Ile Maurice: L'urgence d'agir maintenant

L’épidémie de VIH connaît une hausse inquiétante à Maurice. Plus de 268 nouveaux cas ont été enregistrés en 2025, confirmant une progression continue depuis 2023.

Cette augmentation révèle non seulement la persistance du virus dans l’île, mais aussi les limites actuelles en matière de prévention, de dépistage et d’information. Dans un contexte où la honte, les tabous et la peur du jugement pèsent encore lourd, la lutte contre le VIH demeure autant sociale que médicale.

Le VIH est un virus qui s’attaque progressivement aux cellules CD4, essentielles au système immunitaire. Sans traitement, cette attaque mène au SIDA, stade avancé de l’infection où le corps ne parvient plus à se défendre contre des infections opportunistes ou certains cancers. Il est pourtant possible de vivre toute sa vie avec le VIH sans développer le SIDA, grâce aux antirétroviraux (ARV). Pris quotidiennement, ils bloquent la réplication du virus et réduisent la charge virale jusqu’à atteindre un niveau indétectable, ce qui rend le virus intransmissible lors de rapports sexuels, selon le principe reconnu mondialement : indétectable = intransmissible.

«Le silence et la honte font plus de dégâts que le virus lui-même»


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À Maurice, l’épidémie ne touche plus uniquement les usagers de drogues injectables. Près de la moitié des nouvelles infections proviennent désormais de transmissions hétérosexuelles. Les 25-44 ans sont les plus touchés, mais le dépistage reste insuffisant. Les rencontres en ligne, les relations ponctuelles et le manque d’habitudes de dépistage régulier accentuent les risques. Pour l’association PILS, active depuis plus de 25 ans, normaliser le dépistage et lever les tabous reste essentiel. Selon Nicolas Ritter (photo), chargé de mission à PILS, «le silence et la honte font plus de dégâts que le virus lui-même».

La prévention moderne repose aujourd’hui sur trois outils complémentaires : le préservatif, la prophylaxie pré-exposition (PrEP) et la prophylaxie post-exposition (PEP), toutes disponibles gratuitement à Maurice. Pourtant, leur utilisation demeure faible, freinée par la désinformation, la stigmatisation et l’idée fausse que la prévention serait synonyme d’irresponsabilité.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut aussi regarder du côté du système de santé. C’est le constat lucide posé par Nicolas Ritter, qui coordonne également la Semaine internationale du dépistage. Il estime que Maurice traverse un moment critique jamais observé depuis des années. Selon lui, avant de blâmer les comportements individuels, il faut s’attaquer aux dysfonctionnements structurels qui, en pratique, éloignent les personnes du soin.

Un dispensaire dans la capitale, principal centre de prise en charge VIH du pays, accueille environ 4 000 patients. C’est à cet endroit que les Mauriciens vivant avec leVIH reçoivent leurs traitements, effectuent leurs analyses et bénéficient du suivi indispensable au contrôle du virus. Pendant des années, l’accès y était particulièrement difficile : absence d’ascenseur malgré deux étages à monter, patients en situation de handicap obligés d’être portés, toilettes hors service, bâtiment isolé du plateau hospitalier… Une enquête récente montre que les toilettes sont désormais accessibles, une amélioration saluée, mais les défis majeurs liés à l’accueil et au suivi persistent.

«La manière dont nous accueillons aujourd’hui les personnes vivant avec le VIH à Port-Louis est indigne d’un pays qui revendique modernité et efficacité sanitaire»,affirme Nicolas Ritter. Il rappelle que ces difficultés d’accès ont un impact direct sur le phénomène des «perdus de vue», ou lost to follow-up (LTFU), lorsqu’un patient abandonne son suivi médical. À Maurice, ce phénomène est massif. «Nous créons nous-mêmes le problème que nous prétendons combattre.» Une idée répandue voudrait que le secteur privé puisse assurer une prise en charge alternative.

Or, aucune clinique privée à Maurice n’offre un suivi complet duVIH. Pas de renouvellement d’ARV, pas de suivi spécialisé, pas d’accompagnement intégré. Le monopole du ministère de la Santé sur l’achat et la dispensation des ARV limite les options. Dans des pays comme La Réunion, le Pakistan, le Botswana ou le Népal, les ARV sont disponibles en pharmacie. À Maurice, les personnes vivant avec leVIH n’ont qu’une seule porte d’entrée : les structures publiques. Lorsque cette porte est inadéquate, beaucoup renoncent, alimentant ainsi l’épidémie.

La «cascade VIH» mesure l’efficacité d’un pays. Il s’agit de dépister, d’être rapidement traité, de maintenir le traitement et d’atteindre une charge virale indétectable. À Maurice, cette cascade est fragmentée : dépistage tardif, démarrage de traitement retardé, abandons de suivi, résultats d’analyses communiqués trop tard. Dans des pays aussi divers que le Portugal, le Rwanda, le Cambodge, le Botswana ou l’Australie, des progrès spectaculaires ont été observés grâce à une organisation fluide et un système pensé pour accueillir, et non exclure.

La question du VIH ne peut pas être séparée de celle des drogues. Les données montrent que les politiques actuelles aggravent les crises au lieu de les réduire : criminalisation, sous-dosage chronique de méthadone, distribution insuffisante de seringues, absence de naloxone à grande échelle malgré les overdoses, stigmatisation constante. Le lien entre politiques de drogues, VIH, hépatite C et overdoses est direct. Pour Nicolas Ritter, un système de santé ne devrait jamais rendre l’accès au soin plus difficile que la maladie elle-même, pourtant c’est exactement ce qui se produit aujourd’hui.

La santé avant la punition

La création de la National Agency for Drug Control représente un tournant historique. C’est une occasion unique de corriger des décennies de politiques fragmentées et de privilégier la santé publique. Une approche moderne doit faciliter l’accès au soin, assurer une réduction des risques à pleine échelle, traiter correctement la dépendance, intégrer les services dans les hôpitaux et appuyer le travail communautaire. La priorité doit être claire : la santé avant la punition.

Maurice possède les compétences, les professionnels et les structures nécessaires pour devenir un modèle régional de santé publique. «Le pays peut devenir une référence et montrer qu’un petit État insulaire peut faire preuve d’un grand leadership», insiste Nicolas Ritter. Mais pour cela, il faut agir maintenant. Il appelle à briser les tabous, parler ouvertement de prévention, de sexualité, de dépistage et du vécu des personnes concernées. LeVIH n’est plus seulement une question médicale, mais un test de maturité sociale. Tant que la honte, la peur et la désinformation dominent, le virus continuera de progresser. L’information, au contraire, protège et sauve des vies.

Maurice se trouve à un moment charnière. Le choix est désormais clair : continuer avec un système qui épuise ses usagers et alimente les crises, ou aligner enfin la réponse auVIH, les politiques de drogues et la santé publique pour protéger, soigner, prévenir et inclure.

 

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