Ile Maurice: Un plan d'urgence déployé

Maurice entre dans une période charnière. À moins d’actions concrètes et rapides, le pays risque de faire face à une double crise : celle de l’énergie et de l’eau. Alors que la saison estivale approche, période connue pour une hausse significative de la consommation d’électricité, la menace de coupures planifiées devient de plus en plus plausible. Mais au-delà des risques liés à l’énergie, une autre inquiétude monte : celle d’un nouvel épisode de sécheresse, qui pourrait de mettre à rude épreuve les ressources en eau de l’île.

L’année dernière, la situation hydrique était critique. À un certain moment, les réserves d’eau étaient descendues en dessous de 40 % de leur capacité totale. Le gouvernement avait alors eu recours à une solution d’urgence : l’exploitation des forages souterrains (boreholes) afin de combler le manque d’approvisionnement. Une mesure temporaire qui, selon l’hydrologue Farook Mowlabucus, ne saurait devenir une norme durable.

«Nous avons échappé à une crise majeure de peu, l’an dernier et les années précédentes. Aujourd’hui, nous devons réfléchir à ce qui nous attend dans trois ou quatre mois, lorsque la saison sèche reviendra. Les réservoirs sont certes pleins à ce jour (taux global 90,6 %), mais avec le changement climatique, les schémas pluviométriques sont devenus imprévisibles», alerte-t-il.

Cinq axes d’intervention prioritaires

Face à la sécheresse persistante qui a frappé Maurice en ce début d’année 2025 et à la pression croissante sur les ressources hydriques, le ministère de l’Énergie et des services publics a enclenché une série de mesures concrètes visant à renforcer l’approvisionnement en eau et à améliorer la résilience du réseau de distribution. Selon une source, cinq axes d’intervention prioritaires ont été définis.

Le premier consiste à identifier de nouvelles sources d’eau souterraine. Un appel à manifestation d’intérêt (Request for Information) a ainsi été lancé sur le plan international pour solliciter des compagnies spécialisées dans les exercices de forage. Le ministère reconnaît que le pays ne dispose que d’un nombre très limité d’entreprises ayant les compétences techniques requises pour ce type d’intervention, d’où le recours à une ouverture vers l’étranger afin d’accélérer les projets.

Dans le même esprit, une stratégie active de forage a été mise en place dès les mois qui ont suivi les élections générales. Sept nouveaux forages ont été réalisés sur une période de huit mois, permettant d’injecter 13 000 mètres cubes supplémentaires par jour dans le réseau de la Central Water Authority (CWA). Cet apport a déjà permis de soulager certaines régions touchées par des coupures prolongées.

Le ministère mise également sur l’introduction de nouvelles technologies pour valoriser les ressources en eau disponibles. L’implémentation de Containerized Pressure Filter Plants (CPFs) est en cours. Ces unités de traitement mobiles permettent de capter les eaux de surface dans les rivières ou autres cours d’eau – des volumes qui, en temps normal, finissent dans la mer -, de les filtrer et de les réintroduire dans le circuit de distribution. Selon les estimations préliminaires, cela représenterait plusieurs milliers de mètres cubes d’eau récupérés chaque jour.

En attendant la réalisation des grands chantiers de stockage comme celui du barrage de Rivière des-Anguilles, le ministère a également lancé la construction de service réservoirs dans des zones résidentielles stratégiques. Ces infrastructures de taille moyenne, plus proches des habitations, visent à améliorer la distribution tout en réduisant la distance parcourue par l’eau dans les tuyaux. Moins de trajet signifie aussi moins de fuites, donc, une réduction du taux de «non-revenue water», qui reste l’un des défis majeurs du pays.

Enfin, une réorganisation interne est en cours au niveau de la CWA. Un nouveau département a été créé pour mieux encadrer la gestion des camions-citernes. Ce service, souvent critiqué pour son manque de réactivité, sera désormais mieux structuré afin de répondre plus promptement aux doléances des habitants en cas de pénurie.

Cette restructuration vise à professionnaliser l’intervention de la CWA sur le terrain et à restaurer la confiance du public dans un contexte de fortes tensions hydriques.

Le barrage de Rivière-des Anguilles jugé «urgent»

Pour l’hydrologue Farook Mowlabucus, une seule réponse à long terme s’impose : la construction du barrage de Rivière-des-Anguilles, projet annoncé de longue date, mais toujours en attente de démarrage.

