Cinq années sont passées mais les causes profondes du drame du MV Wakashio qui a frappé la côte sud-est de l’île, le 25 juillet 2020, demeurent enfouies. En toile de fond : une enquête toujours sous scellés, des accusations de dysfonctionnements et une vérité qui se fait attendre.
Le 25 juillet 2020, le MV Wakashio, un vraquier japonais affrété par la compagnie Mitsui O.S.K. Lines, transportant plus de 3 800 tonnes de fioul, s’échoue sur les récifs de Pointe-d’Esny. Le navire, qui venait d’Asie et se dirigeait vers le Brésil, pénètre dans les eaux territoriales mauriciennes sans être intercepté ni même détecté à temps. L’épisode se transforme en cauchemar écologique lorsque, le 6 août, des fissures dans la coque provoquent une fuite de fioul. Le 7 août, la marée noire est confirmée. Des milliers de litres de fioul s’écoulent dans le lagon turquoise de la côte sud-est, souillant les plages, les mangroves et les récifs coralliens, et menaçant une biodiversité exceptionnelle.
Face à l’inaction des autorités, les citoyens se mobilisent avec une force remarquable. Des jeunes, des militants, des pêcheurs et des bénévoles de tout âge, confectionnent des boudins absorbants, certains faits de paille de canne, pour tenter de contenir le déversement. La solidarité nationale est saluée dans le monde entier. Pourtant, au-delà des images d’unité et de résilience plane une question fondamentale : comment un tel désastre a-t-il pu se produire ?
🔵Le silence et les zones d’ombre
Cinq ans plus tard, le rapport officiel de l’enquête promise par le gouvernement n’a toujours pas été rendu public. Un flou persiste sur les véritables causes de l’échouage. Ce silence entretient le malaise. Pour Alain Malherbe, expert maritime, il ne fait aucun doute que des défaillances graves dans la chaîne de surveillance ont mené à la catastrophe. «C’est un échec cuisant de notre gouvernance maritime. Le système de communication entre la National Coast Guard (NCG) et le MV Wakashio était inexistant. Si les radars et les radios avaient fonctionné comme il se doit, on aurait pu éviter tout cela», déplore-t-il.
L’activiste accuse également le gouvernement d’un manque de transparence : «Arvin Boolell, alors dans l’opposition, exigeait la publication du rapport. Aujourd’hui, ministre de l’Économie bleue, il évoque une enquête policière encore en cours pour justifier le silence. Mais à quoi bon une enquête si elle n’apporte ni vérité ni justice ?» Alain Malherbe pointe aussi l’absence d’actions concrètes envers les institutions impliquées. «Si le ministre estime que la NCG ou la Mauritius Ports Authority ont failli, pourquoi ne pas ouvrir une enquête indépendante sur l’organisme fautif ? Sinon, ce ne sont que des mots en l’air.»
🔵Bruneau Laurette : acte délibéré ou défaillance ?
Autre figure incontournable de cette crise, Bruneau Laurette, activiste et politicien, refuse de s’en tenir à la thèse du simple dysfonctionnement. Pour lui, il faut regarder au-delà : «Est-ce un accident ou un acte délibéré ? C’est toute la question.» Il soulève des éléments troublants. «On nous dit que les radars ne fonctionnaient pas, mais selon mes données, le radar affichait une capacité opérationnelle de 74,6 % à ce moment-là. Alors pourquoi personne n’a intercepté le navire ? Pourquoi la NCG n’a-t-elle jamais communiqué avec lui ?» Il affirme que des tentatives ont été faites pour camoufler la vérité. «Il y a eu un cover-up. Des efforts pour empêcher que la lumière soit faite. J’ai moi-même demandé une judicial review il y a quatre ans. À ce jour, je n’ai toujours reçu aucune réponse de la Cour suprême.»
Il évoque également des coïncidences troublantes : «À la veille des cinq ans du Wakashio, des représentants japonais sont en visite officielle. Est-ce un hasard ?» Pour lui, «le Wakashio reste un mystère et tant que le rapport ne sera pas publié, tout le monde reste dans le doute».
