Présidentielle en Côte d’Ivoire: Jean-Louis Billon, le candidat qui ne veut plus jouer les seconds rôles

« Rien ne sert de courir, il faut partir à point. » L’une des devises favorites de Jean-Louis Billon ne s’est jamais aussi bien illustrée que pour cette campagne 2025 en Côte d’Ivoire. Après y avoir longtemps songé et un peu tergiversé, le dirigeant d’entreprise se lance. « Enfin ! », se réjouissent ses supporters, tant il est vrai que le député de Dabakala a longtemps rongé son frein.

À 60 ans, Jean-Louis Billon est donc le cadet des cinq candidats à la présidentielle 2025, mais pas nécessairement le moins expérimenté.

Natif de Bouaké, il est, avec ses frères, l’héritier du plus grand groupe privé de Côte d’Ivoire, Sifca. Une entreprise agro-alimentaire qui emploie dans le pays et dans la sous-région 32 000 salariés dans les domaines de l’hévéa, de l’huile de palme ou du sucre de canne. Une entreprise qui s’est construite en même temps que l’histoire ivoirienne.

« Pierre Billon, le père de Jean-Louis, était un très proche d’Henri Konan Bédié. À l’époque, Bédié était ministre de l’Économie et des Finances et Pierre posait les bases de ce qu’allait devenir Sifca, dans la construction et l’agriculture. C’était la génération dorée d’une époque bénie en Côte d’Ivoire ou le « Vieux » [Félix Houphouët-Boigny, premier président du pays de 1960 à 1993, NDLR] construisait la Côte d’Ivoire indépendante », se souvient un ancien cadre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).

De cette proximité sont nés des liens indéfectibles entre les deux familles. Chacune prospérant, l’une en politique et l’autre en économie…

Pas épargné par les épreuves

Après des études en France puis aux États-Unis, Jean-Louis Billon prend en 1995 la tête du secrétariat général puis la direction de Sifca, au décès de son père.

Surtout, il préside dans la foulée la Chambre de commerce et d’industrie ivoirienne (CCI-CI) à une période charnière du pays, alors qu’en 2002, celui-ci est scindé en deux entre zones rebelle et légaliste.

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Parmi les 3 000 morts que comptera la Côte d’Ivoire pendant la crise post-électorale de 2010-2011, il en est un qui marquera profondément la famille Billon. En avril 2011, l’enlèvement et l’assassinat effroyable de Yves Lambelin par les hommes de Laurent Gbagbo crée un choc dans le pays et surtout dans la « famille Sifca ». Jean-Louis Billon, lui-même menacé par le camp du président, réfugié en France, apprend la mort de celui qui fut le plus fidèle bras droit de son père, sorte de deuxième figure tutélaire. « Cela a été catastrophique pour tout le monde. Ça a été dramatique, dramatique, pour lui et pour toute la famille ! », se souvient un proche collaborateur de l’ex-président de la CCI-CI. « Mais, et c’est cela qui est remarquable chez Jean-Louis, c’est qu’il n’y a pas de rancœur, pas de volonté de revanche. Juste du fatalisme et de la mémoire. »

Fataliste, mais déterminé

Se remettant de ce deuil, revenant dans un pays où les pro-Front populaire ivoirien (FPI) lui promettaient un destin funeste pour lui et son entreprise, Jean-Louis Billon franchit ensuite la porte du gouvernement Kablan Duncan en tant que ministre du Commerce, en 2012.

Déjà, à cette époque, il n’a qu’une idée en tête :  la présidentielle. Il faut donc faire ses armes. Mais le monde de la politique est pavé de chausse-trappes autrement plus complexes et tortueuses que celles des affaires.

D’ailleurs, quand Billon devient ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion des PME, son franc-parler ne s’accorde pas toujours bien avec les réalités du terrain. La bonne gouvernance et des méthodes managériales pas toujours appréciées chez les fonctionnaires, peu habitués à ce genre de discours, créent quelques remous dans son ministère. Plus tard, l’attribution du Terminal T2 du port d’Abidjan au français Bolloré par l’État ivoirien finit de briser la belle harmonie avec le gouvernement.

Quittant son ministère, Jean-Louis Billon devient porte-parole du PDCI en 2017. Très vite, ses ambitions présidentielles transparaissent. Mais en 2020, le patron du parti, Henri Konan Bédié, lui prie de se retirer pour affronter lui-même Alassane Ouattara.

