Madagascar: «La ligne pour un gouvernement de sortie de crise n’est pas encore trouvée»

Onze jours après le début de la mobilisation inédite de la jeunesse malgache, la Grande Île se trouve plongée dans une période d’incertitudes. Le nouveau Premier ministre, qui aurait dû être nommé jeudi 2 octobre selon le délai que s’était fixé le chef de l’État, se fait toujours attendre. L’équation à résoudre pour former un nouveau gouvernement est extrêmement complexe, explique Christiane Rafidinarivo, politologue, chercheuse associée au Cevipof-Sciences Po et qui a co-dirigé l’ouvrage Démocratisation de la démocratie : Mouvements sociaux, institutionnalisations citoyennes et mobilisations numériques.
RFI : La nomination attendue d’un nouveau gouvernement peut-elle calmer la colère ? Dans quelles conditions ?
Christiane Rafidinarivo : le président Andry Rajoelina a différé la nomination d’un Premier ministre et la formation d’un nouveau gouvernement. Cela signifie que la ligne pour un gouvernement de sortie de crise n’est pas encore trouvée. Cela est dû à un constat : le rapport de force se durcit avec les manifestants parce que le mouvement s’élargit aux sociétés civiles, aux fonctionnaires, aux élus. Les manifestations, voire les grèves, se généralisent et la visibilité du mouvement se globalise.
Ce que l’on constate aussi, c’est que la répression se poursuit avec des violences accrues, y compris contre des journalistes ou des hospitaliers. Se révèle aussi maintenant de plus en plus clairement une milicianisation émergente, notamment en termes de pillages et d’actions en vue de briser le mouvement, avec des commanditaires qui ne sont pas tous identifiés. Il y a un paradoxe : un gouvernement de sortie de crise est annoncé avec un rapport de force qui se durcit sur le terrain. Au-delà de la colère, c’est la défiance qui prédomine dans tous les cercles, y compris ceux qui sont proches du président lui-même.
Le président aurait deux options : soit un gouvernement d’union nationale, mais les oppositions ne veulent pas participer. Ou un gouvernement technique, apolitique, qui répondrait immédiatement aux revendications. Mais quel Premier ministre inspirerait confiance dans ce contexte de défiance généralisée ? Si former un gouvernement est présenté, du point de vue du président, comme une alternative à sa démission, cela a pour l’instant très peu de chance de produire une sortie de crise.
Les groupes de pression sont là et sont en concurrence autour du président. Chacun veut faire place nette pour faire prévaloir ses intérêts. Il est probable que le président lui-même, dans sa tentative de former un gouvernement, soit en difficulté. Pas seulement par rapport aux manifestants, ce qui est déjà une chose importante, mais par rapport à ces réseaux qui sont beaucoup moins visibles et qui sont très puissants.
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Comment analysez-vous le cycle de consultations ouvert samedi 4 octobre par le président Rajoelina ?
Puisqu’il a choisi de ne pas démissionner, il cherche une équation de sortie de crise. Mais il est aussi évident que pour aller vers une sortie de crise, il doit donner des garanties de démocratie délibérative. Consulter n’engage à rien. En revanche, ça peut être une forme de garantie vis-à-vis des instances internationales pour montrer qu’il est dans une démarche ouverte, qu’il continue de dialoguer dans un processus d’apaisement.
Pourtant, la répression sur le terrain marque un déni des droits fondamentaux. Sa posture est donc paradoxale et révèle probablement une partie de son impuissance.
Le Conseil des Églises chrétiennes s’est dit prêt à jouer un rôle de médiation : est-ce un acteur crédible pour permettre une sortie de crise ?
Historiquement, le Conseil des Églises chrétiennes a toujours joué un grand rôle dans les changements de systèmes politiques à Madagascar. Il est fidèle à lui-même quand il se propose comme médiateur.
Cela correspond aussi aux attentes de la population. Que l’on soit chrétien ou pas, dans la culture politique malgache, l’opinion considère que le rôle du Conseil des Églises chrétiennes est d’œuvrer en faveur de l’intérêt général. Ce Conseil est toujours en posture de rappeler le droit, la justice sociale, de s’interposer face aux violences et à l’arbitraire. Il incarne un rôle protecteur du plus vulnérable, du plus faible, en particulier dans sa dimension critique.
Il est probable qu’il contribue déjà à une vraie médiation en tant que négociateur rompu à l’exercice.
Comment voyez-vous l’évolution de la mobilisation sociale dans les prochaines semaines ?
Le pouvoir se pose la question de l’endurance du mouvement, ce qui est classique en pareille situation. Est-ce que le mouvement va avoir une capacité stratégique ? Le pouvoir tente d’amoindrir cela. Ce que l’on constate sur le terrain, c’est que le mouvement social s’élargit et s’organise.
Jusque-là, il y a d’abord eu des revendications pour l’eau, l’électricité, les libertés publiques, la lutte contre la corruption, les droits fondamentaux ; Dans un deuxième temps, des appels à la démission du gouvernement, du président de la République, du président du Sénat. Et désormais, il y a des prises de parole pour réfléchir à des objectifs de sortie de crise et de changement de système politique.
Face à cela, il y a un risque de durcissement de la répression. La crainte de tous, c’est celle d’un choix stratégique consistant à monter le conflit entre Malgaches pour rester au pouvoir. Cela va dans le sens des intérêts des entrepreneurs de sécurité de toutes sortes. Après 2009, on a favorisé la formation d’entreprises de sécurité pour résorber les milices. Quand on remet cela dans le contexte international actuel, on comprend qu’il y a des entrepreneurs de sécurité liés à des États ou non. Dans ce schéma-là, ces entités vont chercher à pallier les forces légales étatiques qui sont fragiles ou divisées actuellement. Les questions d’ingérence sont donc remises sur le tapis.
On en est à un point d’inflexion dans les rapports de force entre ces acteurs-là. Cette nouvelle situation est un risque géopolitique majeur. Cela ne peut que mobiliser les puissances avec tout ce que ça implique pour la souveraineté du pays et la sécurité des Malgaches. Il y a plus d’incertitudes que celles présentes dans les crises précédentes où la dimension géopolitique n’était pas si affirmée dans le contexte international.
Après sept années consécutives au pouvoir, le président Rajoelina peut-il apporter des changements concrets pour la jeune génération ?
Jusqu’ici, quand on analyse ses politiques publiques, apporter des changements concrets à la jeune génération n’a pas été sa priorité.
Désormais, cela dépend de la sortie de crise qu’il va choisir et des groupes d’intérêts sur lesquels il pourra et décidera de s’appuyer. Cela déterminera les politiques publiques qu’il pourra réellement mettre en œuvre. On ne connaît pas tout des rapports de force entre groupes de pression et groupes d’intérêt. Le nouveau gouvernement sera un révélateur.
Est-ce qu’il va trouver des groupes d’intérêt sur lesquels s’appuyer qui pourront servir de fondements à des politiques publiques qui donnent la priorité aux revendications de la jeune génération ? Tout le monde en doute. Mais la jeunesse, elle, rejette ce système politique où les groupes d’intérêt prennent le pas sur l’État et les fondements démocratiques.
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