Présidentielle en Tanzanie: Amnesty International dénonce un scrutin verrouillé et un climat de peur

À une semaine du scrutin présidentiel du 29 octobre, Amnesty International tire la sonnette d’alarme : la Tanzanie s’enfonce dans la répression. L’ONG dénonce des disparitions, des arrestations arbitraires et la disqualification systématique des candidats d’opposition, dans un contexte où la présidente Samia Suluhu Hassan, en campagne, semble seule en lice.
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« Je suis la commandante en chef des forces armées », déclare Samia Suluhu Hassan, le poing levé devant une foule acquise, rassemblée à Dar es Salaam. En meeting ce mardi, la cheffe de l’État a exhorté les Tanzaniens à voter massivement le 29 octobre, promettant paix et stabilité sous sa direction. Mais pour Amnesty International, cette paix repose sur la peur.
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Dans un rapport publié lundi, l’organisation de défense des droits humains dresse un tableau sombre du climat politique à l’approche du scrutin. Elle accuse le pouvoir d’avoir transformé les institutions de l’État en outils de répression, en s’appuyant sur la justice, la police et la Commission électorale pour neutraliser toute opposition.
Disparitions, arrestations et silence imposé
« Personne n’est épargné », alerte Roland Ebole, chercheur à Amnesty International, chargé de la Tanzanie et de l’Ouganda. « Nous documentons la disparition d’un jeune TikTokeur arrêté pour avoir simplement publié une caricature. Il a été libéré après qu’une collecte citoyenne a permis de payer son amende. Quelques jours plus tard, il a disparu. »
L’ONG évoque aussi la disparition d’un ancien ambassadeur de Tanzanie à Cuba, des arrestations arbitraires de militants, la fermeture de milliers d’églises et l’intimidation croissante des défenseurs des droits humains. Selon Amnesty, plus de 500 membres du principal parti d’opposition, le Chadema, ont été arrêtés pour avoir tenté de se rassembler l’an dernier.
Une élection sans véritable opposition
À neuf jours du scrutin, le paysage politique paraît entièrement verrouillé. Le principal opposant, Tundu Lissu, est toujours en prison, poursuivi pour trahison — un crime non libérable selon la loi tanzanienne. Un autre candidat, Luhaga Mpina, ancien membre du parti au pouvoir passé à l’opposition, a été disqualifié par la Commission électorale malgré une décision de justice en sa faveur.
Pour Amnesty, ces décisions ne laissent aucune place au doute : « Sous John Magufuli ou Jakaya Kikwete, les élections étaient entachées de fraude, explique Roland Ebole. Cette fois, la tactique a changé : on ne se contente plus de manipuler les urnes, on élimine les opposants avant même qu’ils puissent se présenter. »
L’organisation dénonce aussi la multiplication des partis « fantômes », proches du pouvoir, destinés à donner l’illusion d’un pluralisme. « Ce sont des créations de l’État, ajoute le chercheur. Tout est mis en scène pour que la présidente puisse marcher seule vers la victoire. »
De l’ouverture à la dérive autoritaire
L’ironie de la situation n’échappe à personne. À son arrivée au pouvoir en 2021, après la mort soudaine de John Magufuli, Samia Suluhu Hassan avait suscité un rare espoir. Première femme présidente du pays, elle avait rouvert plusieurs médias interdits, levé la suspension des rassemblements politiques et réintégré à l’école les jeunes filles enceintes – une mesure particulièrement saluée à l’époque.
« Il y avait tellement d’optimisme, surtout pendant la première année et demie, se souvient Roland Ebole. Puis tout a commencé à se dégrader. Peut-être à cause de la perspective des élections : elle voulait consolider son pouvoir. »
Contrairement à ses prédécesseurs, Samia Suluhu Hassan n’a jamais été élue. Elle a hérité du pouvoir à la mort de John Magufuli, dont elle était vice-présidente. « Elle cherche à asseoir son autorité, mais en recourant aux mêmes pratiques qu’elle avait promis d’abandonner », souligne Roland Ebole.



