L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal gracié et libéré par l'Algérie après un an de prison

L’Algérie a accepté une demande de l’Allemagne de gracier et transférer l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis un an, dans ce pays pour qu’il puisse y être soigné, a indiqué un communiqué de la présidence algérienne mercredi 12 novembre. L’écrivain est arrivé à Berlin dans la soirée, a indiqué la présidence allemande.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune « a répondu favorablement » à une demande de son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, « concernant l’octroi d’une grâce en faveur de Boualem Sansal », selon le communiqué officiel. « Le président a réagi à cette demande, qui a retenu son attention en raison de sa nature et de ses motifs humanitaires », selon le communiqué.
L’écrivain franco-algérien est arrivé dans la soirée à Berlin, a confirmé à l’AFP la porte-parole du président allemand. « Ils ont atterri et sont déjà en route pour l’hôpital », a indiqué Cerstin Gammelin sans préciser l’établissement où l’écrivain doit recevoir des soins médicaux
Condamné en appel en juillet à cinq ans de réclusion, Frank-Walter Steinmeier avait demandé que Boualem Sansal soit gracié et bénéficie de soins médicaux en Allemagne « compte tenu de son âge avancé (…) et de son état de santé fragile ». Sa famille a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude pour la santé du romancier et essayiste de 81 ans, traité pour un cancer de la prostate. La France réclamait depuis des mois un « geste d’humanité » en sa faveur.
L’une des filles de Boualem Sansal a affirmé qu’elle « était un petit peu pessimiste parce qu’il est malade, il est vieux et qu’il pouvait mourir là-bas. J’étais pessimiste, mais j’y ai toujours cru. J’ai gardé l’espoir que ça arrive un jour. (…) Je suis très heureuse parce que c’était vraiment une situation extraordinaire. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il était emprisonné », a déclaré Sabeha Sansal par téléphone, depuis la République Tchèque où elle vit, ajoutant : « j’espère qu’on va se revoir bientôt. »
« Un immense soulagement »
Le 1er juillet, la Cour d’appel d’Alger avait confirmé une peine de cinq ans de prison prononcée en première instance le 27 mars. Boualem Sansal était accusé d’« atteinte à l’unité nationale » après des déclarations en octobre 2024 au média français d’extrême droite Frontières, où il estimait que l’Algérie avait hérité sous la colonisation française de régions de l’ouest algérien comme Oran et Mascara, appartenant précédemment, selon lui, au Maroc.
L’auteur avait renoncé à se pourvoir en cassation, ce qui le rendait éligible à une grâce du président algérien. Pour convaincre son homologue algérien d’annuler la condamnation de l’essayiste, le président allemand avait insisté sur le fait qu’« un tel geste serait l’expression d’une attitude humanitaire et d’une vision politique à long terme ». « Il refléterait ma relation personnelle de longue date avec le président Tebboune et les bonnes relations entre nos deux pays », a-t-il dit.
Noëlle Lenoir, présidente du comité de soutien de Boualem Sansal, ancienne ministre des Affaires européennes, témoigne au micro de RFI d’un « immense soulagement, puisqu’on avait été échaudé lorsque le gouvernement algérien avait fait des promesses au gouvernement allemand qui était intervenu avant l’été. La libération de Boualem devait avoir lieu le 5 juillet. Cette fois-ci, c’est vrai, les rumeurs étaient persistantes. Donc, on a un grand soulagement, parce que son incarcération était vraiment épouvantable ».
Alors déjà, il faut savoir que dans l’ombre – on ne pouvait pas évidemment rendre cela public – d’autres gouvernements sont intervenus. Le président Larcher avait rencontré le pape et la France aussi était intervenue. Le pape avait été sensibilisé et en avait parlé au président Tebboune. Donc, l’Allemagne a été le déclencheur, puisque les Allemands ont de très bonnes relations avec l’Algérie pour des raisons énergétiques, mais aussi politiques. (…) Donc, je pense qu’il y a plusieurs facteurs qui ont joué. Il y a plusieurs acteurs qui ont joué et nous, évidemment, on est vraiment très, très contents. On est très émus de ce qui arrive aujourd’hui. Et il faut remercier aussi la France et pas seulement les pays étrangers. Tout le monde a travaillé.
