Présidentielle en Côte d'Ivoire: Ahoua Don Mello, le disrupteur assumé

En se déclarant candidat à la présidentielle du 25 octobre sans l’aval de son mentor, Laurent Gbagbo, Ahoua Don Mello a créé la surprise dans la course à la fonction suprême. Son programme ambitieux pour « une Côte d’Ivoire souveraine » montre toute la technicité de cet ingénieur en travaux publics et représentant des Brics pour l’Afrique. Mais, pour avoir souvent fait cavalier seul, le leadership du communiste sur la scène politique ivoirienne reste encore à démontrer.
La rupture, Ahou Don Mello veut l’incarner jusqu’au cou. Littéralement. Lui qui apparaît le plus souvent en chemise col mao, contrairement à ses homologues technocrates et politiciens cravatés à toutes occasions. Un style en accord avec ses idéaux de gauche, voire d’extrême gauche, pour celui qui ne cache ni son appartenance au Parti communiste français, ni son tropisme pour l’ancien bloc de l’Est, notamment la Russie. À tel point que ses interlocuteurs lui en font toujours la remarque… et le reproche.
« Dans un monde multipolaire, il faut développer la coopération multipolaire, car il faut prendre le meilleur où qu’il se trouve », rassure Don Mello début octobre lors d’une interview à la chaîne ivoirienne NCI, alors qu’on lui demande s’il ferait de Moscou le principal partenaire d’Abidjan, au détriment de Paris.
Redéfinir les relations franco-ivoiriennes
Mais l’homme de gauche entend bien redéfinir en profondeur les relations qu’entretient son pays avec la France, et l’Occident en général. La conférence de Berlin qui partage le continent à la règle, l’aliénation coloniale, l’exploitation des matières brutes par les multinationales contre l’obtention de produits transformés par ces mêmes multinationales, la crise ivoirienne et la crise libyenne toutes deux provoquées par « le monde hégémonique »… Autant d’arguments qu’ADM rabâche à longueur d’interviews comme fondements de son programme de ruptures.
Première de ces ruptures : celle avec Laurent Gbagbo. L’ex-président, condamné par la justice ivoirienne, se retrouve hors des listes électorales, et donc inéligible. Don Mello lui suggère de désigner « un candidat de précaution » au sein de son nouveau parti PPA-CI – le FPI historique étant toujours présidé par Pascal Affi N’Guessan, son ancien Premier ministre avec qui Gbagbo reste en froid. Le refus de l’opposant historique pousse son vice-président chargé de la Promotion du panafricanisme à annoncer sa propre candidature en indépendant, une semaine avant celle du président sortant Alassane Ouattara.
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« Car une alternance sans alternative ne veut rien dire ! », explique Kouamé Kouakou, directeur de cabinet de Don Mello, lors de son passage sur la chaîne nationale Life TV. « Nous avons obtenu nos parrainages dans 27 régions du pays, souligne-t-il avec satisfaction. Ahoua Don Mello était le dernier candidat à se déclarer, nombre d’observateurs ne croyaient pas qu’on aurait les parrainages nécessaires. On les a obtenus en seulement deux semaines. » Une manière de montrer que la majorité des cadres et militants du PPA-CI de Gbagbo estiment qu’il ne faut pas boycotter le scrutin, et ce malgré la suspension du dissident de la direction du parti.
La rencontre
Selon sa biographie officielle, Ahoua Don Mello, 67 ans, est né à Bongouanou, dans l’est ivoirien. Diplômé comme ingénieur en travaux publics de l’Institut polytechnique de Yamoussoukro, il décroche son doctorat à l’École nationale des ponts et chaussées de Paris. C’est justement en France qu’il se rapproche des militants communistes, avant de faire la rencontre d’un certain Laurent Gbagbo. Quand ce dernier accède au pouvoir en 2000, il nomme ADM comme directeur général du Bureau national d’études techniques et de développement, le fameux BNETD. Il y pilotera la conception des infrastructures nationales… jusqu’en 2011, année de la chute de la maison Gbagbo après son arrestation par les Forces nouvelles, la rébellion soutenant le vainqueur contesté de la présidentielle Alassane Ouattara, lui-même appuyé par la France. Entretemps, la guerre civile qui sévissait depuis cinq mois avait déjà causé la mort d’au moins 3 000 personnes selon les Nations unies, traumatisant durablement la société ivoirienne.
Comme nombre des figures et militants du FPI, Don Mello s’exile et met ses compétences au service de gouvernements et dirigeants africains. L’esprit toujours marqué à gauche, il consolide un carnet d’adresse auprès des puissances émergentes (Turquie, Inde, Brésil) et affirmées (Chine, Russie), avant de devenir le représentant Afrique des Brics, puis en 2022 vice-président de l’Alliance des Brics chargé des projets stratégiques. Une nomination qu’il doit à la diplomatie russe, selon Africa Intelligence (06/05/2022). Son entregent le conduit à Sékhoutouréyah, le palais présidentiel de Conakry, où il conseille Alpha Condé sur les grands projets d’infrastructures, avant, là aussi, le putsch en 2021 contre le dirigeant guinéen, également ex-opposant historique de gauche et également tenté par un troisième mandat anticonstitutionnel. L’histoire se répète.
