Ile Maurice: «Le gouvernement doit s'attaquer aux enjeux sociétaux»

Il ne fait pas toujours bon d’être un travailleur étranger à Maurice. L’actualité regorge d’exemples d’exploitation de cette main-d’oeuvre. Pour y mettre bon ordre, Leevy Frivet, consultant en relations industrielles, recrutement des travailleurs étrangers et gestion de crise, suggère la mise sur pied d’un «Migrant Council». Il a également foi en le ministre du Travail, Reza Uteem, dont il loue l’intégrité et qui saura, estime-t-il, empêcher les abus.

Le gouvernement justifie le recours accru à la main-d’oeuvre étrangère par une pénurie de travailleurs dans certains secteurs. Ce constat vous semble-t-il fondé ou s’agit-il, selon vous, d’un prétexte pour faire baisser le coût du travail ?

À chaque fois que cette question est soulevée, les opinions se polarisent : d’un côté, ceux qui prônent l’ouverture à davantage de travailleurs migrants et de l’autre, ceux qui souhaitent restreindre leur venue à quelques secteurs spécifiques. Pour ma part, je ne me range dans aucun camp, même si j’offre mes services en tant que consultant pour un recrutement éthique des travailleurs étrangers.

La pénurie de main-d’oeuvre résulte de l’inaction, de l’incompétence et des illusions nourries par les gouvernements précédents – et probablement aussi par l’actuel – et dans leur incapacité à résoudre nos problèmes sociétaux. Notre système éducatif est dépassé, notre jeunesse et notre main d’oeuvre sont ravagées par la consommation de drogue et les fléaux qui l’accompagnent. Ce n’est pas juste un problème de drogue, c’est une véritable pandémie.

Beaucoup de travailleurs mauriciens sont directement ou indirectement touchés par ce fléau. A-t-on mené une étude sur le nombre de mères célibataires laissées pour compte, mais qui sont actives sur le marché du travail ? Sur les divorces, la violence domestique, etc. ? Tous ces facteurs influencent profondément le marché de l’emploi. Aucun employeur ne souhaite dépenser pour faire venir des travailleurs migrants. L’idéal reste les travailleurs locaux. Mais la réalité est bien plus complexe. Le gouvernement doit s’attaquer aux problèmes de fond, à savoir les enjeux sociétaux.

Faut-il, selon vous, contraindre les entreprises à recruter un quota minimum de Mauriciens avant d’embaucher des travailleurs étrangers ?

Dans plusieurs secteurs, un système de quotas existe déjà mais il ne fonctionne pas. Croire que recruter un étranger est chose facile est une erreur, surtout pour les petites et moyennes entreprises. C’est un véritable parcours du combattant. Cela dit, je pense que le nouveau ministre du Travail, Reza Uteem, a un atout majeur : son intégrité. Grâce à lui, les réseaux douteux qui s’étaient infiltrés dans ce secteur n’auront aucune chance. Il aura certes du pain sur la planche, mais son intégrité empêchera bon nombre d’abus.

Avec le report de l’âge de l’obtention de la pension de retraite à 65 ans, craignez-vous une préférence encore plus marquée des employeurs pour une main-d’oeuvre étrangère, souvent plus jeune et moins coûteuse ?

Encore une fois, tout dépend de ce que recherchent les employeurs. Ceuxci privilégient des travailleurs rigoureux, ponctuels et fiables. Mais ils se heurtent parfois à une réalité : certains travailleurs étrangers manquent de compétences. J’ai récemment rencontré une entreprise engagée dans le secteur de la construction qui peine à trouver de bons maçons à l’étranger. La main-d’oeuvre étrangère est certes plus accessible mais pas forcément qualifiée dans tous les domaines.

Dans un contexte où les contrôles sont parfois insuffisants, comment garantir que les travailleurs étrangers ne soient pas exploités ou placés dans des situations précaires ?

Le ministère manque cruellement d’effectifs. L’unité en charge des migrants ne compte qu’une dizaine de personnes, voire moins. Elles doivent effectuer les visites, valider les contrats et gérer les plaintes. Il y a également un manque d’éthique dans les pratiques de recrutement. Les travailleurs étrangers ont leur propre culture; un temps d’adaptation est nécessaire.

Certains employeurs sont récalcitrants mais il faut aussi reconnaître que certaines conditions insalubres dans les dortoirs sont dues aux migrants eux-mêmes. Je propose la création d’un Migrant Council. Les différends entre employeurs et travailleurs étrangers ne peuvent être traités comme ceux entre employeurs et travailleurs mauriciens. En cas de rupture de contrat, le migrant ne bénéficie d’aucune compensation. La solution reste bien souvent le rapatriement.

Face à un modèle économique qui repose de plus en plus sur une main-d’oeuvre étrangère à bas coût, quelle alternative proposez-vous pour concilier les besoins des entreprises et la justice sociale ?

Les entreprises doivent miser davantage sur des relations industrielles saines, sans se limiter à l’opposition patronat/syndicat. Récemment, j’ai été sollicité par une usine pour agir comme médiateur. J’ai rencontré séparément le patron et les employés, dans un climat d’écoute. Le résultat a été une amélioration tangible des relations internes. Je ne dis pas que les syndicats sont inutiles – bien au contraire – mais une base de relations industrielles solides réduit considérablement les conflits. Actuellement, le système caricature : le patron est vu comme le monstre, le travailleur comme la victime. Ce n’est pas juste. Tous les patrons ne sont pas des monstres et tous les travailleurs ne sont pas des victimes.

Les conventions collectives ont longtemps été un outil de protection des travailleurs. Sont-elles encore efficaces aujourd’hui ou constatez-vous qu’elles sont de plus en plus contournées ?

Malgré les conventions et les amendements législatifs, certains employeurs abusent encore de leur droit de licencier. Bien sûr, une compensation est prévue mais le licenciement reste trop facile à Maurice.

La réforme des lois du travail est souvent annoncée mais tarde à se concrétiser. Quelles mesures prioritaires devraient être mises en oeuvre pour rééquilibrer les relations industrielles ?

Il faut cesser les mesures populistes et oeuvrer pour des réformes équilibrées. La protection du travailleur doit être garantie, tout en tenant compte des réalités économiques et des besoins des employeurs. Prenons un exemple : lorsqu’un employeur licencie un salarié, il doit obligatoirement lui accorder un mois de préavis, sous peine de poursuites par le ministère.

En revanche, si un employé démissionne sans préavis, l’employeur doit entamer une procédure juridique coûteuse pour faire valoir ses droits. Il faut donc des réformes justes, équitables et applicables dans les deux sens. À quoi bon adopter des lois populaires si, au final, elles ne protègent ni le travailleur ni l’employeur ?

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