Niger: pourquoi une affaire d'outrage à la pudeur se retrouve liée à une grève dans le secteur de la justice

Au Niger, le Syndicat autonome des magistrats (Saman) appelle à une grève à compter de ce 15 août 2025 contre la radiation de son secrétaire général. Un nouvel épisode dans la crise grandissante entre le secteur de la justice et les autorités. Crise en partie liée à la mutation d’un juge peu de temps après son verdict dans une affaire d’outrage à la pudeur. Explications.
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Au Niger, deuxième jour de grève des avocats ce 15 août 2025. Le barreau appelle à déposer la robe suite à la dissolution de cinq syndicats du secteur de la justice, la semaine précédente, par les autorités nigériennes. Parmi eux : le Syndicat autonome des magistrats du Niger (Saman).
Le secrétaire général du Saman a par ailleurs été radié du corps de la magistrature, selon un décret présidentiel. En réaction le Saman annonce une grève illimitée jusqu’à sa réintégration.
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Parmi les autres points de crispation entre les magistrats et le ministre de la Justice, récemment : la mutation d’un juge peu de temps après son verdict dans une affaire d’outrage à la pudeur et de soupçons d’homosexualité.
Le mois dernier, deux jeunes femmes suspectées d’entretenir une relation homosexuelle se retrouvent devant le tribunal de grande instance de Niamey. Dénoncées par une tierce personne, elles sont poursuivies pour outrage public à la pudeur. Le ministère public requiert alors trois ans de prison ferme. Le juge prononce finalement la relaxe la semaine dernière. Il estime que les faits relèvent de la sphère privée et non publique.
La mutation du magistrat, deux jours plus tard, suscite des inquiétudes dans le monde judiciaire. L’affaire est même évoquée par le garde des sceaux, lors de son point de presse sur la dissolution des syndicats du secteur. Alio Daouda critique la décision rendue « dans un pays musulman à 99% ».
Le code pénal nigérien en vigueur ne punit pas l’homosexualité
Tout en rappelant l’importance de la séparation des pouvoirs, certaines sources judiciaires précisent qu’une décision de justice se base sur le droit, et non sur un contexte social ou culturel. Or, le code pénal nigérien en vigueur ne punit pas l’homosexualité.
En revanche, la Charte de la refondation, dans son article 25, si. Mais l’ordonnance pour déterminer les peines et les éléments matériels n’a pas encore été prise.
Crise entre le secteur de la justice et la junte nigérienne: «C’est la première fois que les militaires font face à du répondant»
Y a-t-il une crise ouverte entre les pouvoirs exécutif et judiciaire ? Pour l’analyste Seidik Abba, président du Centre international d’études et de réflexion sur le Sahel, c’est en tout cas la première grande épreuve que le régime militaire nigérien affronte depuis sa prise de pouvoir, en juillet 2023. « Par le passé, il y a eu quelques déceptions dans la société civile, quelques manifestations. Mais c’est la première grande épreuve qu’il affronte, souligne-t-il au micro de Magali Lagrange. Car, au-delà du corps de la magistrature, les autres syndicats se sont inquiétés et ont manifesté leur solidarité avec les magistrats et sont prêts à soutenir les magistrats, y compris en débrayant eux aussi ». Il poursuit : « Pour les militaires, c’est la première fois quand même qu’ils font face à du répondant. Parce que, par le passé, que ce soit la presse ou d’autres milieux, ils ont pu asseoir leur répression sans grande difficulté. Mais là, c’est un pouvoir, le pouvoir judiciaire qui est en train de s’organiser, puisqu’il y a la mobilisation des avocats. Maintenant, il y a la mobilisation des magistrats. Et ça va avoir des implications, quel que soit l’issue de ce bras-de-fer. Je pense qu’il y aura un avant et un après cette crise avec le Saman. C’est la stabilité même du régime qui se joue. »