Noëlle Lenoir, présidente du comité de soutien de Boualem Sansal, ancienne ministre des Affaires européennes
Les avocats français de l’auteur se sont dits « heureux que l’humanité ait prévalu sur toute autre considération ». « Nous accueillons avec une profonde satisfaction la nouvelle de (sa) libération, après l’épreuve d’une trop longue détention. Nous avons toujours été convaincus que le sort de Boualem Sansal devait être dissocié des aléas diplomatiques », ont indiqué Me Pierre Cornut-Gentille et François Zimeray, dans un communiqué à l’AFP, qui « (saluent) le rôle de l’Allemagne dans ce dénouement ».
Réactions politiques
Le président Emmanuel Macron, qui a pu échanger quelques mots avec Boualem Sansal, a affirmé que la libération de l’écrivain franco-algérien après un an de détention en Algérie était « le fruit des efforts constants de la France et d’une méthode faite de respect, de calme et d’exigence. »
En déplacement à Toulouse, le président français a dit s’être entretenu au téléphone avec le chef de l’État allemand Frank-Walter Steinmeier « pour lui exprimer ma profonde gratitude pour les bons offices de l’Allemagne », qui a demandé et obtenu la grâce de Boualem Sansal. « Je prends acte de ce geste d’humanité du président (algérien) Tebboune et l’en remercie. Je reste évidemment disponible pour échanger avec lui sur l’ensemble des sujets d’intérêt pour nos deux pays », a-t-il ajouté.
Nous avons travaillé en transparence avec nos amis allemands comme tiers de confiance, et je remercie sincèrement le président Steinmeier de s’être rendu disponible.
Emmanuel Macron sur la libération de Boualem Sansal
Le premier ministre français Sébastien Lecornu a aussi exprimé devant les députés son « soulagement à l’annonce des autorités algériennes, d’avoir gracié Boualem Sansal », souhaitant que l’écrivain « puisse rejoindre ses proches au plus vite » et « être soigné ». Il a aussi « remercié du fond du cœur celles et ceux qui ont contribué à cette libération, fruit d’une méthode faite de respect et de calme ».
« La liberté de penser, d’écrire, de douter et de critiquer triomphe aujourd’hui », s’est félicité la présidente (Renaissance) de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, en remerciant notamment « l’ensemble des députés (…) pour leur mobilisation sans faille ». À travers Boualem Sansal, « ce sont la liberté d’expression, le refus de l’obscurantisme et de l’autoritarisme qui étaient faits prisonniers. C’est un soulagement immense. C’est, surtout, la Justice qui l’emporte », a abondé sur X le chef du parti présidentiel Renaissance Gabriel Attal, qui rappelle la situation de Christophe Gleizes, « toujours emprisonné sans raison dans les geôles algériennes ».
Le chef de file des députés de droite Les Républicains Laurent Wauquiez s’est réjoui que l’écrivain « retrouve sa liberté, et avec elle, l’espérance de tous ceux qui croient au pouvoir des convictions », en remerciant « ceux qui n’ont jamais renoncé et qui ont porté ce combat pour sa libération ». Le chef de file des députés Horizons Paul Christophe s’est « réjoui de la libération » de cet « écrivain courageux qui a payé injustement son attachement à la vérité et à la liberté d’expression ».
À gauche, l’ex-président socialiste François Hollande a confié son « émotion et son soulagement », tandis que la patronne des Écologistes Marine Tondelier a remercié « ceux qui ont œuvré pour cette libération, avec calme et détermination ». Le premier secrétaire du parti socialiste, Olivier Faure, considère par ailleurs que la ligne dure défendue sur ce dossier par l’ancien ministre de l’Intérieur et patron de la droite Bruno Retailleau n’était pas la bonne. « La diplomatie, c’est souvent l’art de la discrétion. C’est la capacité à avancer sans pour autant en faire à chaque étape un outil de communication. Et c’est vrai que montrer ses muscles, ça ne sert souvent pas à grand-chose », note-t-il.
Ça prouve que la façon de procéder qui était la meilleure, c’était la diplomatie, et je me réjouis pour lui, pour sa famille, pour toutes celles et ceux qui l’ont lu et qui voient en lui un immense auteur. On ne peut pas être condamné pour sa pensée. Ça devrait être une règle partout dans le monde, et je me réjouis que le régime algérien ait fini par l’entendre.
Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste
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