«Le gouvernement a les bonnes intentions, mais la construction n’a toujours pas commencé. Or, sans ce barrage, nous allons revivre les mêmes difficultés, encore et encore», estime-t-il.

Une fois opérationnel, ce barrage permettra d’alimenter en eau les régions du Sud, du Sud-Est et du Sud-Ouest. Il viendra ainsi alléger la pression sur le réservoir de Mare-aux-Vacoas, qui pourra se concentrer sur d’autres zones comme Dagotière, Saint-Pierre et même Beau-Bassin-Rose-Hill Un rééquilibrage régional attendu de longue date.

Lors de sa récente intervention au Parlement, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a annoncé une allocation de Rs 1,4 milliard pour la construction de cette infrastructure essentielle. Il garantira l’eau potable pour 40 000 habitants du Sud-Ouest jusqu’en 2050, grâce à un financement international.

Le gouvernement s’est donné un délai de quatre ans pour concrétiser ce projet stratégique de gestion durable de l’eau, appuyé par un consortium de bailleurs de fonds internationaux. La construction du barrage de Rivièredes-Anguilles devrait débuter avant la fin de l’année.

Repenser la stratégie nationale

Farook Mowlabucus soulève un autre point crucial : le besoin urgent de revoir le Master Plan national de gestion de l’eau, établi en 1996. «À cette époque, on prévoyait que la population atteindrait 1,6 million d’habitants. Or, aujourd’hui, nous sommes environ 1,2 million. Le contexte démographique et économique a changé, notamment avec l’évolution des besoins des industries et de l’hôtellerie. Il est impératif de réajuster nos prévisions et nos priorités», insiste-t-il.

S’agissant des forages, utilisés ces derniers mois par la CWA pour faire face à la sécheresse, l’hydrologue reste prudent. «On exploite nos réserves souterraines au maximum. Certes, la CWA affirme que ces opérations ont été couronnées de succès, mais cela entraîne une baisse du niveau des nappes phréatiques. Il faut une gestion rigoureuse et responsable, sinon, nous risquons de compromettre l’avenir de nos ressources souterraines.»

L’approvisionnement en eau en continu, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, pour l’ensemble des Mauriciens reste un objectif encore lointain. Farook Mowlabucus souligne qu’avec les incertitudes liées au changement climatique, il devient de plus en plus difficile d’anticiper l’évolution de la situation dans les années à venir.

Selon lui, la CWA devra aussi revoir sa gestion des ressources, particulièrement dans les zones sensibles. «Même si certaines régions souffrent davantage, une planification intelligente et équitable est nécessaire. On ne peut pas continuer à gérer l’eau comme si rien n’avait changé.»

Le gouvernement affirme, de son côté, qu’un ensemble de projets structurants est en cours pour moderniser et renforcer le secteur de l’eau. Pour l’année budgétaire 2025- 2026, une enveloppe globale de Rs 3,1 milliards a été allouée à cet effet. Parmi les initiatives majeures figurent des projets de remplacement de canalisations à hauteur de Rs 1,2 milliard.

D’autres investissements comprennent la réhabilitation du barrage de La Ferme (Rs 100 millions), la modernisation de l’usine de traitement d’eau de Piton-du-Milieu (Rs 50 millions), la construction et la mise à niveau de stations de pompage à Poudre-d’Or et Plaine-Lauzun (Rs 73 millions), ainsi que le forage de nouveaux puits, la mise en place de systèmes de filtration mobiles et l’entretien des canaux d’adduction (Rs 100 millions). Enfin, Rs 50 millions ont été allouées au remplacement des compteurs d’eau.

La CWA a bénéficié d’une ligne de crédit de Rs 2,6 milliards accordée par l’Inde, via la State Bank of India, pour remplacer 100 km de tuyaux usés à travers l’île. Ce financement, entériné par le Conseil des ministres le 28 février, s’inscrit dans le Pipe Replacement Programme, visant à améliorer la distribution d’eau potable.

Selon une source à la CWA, ce projet sera déployé de manière stratégique et transparente, avec des études préalables pour cibler les zones les plus touchées par le taux de «non-revenue water». À Maurice, ce taux atteint actuellement 62 %, le plus élevé d’Afrique.

L’objectif : réduire drastiquement ces pertes en modernisant les sections les plus défectueuses du réseau. Ce chantier s’ajoute aux récentes mesures du ministère de l’Énergie pour renforcer l’approvisionnement en eau dans un contexte de sécheresse probable.

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