Ile Maurice: Maurice joue la carte Chagos

La publication de la National Security Strategy 2025 (NSS) par l’administration Trump a ravivé un débat crucial : l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), pilier du commerce préférentiel entre les États-Unis et l’Afrique depuis 2000, a-t-il encore un avenir ?

Le document stratégique, qui redéfinit les priorités américaines dans un contexte de rivalités géopolitiques accrues, introduit une approche profondément différente : moins d’aide, davantage de partenariats fondés sur les intérêts économiques et sécuritaires américains.

Dans ce nouveau paradigme, l’Afrique n’est plus envisagée comme un continent à soutenir, mais comme un espace où Washington compte nouer des alliances ciblées avec des États jugés «fiables». Cette stratégie repose sur quatre axes identifiés dans la NSS : commerce, investissement, énergie et minéraux critiques – secteurs que l’administration considère essentiels pour réduire sa dépendance vis-à-vis de rivaux stratégiques, notamment la Chine.


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Dans ce cadre, Maurice, dépourvue de ressources minières stratégiques, pourrait facilement se retrouver marginalisée. Pourtant, les autorités mauriciennes estiment disposer d’un atout géopolitique capable de reconfigurer la relation bilatérale : la question des Chagos.

Le ministre des Affaires étrangères, Ritesh Ramful, refuse l’idée d’un AGOA condamné. Pour lui, la NSS 2025 n’exclut pas Maurice d’un partenariat ajusté avec les États-Unis. Il insiste : «Nous n’avons certes pas de minéraux à offrir, mais nous avons la carte Chagos. C’est un atout non négligeable que le Premier ministre compte mettre en avant pour établir un nouveau partenariat avec les États-Unis.»

L’argument est géopolitiquement logique . Dans la NSS , l’administration Trump renforce son engagement dans l’Indopacifique face à la montée de la Chine. La région de l’océan Indien est identifiée comme un espace stratégique pour la surveillance maritime, la protection des routes commerciales et la présence militaire américaine. Or, les Chagos – territoire revendiqué par Maurice et abritant la base américaine de Diego Garcia – constituent un pivot essentiel de cette architecture sécuritaire. Maurice veut donc transformer la reconnaissance internationale de sa souveraineté sur l’archipel en une carte diplomatique, susceptible d’ouvrir une nouvelle dynamique de partenariat avec Washington.

Un autre levier : les exportations de primates

Ritesh Ramful souligne également un autre secteur, moins visible mais jugé stratégique par les laboratoires américains : l’exportation de primates vivants destinés à la recherche biomédicale, notamment pour la mise au point de vaccins et de produits pharmaceutiques. Maurice est l’un des principaux fournisseurs au niveau mondial. Cette niche, très réglementée mais en forte demande, pourrait aussi peser dans la balance, car elle répond à un besoin prioritaire de l’industrie pharmaceutique américaine.

Pour les spécialistes du commerce international, la nouvelle NSS ne fait que formaliser une tendance observée depuis plusieurs années. Sunil Boodhoo, ex-directeur du commerce extérieur au ministère des Affaires étrangères, souligne que le concept de «aid for trade» était déjà en recul : «Les États-Unis vont commercer avec un État africain si celui-ci s’engage en retour à ouvrir son économie aux opérateurs américains. On est désormais dans une logique de partenariat gagnant-gagnant.»

Cette réalité signifie que Maurice ne peut plus se contenter d’un accès préférentiel unilatéral. Le pays devra offrir quelque chose en retour – qu’il s’agisse d’un appui géopolitique, d’un accès accru au marché mauricien, ou d’une coopération sectorielle ciblée.

Un choc déjà visible

L’expiration programmée de l’AGOA au 30 septembre 2025 n’est plus un scénario hypothétique : ses conséquences frappent déjà l’économie mauricienne. Le secteur de l’habillement, historiquement l’un des piliers de l’industrie d’exportation de l’île, traverse l’une de ses crises les plus graves depuis 30 ans.

L’entrée en vigueur d’un tarif réciproque de 15 % imposé par les États-Unis depuis juillet a porté la charge tarifaire totale à près de 25 %, si on inclut le Most-Favoured Nation (MFN) tarif imposé sur plusieurs types de produits, une hausse insoutenable pour des fabricants déjà soumis à l’augmentation du coût de la main-d’œuvre ; des prix de l’énergie en hausse et une concurrence plus agressive en Afrique et en Asie. Le résultat est brutal : les exportations vers les États-Unis sont passées de Rs 1,1 milliard en septembre 2024 à Rs 721 millions en septembre 2025. Une chute de 35 % qui pourrait se prolonger.

De plus, les acheteurs américains, selon les opérateurs, adoptent une posture plus prudente : réduction des volumes, renégociation des prix, extension des délais de paiement, parfois jusqu’à 120 jours. Les investissements dans la modernisation des usines ou l’extension des activités sont gelés. L’emploi tient, mais les perspectives s’assombrissent.

Le ministère de l’Industrie prévient : sans solution alternative ou accord préférentiel, l’île Maurice risque des fermetures d’usines, un recul des capacités de production, une érosion des emplois et un désengagement progressif des investisseurs.

Si l’AGOA n’est pas renouvelé, ce sera un choc. Mais s’il l’est, cela ne suffira pas non plus à assurer la pérennité du secteur. Maurice doit aussi faire face à d’autres défis structurels , dont une compétitivité en déclin, des coûts de production parmi les plus élevés en Afrique, une montée en puissance de nouveaux concurrents et l’insuffisante exploitation d’accords comme celui avec l’Union européenne.

En d’autres termes, le salut ne viendra pas uniquement du maintien ou non de l’AGOA. Maurice devra accélérer parallèlement, soulignent les spécialistes, la diversification géographique , la montée en gamme de ses produits et l’intégration de normes Environmental, social, and governance (ESG) et l’innovation technologique.

Maurice se trouve à un tournant stratégique. D’un côté, la NSS 2025 rebat les cartes du partenariat avec les États-Unis. De l’autre, l’industrie locale fait face à une tempête sans précédent. La «carte Chagos» pourrait permettre à Maurice de se positionner dans le nouveau dispositif géopolitique américain. Mais même si cette stratégie réussit, l’île devra affronter une autre réalité : la transformation profonde de son modèle industriel. L’avenir du secteur dépend donc autant de Washington que de la capacité mauricienne à se réinventer.

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