Kenya: la liberté de la presse sous pression économique

Le journal Daily Nation en a fait les frais après avoir révélé un scandale impliquant le gouvernement et l’opérateur Safaricom. En juin 2024, au plus fort des manifestations contre la loi de finances, des citoyens dénoncent des disparitions forcées. Le Daily Nation, journal indépendant fondé par le puissant groupe Nation Media, enquête et met en cause Safaricom. En riposte, l’opérateur suspend ses publicités. Une sanction économique qui pèse lourd — et qui devient une arme pour museler la presse. Éclairages

Ce sont des plaintes venues de la rue qui ont alerté les journalistes. Des familles ont dénoncé des disparitions inexpliquées de leurs membres après les manifestations contre la loi de finances. Le Daily Nation, décide alors d’enquêter. Très vite, leurs révélations dérangent.

L’opérateur Safaricom, au cœur de l’affaire, est accusé d’avoir transmis des données privées des abonnées aux forces de sécurité, facilitant l’identification des manifestants, des organisateurs et de leurs soutiens financiers.

Un travail essentiel, mais qui va coûter cher au journal

Safaricom suspend ses publicités. Privée de ressources, la rédaction se retrouve fragilisée.

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« Quand il n’y a plus d’argent, la première solution, c’est de réduire les effectifs et renvoyer le personnel. Déjà l’année dernière, Nation Media a licencié beaucoup de journalistes. Y compris, moi-même », raconte Eric Oduor, secrétaire général du syndicat national des journalistes kenyans.

Ces pressions économiques, déjà pointées par Reporters Sans Frontières dans son dernier classement, ne viennent pas seulement des entreprises au Kenya.

« Ce n’est pas que Safaricom, poursuit Eric Oduor. Le gouvernement aussi a suspendu ses publicités pour sanctionner des médias critiques. Ce sont des tactiques employées par des groupes privés tout comme par le gouvernement pour faire taire les médias simplement parce qu’ils ont fait leur travail ».

Dans ce contexte, l’autocensure s’installe

Pour beaucoup de journalistes, choisir le silence devient parfois… une question de survie.

« Certains journalistes préfèrent éviter certains sujets, de peur d’être poursuivis en diffamation. Le risque de perdre son emploi ou de devoir assumer seul des frais d’avocat suffit à dissuader d’enquêter — même les plus déterminés », regrette encore le secrétaire général du syndicat national des journalistes kenyans.

La répression ne s’arrête pas là

Récemment, quatre journalistes travaillant sur un documentaire de la BBC, qui dénonçait la répression sanglante des manifestations, ont été arrêtés. Ils demandaient au gouvernement de rendre des comptes.

Libérés depuis, leurs ordinateurs et téléphones sont toujours confisqués. « Un avertissement clair adressé à toute la profession, selon Eric Oduor, C’est de l’intimidation. C’est un message adressé aux journalistes. Si vous touchez à des sujets sensibles, on viendra vous chercher ». 

Pour lui, cette spirale ne doit pas devenir la norme. Il plaide pour un sursaut collectif afin de défendre la liberté de la presse au Kenya : « Il faut défendre nos droits, offrir une assistance juridique, former les journalistes à travailler en environnement hostile, et faire appliquer les lois qui protègent la liberté de la presse. Il faut aussi interpeller les employeurs : garantir un climat de travail digne et sécurisé, c’est leur responsabilité ».

Un bras de fer désormais porté devant la justice

Safaricom a déposé plainte contre Nation Media Group le 3 avril dernier pour diffusion de fausses informations.

L’affaire est toujours en cours.

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