Ile Maurice: Soutiens réduits, quotidien alourdi

Depuis quelques mois, la réduction progressive des allocations de la Mauritius Revenue Authority (MRA) se fait ressentir, malgré les mesures prises pour contrer la hausse constante des prix. Beaucoup n’ont d’autre choix que de se tourner vers des produits parfois moins chers, mais de qualité inférieure. Dans ce climat de tension financière, l’idée d’un 14e mois comme mesure de soulagement revient de plus en plus dans les discussions.
Pour soulager les consommateurs face à la hausse du coût de la vie dans la période post Covid-19, accentuée par la dépendance du pays aux importations, plusieurs allocations sociales avaient été mises en place. Ces aides, financées par la Contribution sociale généralisée (CSG), ont été déployées après l’augmentation du salaire minimal et des pensions, afin de compenser l’impact direct des variations du marché international – hausse du prix du pétrole, perturbations logistiques ou fluctuations du taux de change – sur les ménages.
Depuis le Budget 2022-23, la CSG Income Allowance offre Rs 1 000 par mois aux personnes gagnant jusqu’à Rs 50 000 et cette allocation avait été portée à Rs 2 000 pour ceux percevant moins de Rs 25 000 dans le Budget 2024-25, touchant ainsi environ 200 000 bénéficiaires. Pour alléger le fardeau des prêts immobiliers, Rs 1 000 supplémentaires était accordé chaque mois aux emprunteurs jusqu’à Rs 5 millions, tandis que la TVA sur 15 produits essentiels avait été supprimée.
La Monthly Child Allowance, introduite en 2023-24, avait été augmentée de Rs 2 000 à Rs 2 500 par enfant, avec des allocations spécifiques de Rs 2 500 pour les moins de 3 ans et Rs 2 000 pour les enfants de moins de 10 ans en 2024, entre autres allocations, comme la Maternity Allowance mensuelle de Rs 2 000, versée pendant neuf mois à partir de la 28e semaine de grossesse pour soutenir les mères.
Suivez-nous sur WhatsApp | LinkedIn pour les derniers titres
Toutefois, il ne reste rien des contributions de la CSG, a indiqué le Premier ministre au Parlement en mai. Pour éviter un arrêt brutal de ces allocations – qualifiées d’électoralistes, le 30 juin de cette année – il a prévu une réduction progressive des allocations jusqu’en 2027.
Le Budget 2025-26 garantit aussi un revenu mensuel de Rs 20 000 à tous les employés à temps plein, le maintien de la Revenue Minimum Guarantee Allowance, de l’Equal Chance Allowance de Rs 2 000 pour les ménages gagnant moins de Rs 20 000, ainsi que la poursuite des allocations CSG pour les bénéficiaires du registre social.
Pour alléger le coût de la vie, le Budget a prévu que la TVA, sur certains aliments pour bébé, légumes en conserve et légumes surgelés, soit supprimée et qu’un Price Stabilisation Fund de Rs 10 milliards soit mis en place, avec une contribution initiale de Rs 2 milliards pour subventionner certains produits.
D’ailleurs, une liste a déjà été mise en place et elle est en vigueur depuis le 26 août. Elle coûte environ Rs 400 millions à l’État sur une période de six mois. Les prix du lait en poudre, de l’huile de soja, du lait pour bébé, des couches et du fromage ont été ajustés : le lait en poudre baisse de Rs 50 par kilo, l’huile de soja Rs 15 par litre, le lait pour bébé Rs 55 par boîte, les couches à 50 sous par unité et le fromage Rs 10 par portion. Par ailleurs, une deuxième liste est en préparation.
Malgré ces mesures visant à maintenir les prix à un niveau raisonnable, de nombreux bénéficiaires craignent des difficultés en raison de la réduction progressive des allocations annoncées dans le Budget 2025-26. Entre 2023 et 2025, plusieurs produits de consommation courante ont également vu leur prix augmenter. Si certains produits comme le lait sont restés stables par les nouvelles mesures pour éviter une hausse excessive, d’autres ont enregistré des hausses :
Avec les mesures fiscales prises pour la santé publique depuis le 6 juin dernier, de nombreux produits ont vu leur prix augmenter, notamment les jus en brique, les yaourts sucrés et les laits aromatisés, le taux d’accise sur le sucre ayant doublé, passant de 6 à 12 sous par gramme.