🔵Ce qui a changé, selon les autorités
Face à ces critiques, les autorités assurent que des leçons ont été tirées. Le ministère de l’Environnement affirme avoir revu en profondeur ses procédures d’intervention. Des cartes de zones sensibles, notamment à Pointe-du-Diable ou à Bain-des-Dames, ont été établies avec l’aide du gouvernement japonais. Des exercices de simulation sont régulièrement menés. Le National Oil Spill Contingency Plan a été réactualisé. La NCG, de son côté, indique que de nouveaux niveaux d’alerte ont été introduits. Désormais, tout navire situé dans un rayon de huit à 12 milles nautiques est surveillé avec une vigilance accrue. Des protocoles de réaction plus rapides ont été mis en place. La surveillance par satellite, la communication radio et l’identification des navires à risque ont été renforcées.
Maurice collabore également davantage avec des partenaires internationaux et régionaux, notamment le Programme des Nations unies pour le développement et la Commission de l’océan Indien. Des techniciens ont été formés, des équipements spécialisés ont été acquis. Mais tout cela reste, pour beaucoup, insuffisant.
🔵Des efforts réels, mais encore limités
Sur le terrain, les experts s’accordent à dire que l’île est mieux préparée qu’en 2020, mais que de nombreuses failles subsistent. Le plan d’urgence reste en grande partie théorique. Il manque encore des moyens humains qualifiés, du matériel adéquat et une coordination efficace. Selon un ancien cadre du ministère de la Pêche, «il est inutile d’avoir un plan parfait sur le papier si, dans la pratique, il n’y a pas d’équipe capable de le mettre en oeuvre à temps. Les équipements sont là, mais la question de la maintenance, de la formation continue et de la gestion de crise demeure problématique».
🔵Un traumatisme toujours vivace
L’impact écologique du naufrage est toujours visible. Les récifs n’ont pas encore totalement guéri. Certaines espèces marines ont déserté la région. De nombreux pêcheurs ont vu leur gagne-pain réduit à néant. Les communautés de Mahébourg, de Vieux-Grand-Port et de Blue-Bay gardent encore en mémoire les jours sombres de la marée noire. Au-delà de l’environnement, c’est le tissu social et psychologique de ces régions qui a été affecté. Une étude universitaire, menée en 2022, a montré une augmentation des cas de stress post-traumatique parmi les pêcheurs et les jeunes de la région. Les aides promises aux sinistrés n’ont pas toujours été versées à temps, aggravant la situation.
Pour les militants, la frustration est palpable. L’absence de justice renforce le sentiment d’impunité. Beaucoup craignent que le dossier du Wakashio soit lentement oublié, relégué dans les archives d’un pays trop souvent prompt à tourner la page, sans en tirer les leçons. Alain Malherbe est catégorique : «Ce naufrage a mis en lumière notre vulnérabilité. Il a révélé les failles de nos systèmes, le manque de coordination et l’inefficacité de nos institutions. Mais rien ne changera tant que la vérité ne sera pas dite. Tant que le rapport restera secret, on ne pourra pas refermer ce chapitre.» Bruneau Laurette, de son côté, appelle à une enquête judiciaire indépendante. «Il ne s’agit pas seulement de pointer du doigt. Il s’agit de comprendre ce qui s’est réellement passé pour éviter que cela ne se reproduise.»
🔵Et maintenant ?
Cinq ans après, des améliorations ont été amorcées : de nouveaux outils, de nouvelles collaborations, des mises à jour de plans d’urgence. Mais l’essentiel reste en suspens : la vérité. Le naufrage du MV Wakashio n’est pas seulement une tragédie écologique. C’est un révélateur. De nos faiblesses, de nos lenteurs, de nos silences. Cinq ans après, il ne suffit plus d’attendre. Il faut des réponses. Il faut agir. Il faut, enfin, dire la vérité.