RDC, « Mobutu, une vie, un destin » : quand l’exposition réveille la nostalgie d’un Zaïre révolu

Mobutu Nixon 1973
Mobutu Nixon 1973

Inaugurée le 16 octobre au Musée national de la RDC, l’exposition « Mobutu, une vie, un destin » suscite un engouement inattendu. En retraçant la trajectoire du maréchal Mobutu Sese Seko, figure controversée de l’histoire congolaise, elle réveille, au-delà de la mémoire historique, une certaine nostalgie d’une époque où le pays, devenu Zaïre, semblait maîtriser son destin.

En RDC, le maréchal Mobutu Sese Seko demeure populaire et a des nostalgiques. Beaucoup même. C’est ce que traduit l’engouement suscité par l’exposition « Mobutu, une vie, un destin » à lui consacrée depuis quelques jours. Y compris parmi les personnalités au plus haut sommet de l’État. Pourtant, en 1997, le maréchal a dû fuir le pays qu’il a tenu d’une main de fer pendant 32 ans, avec à ses trousses les hommes de Laurent Désiré Kabila et un peuple en furie, las d’une dictature sanguinaire qui n’avait fait que trop durer.

Une visite hautement symbolique autour de la mémoire d’une époque faste et redoutée

Après le Président Félix Tshisekedi, c’est la Première ministre, Judith Suminwa Tuluka, qui a, à son tour, visité l’exposition ce jeudi 30 octobre. Accueillie par Nzanga Mobutu, fils de l’ancien chef de l’État, la cheffe du gouvernement a parcouru les galeries où se mêlent photographies inédites, tenues militaires, objets personnels et symboles de pouvoir du maréchal. L’ambiance, empreinte d’émotion, a dépassé la simple commémoration historique. Elle a pris des allures de retour sur une mémoire nationale, celle d’un homme qui a marqué la République du Zaïre de 1965 à 1997, entre grandeur politique et dérive autoritaire.

Parmi les pièces exposées, le célèbre trône léopard, le bâton de commandement et les uniformes de parade ont cristallisé les regards. Ces artefacts rappellent la théâtralisation du pouvoir, le culte de la personnalité et le faste de la présidence mobutienne. Mais pour nombre de visiteurs, ces symboles évoquent aussi un âge d’or perdu, celui d’un État fort, respecté, souverain, du moins dans les apparences. En tout cas, une période qui contraste avec ce qui se passe aujourd’hui où l’est du pays est aux mains de groupes rebelles dont le M23 qui s’est rendu maître de deux provinces, le Sud et le Nord-Kivu.

Dans les allées du musée, certains Congolais expriment une forme de nostalgie mêlée de fascination : celle d’un temps où le Zaïre tenait encore tête aux puissances étrangères, où la fierté nationale semblait incarnée dans une figure unique.

Judith Suminwa : « On ne peut pas effacer l’histoire »

La Première ministre n’a pas caché son émotion. « C’est important de parcourir l’histoire », a-t-elle déclaré. « Je connais le Président Mobutu depuis mon enfance, toute ma jeunesse a été marquée par son image ». Pour Judith Suminwa, revisiter cette page du passé n’a rien d’une réhabilitation politique, mais relève d’un devoir de mémoire : « On parle de souveraineté, d’intégrité territoriale… La vie du Président Mobutu a toujours été liée à ces questions d’unité nationale. Et c’est cela qu’il faut transmettre à nos enfants. On ne peut pas effacer l’histoire, car elle nous aide à comprendre comment avancer. Si on l’efface, on se perd ».

Ce propos, sobre mais significatif, illustre la volonté du gouvernement d’adopter une lecture apaisée du passé, une manière de reconnaître l’importance historique de Mobutu sans en glorifier les dérives.

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Nzanga Mobutu, gardien d’un héritage familial et national

À l’origine de cette exposition, Nzanga Mobutu a voulu proposer un regard sensible et non partisan sur la vie de son père. « La meilleure façon de parler aux jeunes, c’est de montrer des images. Aucun discours ne peut mieux le décrire », explique-t-il.
Les photographies choisies, mêlant intimité et grandeur d’État, témoignent du parcours paradoxal d’un homme : nationaliste visionnaire pour certains, dictateur implacable pour d’autres.

L’exposition, précise la famille Mobutu, n’est pas un plaidoyer politique. Il s’agit, selon eux, d’un acte de mémoire collective, une invitation à réfléchir à la complexité d’un héritage que la société congolaise peine encore à aborder sans passion ni rejet.

Une histoire nationale en quête de réconciliation avec son passé

L’initiative de cette exposition révèle une évolution notable dans la manière dont la RDC traite son passé. Longtemps diabolisée ou effacée, la figure de Mobutu revient peu à peu dans l’espace public, non comme un modèle, mais comme un chapitre incontournable de l’histoire nationale.

Cette relecture s’inscrit dans un contexte où le pays cherche à reconstruire un récit collectif après des décennies de crises politiques. En ce sens, « Mobutu, une vie, un destin » dépasse la dimension muséale : elle devient un miroir tendu à la nation, invitant les Congolais à affronter leur mémoire, à accepter leurs contradictions et à interroger les sources de leur identité politique.

Entre grandeur et controverse

L’exposition met en lumière le paradoxe Mobutu : bâtisseur d’un État moderne et promoteur d’une identité nationale forte, mais aussi architecte d’un régime autoritaire, miné par la corruption et la répression. Le parcours, des débuts dans le journalisme jusqu’à la chute du régime en 1997, montre les deux visages du maréchal : celui du patriote et celui du despote. Pour les jeunes générations, souvent éloignées de cette mémoire, l’exposition représente une découverte historique. Pour les plus anciens, elle agit comme un retour sur un passé ambivalent, empreint à la fois de nostalgie et de lucidité.

Prévue initialement jusqu’au 30 octobre, l’exposition a été prolongée à une date ultérieure, signe d’un succès public considérable. Chaque jour, des centaines de visiteurs se pressent pour découvrir cette fresque historique qui, au-delà du culte de la personnalité, pose une question essentielle : comment une nation peut-elle se reconstruire sans regarder son passé en face ?

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