Le ministre des Finances avait promis un Budget «pour les gens». Mais à la lecture du Finance Bill 2025 et selon les éclairages des fiscalistes de Big Four, une question brûle les lèvres : le petit peuple n’est-il pas, une fois de plus, pris dans la toile d’un système fiscal qui, sous couvert d’équité, érode lentement mais sûrement son pouvoir d’achat ?
Certes, les projecteurs sont braqués sur les hauts revenus et les grandes entreprises, visés par la Fair Share Contribution, ce nouvel impôt de solidarité temporaire. Mais derrière ces mesures destinées à rassurer les électeurs en quête de justice fiscale, d’autres dispositions plus discrètes vont directement toucher les foyers modestes, notamment ceux qui consomment des services numériques ou se battent pour maintenir un budget familial à flot.
C’est peut-être le changement le plus tangible pour des milliers de Mauriciens. Depuis le 1eᣴ juillet 2025, les fournisseurs étrangers de services numériques – Netflix, Spotify, Amazon Prime, ou encore les applications de jeux et de streaming – devront désormais s’enregistrer auprès de la Mauritius Revenue Authority et facturer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) aux clients mauriciens, sauf si ces derniers y sont déjà enregistrés. Concrètement, cela signifie une hausse immédiate de 15 % sur chaque abonnement. À moins que l’opérateur américain de services numériques ne décide de s’acquitter lui-même de ce nouveau coût additionnel pour rester compétitif sur ce marché.
Sinon, avec un forfait Netflix standard à Rs 375, un client devra désormais débourser plus de Rs 430 avec TVA. Spotify Premium ? De Rs 149 à plus de Rs 170. En d’autres termes, ces petites dépenses mensuelles du quotidien numérique, longtemps perçues comme un luxe abordable, vont devenir un peu plus lourdes. Et contrairement aux grandes entreprises qui disposent d’équipes comptables pour réclamer des crédits de TVA ou optimiser leur charge fiscale, le consommateur lambda n’a aucun recours.
Autre mesure susceptible d’avoir des retombées indirectes : l’alourdissement de la fiscalité immobilière pour les non-citoyens, avec des droits d’enregistrement et une land transfer tax portés à 10 % dès juillet 2026. Si l’intention est louable – freiner la spéculation et protéger l’accès à la propriété pour les Mauriciens -, le risque est que les promoteurs répercutent ces surcoûts sur les prix de vente. Résultat ? Des prix toujours plus inaccessibles pour les classes moyennes et les jeunes familles.
Dans un autre registre, les nouvelles taxes douanières sur les véhicules – y compris ceux dits écologiques – constituent un frein majeur à la mobilité des familles. Le Finance Bill confirme la réintroduction des droits de douane sur les voitures électriques et hybrides, à hauteur de 15 % à 75 %, en plus des taxes imposées sur les véhicules thermiques, allant de 45 % à 100 % selon leur cylindrée. Résultat : les prix des voitures, neuves ou reconditionnées, pourraient grimper de Rs 200 000 à Rs 500 000, voire plus dans certains cas.
L’objectif est clair : freiner les importations, qui ont coûté Rs 20 milliards de réserves étrangères au pays, et réduire l’impact sur la balance commerciale. Mais pour une famille modeste qui rêvait d’acheter une voiture sous forme de leasing ou autre mode de financement, ce rêve s’éloigne encore davantage. En définitive, le Finance Bill, loin de ne concerner que les riches ou les conglomérats, a des ramifications bien réelles pour la vie quotidienne des familles mauriciennes : TVA sur les abonnements numériques, risque de flambée des prix immobiliers, hausses du coût des véhicules et accessoirement, majoration des primes d’assurance.
Il y a bien des intentions nobles dans ce texte de loi. Mais comme souvent, ce sont les plus silencieux – ceux qui n’ont ni lobbyistes ni fiscalistes – qui ressentiront le plus durement les effets de ces changements dans leur portefeuille. Et cela, abonnement par abonnement, sou par sou.