Ile Maurice: Les commerces traditionnels au bord de l'asphyxie

C’est devenu un phénomène de société. Sur les réseaux sociaux, les pages de vente en ligne se multiplient à une vitesse fulgurante. Particuliers, microentrepreneurs et même sociétés bien établies investissent Facebook, Instagram, TikTok ou encore WhatsApp pour proposer produits et services.
S’ajoute cette année Temu. Cette montée en puissance du commerce numérique modifie les habitudes d’achat des consommateurs… mais elle inquiète surtout les commerçants traditionnels, déjà fragilisés par une conjoncture économique difficile.
Pour Raj Appadu, président du Front commun des commerçants de Maurice, cette tendance n’a rien d’étonnant : «C’est une mouvance mondiale. En France, une grosse entreprise chinoise tente actuellement de s’implanter et cela suscite de fortes réticences chez les commerçants. Maurice, comme souvent, suit le modèle étranger. Ce qui explique que la crainte s’installe déjà ici, surtout pour le secteur de l’habillement.» Les vêtements seraient aujourd’hui les produits les plus touchés par la concurrence en ligne. Pour les autres catégories, Raj Appadu reconnaît manquer encore de visibilité, mais il reste prudent : «Nous ne sommes à l’abri de rien.»
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Selon lui, l’évolution de la situation dépendra en grande partie de la capacité des autorités à anticiper et agir. «Tous les ministères doivent se concerter. Maurice ne produit presque rien. Nous importons tout. Jusqu’à quand pourronsnous soutenir ce modèle ? Le déséquilibre entre importations et exportations est grave», affirmet-il. Il préconise une étude scientifique poussée ainsi que la mise en place d’une table ronde réunissant experts, économistes et acteurs du secteur : «Il faut leur demander conseil pour la suite.»
Au-delà de l’impact économique, Raj Appadu soulève un autre problème : celui de la confiance envers les produits achetés en ligne. «Les Mauriciens paient parfois avant même de voir le produit. Certains ne reçoivent jamais leur commande. D’autres reçoivent des vêtements qui ne correspondent ni à la couleur demandée ni à la taille souhaitée. Il n’y a aucune garantie réelle.» Une absence de contrôle et de traçabilité qui peut, selon lui, porter atteinte à la protection des consommateurs.
Même inquiétude du côté d’Hyder Rahman, président de la Victoria Urban Terminal Stall Holder Association. Pour lui, le commerce physique fait face à une concurrence déloyale. «Les petits commerçants en règle, qui paient leur loyer, leurs permis et qui opèrent dans un cadre légal strict, se trouvent désavantagés. Le concept d’achat et de vente en ligne a pris une telle ampleur à Maurice qu’il provoque une baisse conséquente de fréquentation dans nos commerces.» Il souligne que cette réalité n’est pas uniquement mauricienne : «Même au niveau international, les commerçants subissent les mêmes conséquences.»
Selon Hyder Rahman, l’absence de coûts liés à un emplacement physique ou à un permis permet aux vendeurs en ligne de proposer des prix imbattables. «Avec une population de 1,2 million d’habitants, et un énorme volume de produits importés de Chine et d’Asie, nous avons un surplus sur le marché. Le nombre de commerçants dépasse celui des clients. Avec la vente en ligne, la compétition est atroce. Celui qui paie son loyer ne peut pas rivaliser avec celui qui n’a aucune charge.» Il dit toutefois garder un espoir : le gouvernement a annoncé travailler sur un cadre légal pour réguler ce commerce parallèle. «Si tout le monde opère dans le même cadre, avec les mêmes marges et sans être au-dessus de la loi, le consommateur sera le premier gagnant.»
Dans le Sud , l a préoccupation est la même. Manoj Ramdoss, porteparole de l’Association des commerçants de Grand Port-Savanne, constate, lui aussi, les pertes directes causées par les achats en ligne. «Certaines personnes vendent déjà leurs produits à meilleur prix et souvent sans patente. Elles exercent illégalement. Si un client voit un article en ligne et l’achète, il ne se déplace plus à la foire. Et comme lui, nous en perdons beaucoup.»
Face à un commerce digital en plein essor, les commerçants mauriciens lancent donc un cri d’alarme. Ils ne contestent pas le progrès, mais réclament un encadrement clair, des règles équitables et un système où tous les acteurs, en ligne comme hors ligne, jouent à armes égales. Une condition, selon eux, indispensable pour préserver l’avenir du commerce local.


