
L’ancien ministre de la Communication et candidat à la présidentielle d’octobre 2025 a été empêché de se rendre au Sénégal jeudi dernier. Un incident qui ravive les tensions politiques autour d’un homme au parcours atypique, passé de l’opposition farouche au pouvoir, puis de nouveau dans l’opposition.
L’ancien ministre et candidat à l’élection présidentielle Issa Tchiroma Bakary a été débarqué hier de son vol en direction du Sénégal où il se rendait pour effectuer un pèlerinage sur la tombe du premier président du Cameroun Ahmadou Ahidjo. Celui qui se positionne comme étant le « candidat de la transition » ne cesse de surprendre l’opinion camerounaise tant son parcours et ses prises de position sont paradoxaux.
Un parcours atypique
Né vers 1946, l’ancien ministre et candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2025 a fait ses études primaires à l’école principale de Garoua où il obtient son Certificat d’Études Primaires et s’en va à Douala où il accède au Cours Supérieur Professionnel du deuxième degré du chemin de fer à Douala. Il s’envole pour la France où il obtient son Baccalauréat scientifique (1970-1971) à Paris et y poursuit ses études à l’École Supérieure des Cadres de Chemin de Fer Français (1971-1974) puis à l’Institut Supérieur des Matériaux et de la Construction (1974-1976). Ainsi, il en ressort ingénieur.
Il fait son retour au Cameroun et entame sa carrière aux ateliers de la REGIERCAM à Bassa, Douala, où il est en charge de la section de Groupe Électronique puis chef du dépôt, ensuite Inspecteur de la Formation Professionnelle et enfin chef de service Entretien Général. En avril 1984, il est arrêté et passera 6 ans de prison, soupçonné en tant que cadre originaire du nord et de la localité de l’ancien président d’avoir aidé au coup d’État raté contre l’actuel président Paul Biya.
De l’opposition au pouvoir, puis retour à l’opposition
Issa Tchiroma est libéré en 1990, année où l’Afrique indépendante voit émerger le multipartisme, et rejoint l’opposition sous les couleurs de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP) et est élu secrétaire national chargé de l’administration aux côtés de Samuel Eboua et Bello Bouba Maigari (lui aussi ancien ministre et candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2025).
Deux années plus tard, en 1992, Issa Tchiroma est nommé ministre des Transports à la surprise générale tant il était un farouche opposant au régime Biya à sa sortie de prison. Ses camarades de l’UNDP voient en cette nomination une traîtrise et il se fait exclure du parti avec Hamadou Moustapha, son acolyte, en 1995.
Issa Tchiroma Bakary fonde le Front pour le Salut National du Cameroun
Exclu, Issa Tchiroma va créer avec son ami Hamadou l’ANDP en 2002 et en 2007, il va fonder le Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC), sa formation politique actuelle. De 2009 jusqu’en 2019, il est ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement et devient le défenseur incontesté du régime et surtout de son bienfaiteur Paul Biya. On a en mémoire des formules restées dans les annales telles que : « quand je prends la parole au nom du gouvernement, je dis les faits », « le Cameroun est une Nation qui carbure aux défis, le peuple est derrière son chef » et dont la plus célèbre sera la justification des voyages du président en ces termes : « Comme tout travailleur, le président Biya a droit à des vacances qu’il est libre de payer avec l’argent mis à sa disposition par le peuple souverain ».
En 2019, suite au dernier remaniement ministériel, il est en charge du ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle où désormais il est moins sous le feu des projecteurs, poste qu’il va occuper jusqu’à sa démission le 24 juin dernier pour se présenter en tant que candidat à l’élection présidentielle, marquant ainsi la fin de son alliance avec le RDPC, parti au pouvoir.
L’incident du 31 juillet 2025

L’épisode de jeudi 31 juillet 2025, après son soutien inattendu à Maurice Kamto exclu pour l’instant de la course électorale, le propulse une fois de plus au-devant de la scène et pas de n’importe quelle façon. En effet, alors que l’ancien ministre candidat essayait de se rendre au Sénégal accompagné de sa fille, il s’est vu débarquer par des officiers en uniforme. En réaction à cet acte, il va déclarer dans un communiqué : « lorsqu’un candidat à l’élection présidentielle est empêché de voyager, c’est tout un peuple qu’on empêche de respirer. C’est la preuve éclatante que le système en place redoute la vérité et craint la transition que nous portons ».
La réaction d’Aminatou Ahidjo
Une réaction qui n’a pas fait l’unanimité, surtout du côté de la fille cadette de l’ancien chef de l’État, Aminatou Ahidjo, membre du RDPC parti au pouvoir et présidente du conseil d’administration du Palais des congrès qui, dans la soirée du jeudi 31 juillet, a au travers aussi d’un communiqué dénoncé ce qu’elle considère comme une escroquerie politique et morale d’Issa Tchiroma Bakary : « Monsieur Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre et candidat à l’élection présidentielle, a fait un communiqué via les réseaux sociaux, se plaignant de l’interdiction qui lui a été faite de prendre l’avion pour se rendre au Sénégal afin de se recueillir sur la tombe du feu président Ahmadou Ahidjo. Je voudrais en tant que fille du feu président dénoncer vivement l’escroquerie politique et morale d’un homme qui n’a jamais daigné présenter ses condoléances à la famille Ahidjo, éprouvée par de nombreux décès ».
Elle va aussi dans le même communiqué rappeler à l’ancien ministre un fait réglementaire connu de tous concernant les déplacements des nouveaux anciens ministres : « je dénonce également avec force les mensonges d’un homme politique qui veut ignorer sciemment les règles établies au Cameroun s’agissant des mouvements des nouveaux anciens ministres, qui doivent requérir l’autorisation de Monsieur le président de la République avant toute sortie à l’étranger ».
Dans ce contexte politique marqué par une élection présidentielle qui s’annonce mouvementée, des figures connues et moins connues de la scène politique sont en émoi, scrutant toutes actions et toutes prises de parole pour émerger et devenir des acteurs majeurs de l’après 12 octobre 2025.