Aisha Sophia, mère de deux enfants et employée dans la vente, raconte son nouveau rituel : «Avant, l’allocation de la MRA nous permettait de respirer un peu. On arrivait à couvrir la nourriture, l’électricité et le transport sans trop de stress. Aujourd’hui, chaque passage au supermarché est une épreuve. Je regarde d’abord le prix avant même de penser à ce dont on a besoin. Je me demande souvent comment nous allons tenir si rien n’est fait.»
Jimmy Li, employé dans le privé, vit la même tension. Ses soirées se passent désormais à jongler avec les factures. «Les allocations étaient un filet de sécurité. Avec la hausse des prix, je dois faire des choix impossibles : payer l’électricité ou acheter à manger. Parfois, je coupe sur le dîner pour pouvoir payer mes factures. À la moitié du mois, il ne reste presque rien. Je travaille dur, mais mes efforts ne suffisent plus.»
Pour d’autres, l’absence d’ajustements salariaux alourdit le quotidien. Fatima, employée dans un centre administratif, exprime sa lassitude : «Avant, avec la compensation salariale et le salaire minimum, on arrivait à suivre le coût de la vie. Mais maintenant, je crains que mon salaire ne dépasse jamais Rs 30 000. C’est démoralisant de se dire qu’on travaille toute une vie et qu’on ne progresse pas.»
Dans les foyers avec enfants, la pression est encore plus forte. Rajini Soonea, mère de deux enfants, décrit ses sacrifices : «Avant, j’achetais des fruits, des produits frais et je mettais un peu d’argent de côté. Maintenant, c’est le strict minimum. Je dis souvent à mes enfants que certains snacks sont « trop chers ». Ce n’est pas seulement une question de budget, c’est aussi la qualité de vie qui en prend un coup.»
Les jeunes adultes qui démarrent dans la vie active sont eux aussi touchés. Lena Appayah, graphiste, raconte ses fins de mois difficiles : «Entre le loyer, les factures, la nourriture et les prêts bancaires, il ne reste presque rien. Je pensais que ces allocations m’aideraient à avancer, à construire un projet. Mais au lieu de ça, chaque mois est une lutte pour rester à flot. Beaucoup de mes amis ressentent la même démoralisation.»
Les retraités ne sont pas épargnés. Marie-Claire, 67 ans, vit seule à Vacoas. «Ma pension couvre à peine mes médicaments et quelques courses. Quand je vois le prix du riz et de l’huile, je me sens impuissante. On nous dit que le pays progresse, mais pour nous, c’est un recul. À mon âge, je ne devrais pas choisir entre acheter un médicament ou remplir mon frigo.»
Au-delà du budget immédiat, certains s’inquiètent des conséquences à long terme. «On coupe dans tout: nourriture, vêtements, loisirs. Mais à force de réduire la qualité des repas, c’est la santé qui finira par en payer le prix», alerte Rajini. Beaucoup dénoncent aussi l’insuffisance de contrôle des prix. «On voit des produits varier d’une semaine à l’autre sans explication. Le consommateur n’a aucun pouvoir. Tant que les importateurs et les commerçants fixent les prix comme ils veulent, les familles seront toujours les perdantes», estime Jimmy.
Face à cette réalité, l’idée d’un 14e mois refait surface dans les conversations. «Ça soulagerait vraiment les familles, surtout celles qui ont plusieurs charges», explique Aisha. Pour Jimmy, ce serait un peu d’air en fin d’année : «Même un petit complément permettrait de préparer l’avenir. Aujourd’hui, on vit sans aucun filet de sécurité.»
Mais cette mesure ponctuelle ne résout pas le problème de fond. Les Mauriciens réclament des solutions durables : revalorisation des salaires, mécanismes de soutien aux ménages modestes et surtout une politique claire pour stabiliser le prix des produits de base. Beaucoup ont le sentiment d’un décalage profond entre le discours officiel sur la croissance et la réalité vécue au quotidien.
Beaucoup de familles renoncent aux loisirs, aux sorties ou même aux petites traditions, ce qui affecte la qualité de vie et le moral. La frustration est palpable. Certains redoutent que, si rien n’est fait, la colère sociale finisse par éclater et la question demeure : combien de temps encore les citoyens pourront-ils supporter cette pression sans craquer ?
Des précisions chiffrées avaient été demandées à la MRA sur les allocations, mais aucun retour ne nous était parvenu au moment de la mise sous presse.