Et, cinq ans plus tard, alors que le PDCI n’a pas concouru à la fonction suprême depuis 2010 et qu’il s’estime le plus qualifié pour la tâche, il doit à nouveau se résoudre – au terme d’un psychodrame l’opposant à Tidjane Thiam – à ne pas être investi au nom du PDCI.

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Mais cette fois, Billon, n’avalera pas cette couleuvre et, épaulé par plusieurs micro partis formant le Code (Congrès Démocratique), il se lance donc dans la bataille présidentielle.

À l’image d’Ahoua Don Mello pour le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), il espère recueillir les suffrages d’électeurs qui n’auront pas de candidats étiquetés PDCI le 25 octobre prochain.

Héritier d’un groupe, fils mal-aimé d’un parti

La partie ne sera pas simple, augure un journaliste ivoirien membre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), la formation présidentielle, qui observe la vie électorale depuis des décennies. « Billon a deux problèmes : le PDCI, quelque part, dans la tête des militants, c’est une affaire d’abord de Baoulé. Le choix politique est aussi lié à l’origine ethnique chez les Baoulés, c’est le matriarcat qui prédomine. Or, Billon n’est pas Baoulé. Dans ce prolongement, la question de l’ancrage se pose aussi. Si chacun a sa zone de prédilection – Laurent Gbagbo dans l’Ouest et Alassane Ouattara dans le Nord – Jean-Louis Billon, s’il a réussi l’exploit de s’imposer dans le nord à Dabakala et dans le Hambol, n’est pas « identifié » à une zone du pays. Cela peut être un handicap au moment final du vote », conclut ce confrère.

Un argument que balaient de la main ses supporters et son équipe de campagne. Au premier rang desquels Valérie Yapo. Directrice nationale de campagne, chargée de la zone de l’Est, et toujours membre, comme Billon, du bureau politique du PDCI-RDA. Elle est aussi catégorique qu’optimiste : « Je le connais depuis l’époque de la Chambre de commerce. J’étais au ministère de l’Industrie et des PME. Ce qui m’a marquée, c’est son côté très méthodique. Quand il dit qu’il a une ambition, il se donne les moyens d’y parvenir. Tout ce qu’il a entrepris, il l’a réussi : Sifca, la mairie de Dabakala, la région du Hambol, la présidence de la Chambre de commerce. Alors pourquoi pas la présidence ivoirienne ? Il s’est apprêté. Je pense qu’il sera solide pour battre Ouattara, bien sûr ! ».

« Jean-Louis coche toutes les cases »

La carte jeune, celle d’une forme de renouveau, c’est évidemment celle que joue à fond l’homme d’affaires. « Il faut que les anciens laissent la place. C’est à vous de faire votre choix, de décider qui vous voulez », scande-t-il dans ses meetings qui appellent au changement de génération.

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Bien sûr, la partie ne semble pas jouée et si Jean-Louis Billon peut se prévaloir d’avoir sillonné le pays de long en large depuis des années, il ne pourra profiter de l’outil d’un parti comme le PDCI face à la machine de guerre du RHDP derrière Alassane Ouattara.

Ainsi, commente l’un de ses chargés de communication : « Pas de PDCI ? Ce n’est pas grave ! Il mène campagne, il a une vraie crédibilité par sa personnalité, son parcours. Le sujet, c’est que les électeurs veulent élire un président capable de répondre aux enjeux du pays. Et à ce niveau-là, Jean-Louis coche toutes les cases :  il est déterminé ! »

Son équipe de campagne loue son sens de la formule lorsqu’il propose une nouvelle politique agricole pour le pays, à l’image de ce que fit, en son temps, Houphouët-Boigny. Quand le premier employeur privé de Côte d’Ivoire milite pour le plein emploi pour les jeunes ou la fin des « mauvaises pratiques », Jean-Louis Billon prône la souveraineté économique, la préférence nationale et le patriotisme économique. Son équipe est convaincue que ce discours résonne aux oreilles de l’électorat.

Et Valérie Yapo de conclure : « On peut imaginer que ne pas être investi PDCI est un problème. Mais c’est sûr que dans le secret de l’isoloir, il y a des militants qui vont voter pour lui. On sait que des cadres du parti donnent, en sourdine, des mots d’ordre en sa faveur. Beaucoup de militants vont voter pour lui, ne serait-ce que parce que Jean-Louis a cette image d’honnêteté ! Je me rappelle quand il était maire, il ne touchait pas son salaire. Quand il était président du Conseil régional, il le donnait à ses chefs de village. Quelqu’un comme ça, son honnêteté touche ! »

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