L'enquête de Forbidden Stories sur les mines d'or illégales au Ghana

Le collectif de journalistes d’investigation, Forbidden Stories, en collaboration avec deux partenaires d’investigation, The Fourth Estate et The Reporters’ Collective, publie une enquête édifiante sur l’expansion des mines d’or illégales au Ghana. Les journalistes prouvent que l’or clandestin se mélange très vite à l’or légal et devient intraçable. Les gains sont considérables pour les orpailleurs du premier pays exportateur d’or d’Afrique, mais les dégâts environnementaux et sanitaires de ces pratiques sont massifs. Alexander Abdelilah, journaliste d’investigation, a travaillé sur cette enquête.
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RFI : Pourquoi avez-vous décidé d’enquêter sur les mines illégales au Ghana ?
Alexander Abdelilah : Forbidden Stories s’est penché sur le sujet parce que dans l’année qui s’est écoulée, il y a autour d’une dizaine de journalistes qui ont été agressés ainsi que leurs équipes pendant qu’ils enquêtaient sur le sujet des mines illégales d’or dans le pays. C’est vraiment au cœur du mandat de Forbidden Stories de poursuivre le travail de journalistes empêchés. On s’est dit que là, il y avait vraiment un sujet et qu’on pouvait peut-être prolonger le travail qu’ils font sur le terrain en allant voir où va l’or illégal artisanal produit dans le pays.
Quelles sont les difficultés que vous avez le plus rencontrées ?
On ne pouvait pas aller où on voulait, tout simplement parce que c’était trop dangereux. Donc, on a travaillé avec un fixeur et avec une personne chargée de notre sécurité, armée. Tous les matins, avant de partir sur le terrain, on appelait tout le monde, tous les gens qu’on voulait aller rencontrer. Le fixeur appelait ses contacts également dans les forces de sécurité pour voir où il y avait des opérations en cours pour qu’on ne se retrouve pas pris au milieu de tout ça.
Cette région est mise sous pression par le gouvernement, et les gens sont très nerveux et méfiants. Mais en même temps, quand on arrive à les approcher et qu’on est face à eux, il y a une certaine franchise. Cela peut être assez surprenant, mais ils ne se cachent pas de faire des choses illégales parce qu’ils estiment que c’est justifié par les conditions de vie.
Quelle est l’ampleur du phénomène des mines illégales ?
Grâce à une analyse d’images satellites qu’on a pu croiser avec des données GPS du gouvernement ghanéen, on a pu avoir une idée assez précise de la proportion des zones affectées par les mines visibles du ciel qui sont en dehors de toute concession légale. Là, on est à plus de trois quarts des zones affectées dans cette grande région du sud-ouest qui sont complètement en dehors des concessions accordées par l’État. À ma connaissance, c’est une première de pouvoir mettre un chiffre là-dessus. Pour se représenter, c’est dix fois la superficie de Paris. C’est vraiment énorme.
Quels types de dégâts les mines illégales font-elles ?
Les orpailleurs illégaux utilisent des pelleteuses, ils sortent la terre, ils font des trous énormes, ils les passent dans l’eau et ils rejettent tous ces sédiments dans les cours d’eau qui contiennent également des métaux lourds. Ils utilisent du mercure pour agglomérer l’or brut et en faire des sortes de pépites. Tout ça est balancé ensuite dans l’eau et dans les terres.
Une étude récente montre que les taux de mercure, d’arsenic, de plomb sont absolument stratosphériques dans cette région, à la fois dans les sols, dans l’eau, mais aussi dans les poissons, dans les cultures, donc il y a vraiment un empoisonnement à grande d’échelle qui est en train de s’organiser, qui est très, très inquiétant. Selon une étude récente, concernant les métaux lourds, les taux sont 43 fois supérieurs à ceux recommandés.
Vous montrez que l’or illégal est vite mélangé à l’or légal, dès la sortie des mines. Où part cet or mélangé ensuite ?
On a pu montrer en ayant accès à des données douanières, qui montrent que le Goldbud [Agence publique ghanéenne créée en 2025 pour centraliser l’achat, NDLR] exporte de nombreuses tonnes d’or vers l’Inde, mais il y a des ONG qui montrent aussi que cet or part ensuite dans les Émirats arabes unis. On sait aussi qu’il y a tout un marché noir sur lequel on a essayé de travailler, mais c’est très difficile parce que personne ne veut parler. On sait que sur le marché noir une partie part en Inde et en Chine, ça part également dans d’autres pays, mais là aucune donnée disponible.
Vous montrez aussi que de l’or illégal se retrouve dans les chaînes d’approvisionnement de multinationales américaines.
Avant l’arrivée du Goldbud, qui centralise tout, la majorité des exportations se faisait via une raffinerie à Accra qui s’approvisionnait en or artisanal. Et cette raffinerie, elle se retrouve ensuite dans la liste de fournisseurs publiés par des grandes multinationales. Et là se pose la question du risque que ça représente pour ces multinationales, car qui dit or artisanal au Ghana, dit fort risque d’illégalité.
Vous avez contacté ces entreprises, comment ont-elles réagi ?
On a eu des réponses très différentes des multinationales. Il y a Amazon qui a parlé d’une enquête interne pour déterminer où va cet or dans leur chaîne. Starbucks également qui parle d’enquêter dès qu’on leur soumet une suspicion de violation de leur code déontologique. Et il y a ensuite Xerox qui a un peu botté en touche et vous avez Tesla qui n’a pas répondu du tout. Donc, c’est vraiment quatre réactions assez différentes.
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