Mali: l'ancien ministre des Affaires étrangères Tiébilé Dramé est décédé

C’est la disparition d’une figure importante de la classe politique malienne. L’ancien ministre malien des Affaires Etrangères Tiébilé Dramé est décédé ce mardi 12 août à Paris des suites de maladie. Leader du Parti pour la renaissance nationale (Parena), dans un pays où les partis politiques ont été dissous par la junte, Tiébilé Dramé a été de tous les combats pour l’instauration de la démocratie dans son pays.
Avec notre correspondant régional, Serge Daniel
De loin, on le reconnaît à sa grande taille. En costume strict ou en emmitouflé dans un boubou traditionnel, Tiébilé Dramé a de la prestance, mais aussi du bagout. Polyglotte, il a très tôt été engagé politiquement dans les 1970 et 1980 contre le régime du général Moussa Traoré, sous le régime du parti unique. Au moins à deux reprises, il a fait de la prison pour les idées démocratiques qu’il défendait. Il a même été torturé.
En 1980, il fut déporté dans la localité de Boureissa, dans le nord du Mali. L’homme a également connu l’exil. Il a travaillé à Amnesty International où il a contribué à dénoncer la violation des Droits de l’homme sur le continent. Tiébilé Dramé a également travaillé pour les Nations unies, notamment en Haïti.
Sur le plan national, c’est un important personnage du monde politique. Il fut notamment le numéro un du Parti pour la renaissance nationale (Parena) avant la dissolution des partis par la junte.
Tiébilé Dramé, mort à 70 ans, a occupé plusieurs postes ministériels, celui par exemple des Affaires étrangères. Très attaché à son pays, Tiébilé Dramé, était également un panafricaniste.
Malade ces derniers temps, il s’exprimait très peu sur la vie politique locale. Mais aucun doute, « Tiébilé », comme on l’appelait, ne voyait pas un bon œil la politique de la junte au pouvoir.
Tiébilé Dramé a dédié sa vie au Mali depuis sa prime jeunesse, devenant un des premiers jeunes prisonniers politiques du Mali en 1979 à 22 ans.
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Témoignage
Par Yves Rocle et Christophe Boisbouvier, anciens directeurs adjoints chargés de l’Afrique, à RFI (2012 – 2023)
Les deux grands combats de Tiébélé
Tiébilé était un homme libre et il s’est battu pour cela. Jeune adulte, il a connu la prison et le bagne, dans le grand désert du nord du Mali. C’était sous le régime militaire de Moussa Traoré (1968-91). Depuis toujours, cet homme de l’ouest – il est né en juin 1955 à Nioro du Sahel, près de la frontière mauritanienne – s’est opposé courageusement aux dictatures. Enseignant et syndicaliste à Bamako, puis militant au siège d’Amnesty International à Londres, Tiébilé a été l’un des grands inspirateurs de la révolution de mars 1991, qu’il a ensuite accompagnée comme ministre des Affaires étrangères et comme vigie de la démocratie. En 1992, il fonde le journal Le Républicain. En 1995, il crée le Parena, Parti pour la Renaissance Nationale.
Parce qu’il était un homme libre, Tiébilé refusait tous les diktats. Certes, en janvier 2013, il a défendu publiquement l’opération Serval, par laquelle l’armée française a repoussé une offensive jihadiste sur Mopti et Bamako. Mais six mois plus tard, il n’a pas hésité à dénoncer l’ingérence de la France dans le calendrier électoral malien, notamment cette petite phrase de François Hollande : « Nous voulons qu’il y ait des élections au Mali à la fin du mois de juillet et ça, nous serons intraitables là-dessus. »
L’autre grand combat de sa vie a été le dialogue. En juin 2013, grâce à ses talents de négociateur expérimenté – il avait déjà œuvré pour l’ONU à Madagascar et en Haïti –, Tiébilé a réussi à faire signer un accord de paix entre le pouvoir central et les groupes armés du nord du Mali. Contre l’avis du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et de la France, il a ensuite affirmé que le retour de la paix dans son pays devait passer par un dialogue avec les jihadistes maliens. En mai 2019, cela n’a pas empêché IBK de l’appeler au gouvernement, où il a repris les Affaires étrangères. Et même à ce poste, il a continué à soutenir et organiser ce dialogue, faisant grincer beaucoup de dents. Difficile d’ignorer les sages conseils et l’expertise d’un homme de cette trempe.
Tiébilé était un homme de cœur. Même si la liberté et le dialogue ont été les deux grands combats de sa vie, il est une valeur qui, pour lui, surpassait tout. C’est l’amitié. Dès qu’il a rencontré notre consœur de RFI Ghislaine Dupont – c’était lors de la révolution de mars 1991 à Bamako – , un lien unique s’est créé entre eux. Le 2 novembre 2013, quand Claude Verlon et elle ont été assassinés à Kidal, Tiébilé est « resté sonné un long moment », comme il l’écrira dix ans plus tard dans Jeune Afrique. « J’ai perdu ma sœur », dira-t-il. Le lendemain du drame, à l’aéroport de Bamako, il nous a accueillis comme une famille, Marie-Christine Saragosse, Cécile Mégie et nous deux. Il était en deuil, on était en deuil et l’on pleurait ensemble. Puis il est venu à Paris pour témoigner à la cérémonie au Musée du Quai Branly. Il nous a tous fait rire en nous racontant que c’est Ghislaine qui lui avait décrypté l’expression « Gros-Jean comme devant »…
Tiébilé était un homme fidèle en amitié. Le 2 novembre 2023, lors du dixième anniversaire du double crime de Kidal, il est revenu à Paris pour assister à la cérémonie à la Bibliothèque François Mitterrand. Une fois que la salle a été plongée dans l’obscurité, il s’est glissé sans bruit jusqu’au premier rang et s’est assis à côté de Marie-Solange, la maman de Ghislaine, qu’il aimait tant. Et le 21 avril dernier, alors que la maladie le faisait déjà souffrir, il a partagé le repas de l’amitié avec nous, dans un restaurant de ses habitudes, quartier Beaugrenelle à Paris. Il nous a parlé de Kadiatou, sa chère épouse, et de ses enfants, qui veillaient sur lui avec beaucoup de tendresse.
Il y a un mot par lequel Tiébilé terminait souvent ses messages écrits sur nos téléphones : « Bien fraternellement ». La fraternité, ça comptait pour lui. Et puis c’était sa pudeur pour ne pas dire : « Amitié ». Un jour de mars 2022, son camarade de toujours, l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, est mort dans une prison de Bamako. Tiébilé a pris son risque. Devant la dépouille mortelle de son ami, il a prononcé son oraison funèbre, n’en déplaise aux militaires qui avaient pris le pouvoir dix mois plus tôt et embastillé « Boubèye ». Et il a eu cette phrase d’espérance : « Ne pas raser les murs, assumer le bilan, rassembler tous ceux qui se reconnaissent dans les idéaux et les acquis la révolution de mars 1991, telles sont les tâches aujourd’hui et maintenant, demain et après-demain ». Adieu l’ami. Respect.