Panafricanisme
L’ingénieur revient alors en Côte d’Ivoire à la faveur du retour de son mentor, fraîchement innocenté par la Cour pénale internationale (CPI) des accusations de crime contre l’humanité, après une décennie en détention à La Haye. Laurent Gbagbo abandonne le FPI devenu à ses yeux « une enveloppe vide » sous la direction de Pascal Affi N’guessan et fonde le PPA-CI. Don Mello est installé à la vice-présidence pour la Promotion du panafricanisme, un thème cher à ADM. Avant sa récente révocation pour s’être porté candidat à la fonction suprême. « Nous sommes face à un pouvoir libéral qui fait fi de la justice sociale, poursuit le dircab, Kouamé Kouakou. La plupart de nos militants rejettent la politique de la chaise vide qui n’arrange que Ouattara. »
Sur ce point, son candidat rejoint Simone Ehivet, affranchie de son ex-époux Laurent Gbagbo et également candidate. Amnistiée par Ouattara en 2018, l’ex-Première dame conserve une certaine popularité auprès des Ivoiriens et a su promouvoir le pardon plutôt que la revanche contre ceux qui l’ont délogée de la présidence manu militari sept ans plus tôt. Les programmes respectifs des deux figures de la gauche ivoirienne se rejoignent également : la souveraineté, la transformation de l’économie et le panafricanisme.
« Simone et moi partageons parfaitement la même vision de la société, nous sommes interchangeables », confirme Don Mello, laissant ainsi entendre la possibilité d’une candidature unique, bien que l’échéance électorale soit prévue dans moins d’une semaine (25 octobre), dans un pays où les alliances politiques se font aussi vite qu’elles se défont. « À trois jours des élections, on peut changer l’histoire de cette Côte d’Ivoire, balaie d’un argument le candidat. Il n’est jamais trop tard pour se donner les moyens de changer le cours de l’histoire. Donc, nous continuons de discuter avec Simone Ehivet et nous pensons que nous arriverons à une stratégie commune. »
Fin du franc CFA
Si les programmes des deux prétendants au fauteuil présidentiel sont « interchangeables », celui d’ADM parait bien plus détaillé et prospectif. Bien trop pour avoir été élaboré à la dernière minute. Dans les trente pages de ses 42 propositions pour la Côte d’Ivoire souveraine, l’ingénieur déroule avec pédagogie toute sa technicité et sa connaissance des dossiers, pour mettre en œuvre un programme véritablement disruptif : loi d’amnistie pour tous dès son accession au pouvoir, création d’un Conseil des Sages composé des forces vives de la nation pour rééquilibrer la démocratie, fin du franc CFA, développement du chemin de fer, économie mixte, nationalisation des secteurs stratégiques, industrialisation massive, investissements dans la technologie de pointe, mise en place de centres de commerces pour tirer profit des activités informelles…
Mais le grand chantier de Don Mello reste la souveraineté véritable, à savoir « rompre avec l’ordre néocolonial », clame son directeur de cabinet : fin des accords de défense avec la France qui sont les « derniers liens coloniaux », selon le candidat qui juge sur NCI que « beaucoup de sociétés militaires privées françaises sont en Côte d’Ivoire », sans jamais préciser lesquelles ; mise en place d’un complexe militaro-industriel « pour assurer notre propre défense » ; transformation locale du cacao ivoirien (qui pèse pour 40% du commerce mondial de la fève) afin de passer « de l’ère du cacao à l’ère du chocolat ».
Souveraineté
Son obsession pour la souveraineté accompagne sa volonté de multiplier la coopération multipolaire, en particulier avec la Chine et la Russie. Son penchant moscovite est totalement assumé : « Avoir peur des Russes, c’est de l’auto-intoxication, plaide-t-il. La Russie fait du commerce comme tout le monde. »
Si la Russie a toujours été un partenaire de l’Afrique, et ce depuis les Indépendances, la vente d’armes constitue l’essentiel de son commerce avec le continent, soit 40 à 50% du marché africain en 2021, selon un rapport récent du chercheur Thierry Vircoulon pour l’Institut français des relations internationales (Ifri). Cette même année, les échanges commerciaux s’élevaient à 22 milliards de dollars. Très loin derrière la France (30 milliards) et encore plus loin de la Turquie (40 milliards).
Les sanctions occidentales liées à l’invasion en Ukraine ont en partie freiné les investissements vers le continent, mais « la plupart des grands projets de coopération économique mis en avant par Moscou concernent le secteur énergétique, point de convergence de la demande africaine et de l’expertise russe, analyse Vircoulon. Mais cette coopération pour de grands projets d’infrastructures énergétiques est plus apparente que réelle, faute de capacités financières suffisantes. » Ce que ne peut ignorer Don Mello en sa qualité de représentant Afrique des Brics.
Rupture
En matière de défense, le russophile se garde bien de relever l’inefficacité du groupe paramilitaire Wagner, dont les exactions massives et cruelles contre des centaines de villageois maliens et centrafricains sont largement documentées, sans jamais avoir réussi à enrayer le terrorisme dans le Sahel ou en Mozambique. À cela s’ajoute la grande opacité autour des exploitations d’or et d’hydrocarbures de Wagner au Mali, au Soudan et en Libye.
Loin de la caricature « anti-Occident » en vogue dans le Sahel, Ahoua Don Mello veut surtout « répondre aux besoins de la Côte d’Ivoire en toute souveraineté » avec tout partenaire respectant ces principes. Raison pour laquelle il se déclare « totalement en faveur de l’Alliance des États du Sahel », allant jusqu’à proposer une réforme de la Cédéao, désuète à ses yeux, et former une nouvelle entité avec les sortants malien, burkinabè et nigérien. Encore une rupture.
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