frauduleux de l’acquisition, le marchand d’art a renoncé à sa propriété, permettant ainsi aux autorités néerlandaises d’engager la procédure de restitution.

L’annonce officielle a été faite par le Premier ministre Dick Schoof, en présence du Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, scellant un accord de coopération culturelle et diplomatique. La sculpture devrait regagner l’Égypte d’ici la fin de l’année. Si l’endroit précis de son exposition n’a pas encore été communiqué, son retour suscite déjà une vive émotion parmi les égyptologues et le public.

Le cas emblématique des bronzes du Bénin

Ce n’est pas la première fois que les Pays-Bas agissent en faveur de la restitution d’œuvres africaines. En juillet 2024, La Haye avait déjà approuvé le retour de près de 478 objets d’art au Nigeria et au Sri Lanka, spoliés durant la période coloniale. De leur côté, plusieurs musées européens, en France, en Belgique ou en Allemagne, ont entamé des démarches similaires, parfois sous la pression de la société civile ou à la suite de longues négociations diplomatiques.

Ces restitutions, longtemps jugées utopiques, traduisent un changement profond dans la perception du patrimoine mondial : les nations occidentales reconnaissent de plus en plus leur devoir moral de réparer les injustices historiques liées au pillage culturel. Depuis plusieurs décennies, une grande partie du patrimoine africain repose dans les vitrines des musées européens. On estime que plus de 90% du patrimoine matériel africain se trouve encore hors du continent. Le cas le plus emblématique reste celui des bronzes du Bénin, pillés en 1897 par les troupes britanniques lors de l’expédition punitive contre le royaume d’Edo, dans l’actuel Nigeria.

L’Afrique, dépositaire d’une mémoire confisquée

Des centaines de sculptures, plaques et masques rituels furent dispersés entre Londres, Berlin, Paris et New York. Ce n’est qu’à partir des années 2010 que les premières restitutions ont commencé : l’Allemagne a restitué plusieurs dizaines de bronzes, suivie du Royaume-Uni et des États-Unis. Chaque retour est perçu comme une victoire symbolique pour les pays concernés, mais aussi comme une étape vers une réécriture plus équilibrée de l’histoire mondiale.

Certains acteurs du marché de l’art craignent que ces retours créent un précédent juridique ou déstabilisent les institutions muséales occidentales. D’autres, au contraire, y voient une chance de renouveler la coopération culturelle entre le Nord et le Sud. Pour les pays africains, la restitution participe au développement du tourisme culturel et à la valorisation du patrimoine local. En Égypte, la sculpture rendue par les Pays-Bas viendra enrichir un réseau muséal en plein renouveau, notamment autour du Grand Musée égyptien du Caire, conçu pour rassembler les trésors archéologiques du pays.

Redessiner la carte du patrimoine mondial

L’ère du silence sur les spoliations patrimoniales touche à sa fin. Chaque restitution, qu’elle concerne une statuette égyptienne, un masque sénoufo ou une relique éthiopienne, contribue à redessiner la carte du patrimoine mondial et à rétablir un lien brisé entre les peuples et leur histoire. Les musées européens, jadis perçus comme des lieux de légitimation coloniale, sont désormais appelés à devenir des espaces de dialogue et de réparation.

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