Jean Piso, maître accordéoniste du Sud et mémoire vivante de Tuléar

À 74 ans, Jean Piso, figure discrète, mais incontournable de la musique malgache, était l’un des 30 artistes invités de la dernière édition du festival Angaredona Mozika. Accordéoniste autodidacte, il incarne une mémoire vivante de son Grand Sud natal. Derrière son sourire humble et son nom enfantin – écho d’une naissance hors du commun -, six décennies de musique et un parcours marqué par la ténacité, la transmission et l’amour d’un instrument hérité de son grand-père.

L’enfant qui jouait à l’oreille des zébus

Né à Ejedan, en plein pays mahafaly (Madagascar), Jean Piso grandit dans la brousse, à Andranokototo (« la source bouillonnante »), près de Betioky. Petit, il se délecte des morceaux joués par Ekopa-kopa, son grand-père, à l’accordéon. Mais celui-ci lui interdit formellement d’y toucher.

« Je me prenais des claques, mais je m’en fichais. Je savais que je trouverais un moyen d’approcher l’accordéon. » L’idée lui vient un matin, en partant garder les zébus. En passant par la case d’Eko Pakopa, il chipe l’accordéon et file aux pâturages.

C’est dans ce décor d’herbes rases, de cactus et d’épineux, au bord de l’unique lac à des kilomètres à la ronde, qu’il découvre l’instrument.  Chaque jour, il récidive, fasciné : il s’exerce en cachette au point d’utiliser les notes pour guider son troupeau. « Les zébus étaient mes premiers spectateurs », se souvient-il. Son larcin découvert, il est réprimandé. Ses parents refusent qu’il devienne musicien : il doit aller à l’école, pour apprendre « un vrai » métier. 

L’école, le temps des moqueries et des découvertes

À Betioky, puis plus tard à Tuléar, Jean Piso subit les moqueries. Son prénom, « Piso » – prononcé « Pissou » en malgache et qui signifie « chat » – le poursuit comme un fardeau. Les bagarres éclatent souvent à cause de ce prénom qu’il déteste.

Un jour, plein de colère, il se tourne vers ses parents : « Pourquoi m’avoir donné ce prénom ridicule, alors que mes neuf frères et sœurs portent des prénoms normaux ? » Sa mère finit par lui révéler son histoire : mort-né, déjà enveloppé dans un linceul pour l’enterrement, il s’est mis à miauler sur le chemin de sa tombe. « On m’a déballé à la hâte et c’est à ce moment-là que j’ai crié pour la première fois de ma vie. C’était un miracle, et c’est pour ça qu’ils m’ont appelé Jean Piso, Jean le Chat », dit-il.

Un miracle que ses parents ont voulu garder secret. « Quelqu’un considéré comme mort, puis qui ressuscite, ça fait peur… Ils étaient gênés. Mais moi, j’en ai fait ma force. » À partir de ce jour-là, ce surnom, qu’il portait comme une malédiction, devient son nom. Son nom de scène.  

L'accordéoniste malgache Jean Piso lors du festival Angaredona Mozika, en septembre 2025.
L’accordéoniste malgache Jean Piso lors du festival Angaredona Mozika, en septembre 2025. © Sarah Tetaud / RFI

Le temps des orchestres

À Tuléar en 1969, il est encore au lycée lorsqu’il fonde avec deux amies un trio. Lui est à la guitare, Angéline et Jacqueline, au chant. Le 45 tours « Veloma ry Toliara » devient un tube national qu’on entendra encore régulièrement à la radio jusqu’au milieu des années 70.

Il intègre ensuite les Bachelor de Tuléar en tant que guitariste soliste, puis l’orchestre d’Odema Rakoto : cette fois, il est retenu pour sa virtuosité à l’accordéon. Musicalement, c’est le grand saut : il abandonne l’accordéon diatonique offert par son grand-père pour un chromatique : « 120 basses, toutes les clés, comme un vrai piano entre mes doigts », plaisante-t-il. À la fin des années 2000, il intègre le Ny Malagasy Orchestra : jusqu’en 2014, il enchaîne les tournées internationales en Europe. Son accordéon résonne alors en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en Espagne et en France.

Une vie racontée en peinture

Au sein de cette tournée, il rencontre l’aquarelliste Geneviève Marot. Inspirée par le parcours étonnant de ce musicien venu du Grand Sud de la Grande Île, l’autrice décide de lui consacrer une bande dessinée. Sous le tamarinier de Betioky est alors publié en 2016, un très bel album empli de poésie.

Une reconnaissance qui a surpris Jean Piso mais qu’il accueille avec humilité : « Je n’ai pas eu de carrière solo à proprement parler. Je n’ai jamais été au sommet ni au ras du sol. Je suis au milieu. Et je suis heureux de la place que j’occupe » exprime-t-il, le visage rayonnant. Avec presque 60 ans de scène derrière lui, difficile de ne pas le considérer comme une légende.  

À Madagascar, « c’est rare que l’on vive de notre musique », rappelle Jean Piso. Moniteur d’auto-école, guide pour touristes, professeur de musique, il cumule les métiers. À Tuléar, il parraine une vingtaine de jeunes artistes au centre culturel Vakok’arts, qu’il préside. « L’amour de la musique doit être plus fort que celui de l’argent. Sinon, on se trahit soi-même et on trahit le public », affirme-t-il.  

La mémoire de Tuléar en musique

Parmi ses compositions, il garde une tendresse particulière pour « Andranokototo », évocation de son village natal et de son enfance en tant que jeune bouvier. « Ce morceau, ce sont les herbes de la prairie, le lac, les zébus. Toute ma vie est dedans. » Ses notes portent la chaleur de Tuléar et diffusent ses parfums jusque sur les hauteurs d’Ambohimanga Rova, où le septuagénaire s’est produit ce week-end. « Quand on interprète mes créations, ça me rend heureux. Ça veut dire qu’elles sont appréciées et qu’elles continuent de vivre en dehors de mes doigts » lâche-t-il dans un sourire ému.

Refusant les compromissions politiques – Jean Piso a toujours refusé de jouer lors des propagandes électorales-, soucieux de transmettre plutôt que de briller, le musicien se dit comblé. Les festivals, et particulièrement l’Angaredona, sont pour lui une occasion de rencontres et de découvertes. « Ça crée du lien entre nous, artistes. Et pour le public, c’est formidable : ils découvrent des musiciens qu’ils n’auraient jamais vus autrement. »

Silence paisible, regard brillant. Jean-le-Chat, né une première fois pour mourir aussitôt, puis revenu à la vie, n’a cessé depuis d’accorder sa route aux sons de l’accordéon. À Ambohimanga Rova comme hier à Tuléar, son jeu raconte toujours la même histoire : celle d’un homme simple, qui ne cherche ni gloire ni fortune. « Moi, je suis heureux », répète-t-il. Et c’est peut-être là, son plus bel héritage.  

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Geneviève Marot Sous le tamarinier de Betioky : la véritable histoire de Jean Piso, maître de l’accordéon à Tuléar (Hors Champ) 2015

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