Loi de refondation: «Rien ne va limiter la venue des Comoriens vers Mayotte»

La loi de refondation de Mayotte, portée par le ministre des Outre-mer Manuel Valls et adoptée par le Parlement en juillet, était examinée jeudi 7 août par les Sages à la demande de l’opposition. Elle comporte de nombreuses mesures de lutte contre l’immigration, liées notamment à l’obtention de titres de séjour. Des dispositions qui sont exclusivement appliquées à l’archipel et non au territoire hexagonal. Analyse avec Marie-Laure Basilien-Gainche, professeur de droit public et membre de l’Institut Convergences Migrations.

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RFI : Les Sages ont estimé que le texte était conforme à la constitution française, alors qu’il établit un régime d’exception à Mayotte par rapport à ce qui est appliqué sur le territoire national. Cela vous surprend-il ?

Marie-Laure Basilien-Gainche : Cela n’a rien de surprenant. On l’avait vu avec de précédents textes en 2018, en 2024 et on le voit à nouveau en 2025 : une considération du Conseil constitutionnel qui est favorable au gouvernement, et qui estime que toutes les dérogations au droit commun qui sont développées à Mayotte sont proportionnées à la situation de l’archipel, avec de nombreuses références à l’importance de la population en situation irrégulière et à l’importance des flux migratoires vers l’archipel.

L’objectif du texte porté par Manuel Valls était de lutter contre l’immigration illégale et l’habitat informel. Les articles soumis au Conseil constitutionnel vont-ils dans ce sens ?

Les flux migratoires de ressortissants de pays tiers, depuis l’Afrique jusqu’à Mayotte, ne vont pas être régulés de cette façon. Ce sont des flux essentiellement dus à des « push factors », c’est-à-dire des guerres civiles ou des crises internes qui poussent les individus à fuir leur pays d’origine. Pour ce qui est des Comoriens qui se rendent à Mayotte : là non plus, les mesures ne vont pas modifier la structure des échanges qui existent. Ce sont des relations familiales et économiques qui ont un ancrage local et ancestral. L’un des facteurs qui attirent les Comoriens à Mayotte, c’est le différentiel de niveau de vie, qui est particulièrement important entre les trois îles des Comores et l’archipel de Mayotte. La loi de refondation de Mayotte n’y change rien. L’attractivité de Mayotte pour des populations qui font face à des crises politiques et économiques demeurera la même.

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Quelles sont les conséquences à Mayotte des mesures prises par le gouvernement et validée par le Conseil constitutionnel ?

L’allongement du délai pour l’obtention d’un titre de séjour, des conditions restrictives pour un regroupement familial, la possibilité de destruction de l’habitat informel, les visites domiciliaires pour lutter contre le travail informel… Rien de cela ne va limiter la venue des Comoriens vers Mayotte. Cela va simplement augmenter le nombre de personnes en situation irrégulière sur le territoire mahorais, et qui vont habiter dans de l’habitat précaire qui sera détruit plus aisément et qui vont se diriger vers le secteur économique informel, faute d’avoir accès à un secteur formel. La loi comporte aussi un volet sur la lutte contre la violence des gangs. J’ai du mal à croire que les mesures adoptées vont réellement toucher à la racine du problème : une population de jeunes déracinés dont les parents ont été reconduits à la frontière et qui, se retrouvant seuls, sont insérés dans des réseaux de jeunes migrants qui vont les exploiter éventuellement en leur donnant des armes.

Le texte autorise la rétention administrative des mineurs, qui pourtant est interdite en France. Pourquoi cela n’a pas été censuré ?

Ce n’est pas nouveau. Une mesure dans la loi immigration de 2024 interdisait le placement en rétention des mineurs, mais cette mesure n’était déjà pas valable pour Mayotte. Là, on voit que le Conseil constitutionnel dit qu’il faut prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, en lien avec le droit d’avoir une vie familiale normale. On peut se demander ce qu’il y a de normal à vivre en rétention. Il ajoute qu’au vu de la nécessité de ne pas séparer les enfants des parents, on peut placer les mineurs dans les centres de rétention. Là encore, le Conseil constitutionnel avalise une situation dérogatoire à Mayotte.

Existent-ils d’autres régimes dérogatoires en France ?

On va le trouver dans les territoires d’outre-mer, en Guyane notamment, même si les mesures dérogatoires y sont moins fortes qu’à Mayotte. Ce sont essentiellement les ultra-marins qui vivent ce laboratoire de l’exception, de la dérogation intensive.

Quatre réserves ont été émises : quelle valeur juridique ont-elles par rapport à la censure d’une disposition ?

La censure aurait permis la reconnaissance de l’inconstitutionnalité des mesures visées. L’utilisation de la réserve permet au Conseil constitutionnel de valider les mesures tout en indiquant à l’administration la manière de les mettre en œuvre en insistant sur l’importance de respecter les droits et les libertés des individus dans la mise en place de ces mesures, notamment sur le titre de séjour et le regroupement familial. Mais quand on connaît les pratiques des préfectures, on peut douter de l’importance qu’elles vont donner à ces réserves.

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