Ile Maurice: La boulangerie Soobraty, quatre générations de passion

Sur la route royale de Bon-Accueil, bien avant que le soleil ne perce à l’horizon, un parfum reconnaissable flotte dans l’air. Celui du pain chaud, qui réveille les quartiers et accompagne les premiers pas vers l’école ou le travail. Au coeur de ce rituel quotidien se trouve une institution presque mythique : la boulangerie Soobraty, dont l’histoire s’étend sur près de 150 ans.

Fondée à l’époque des arrièregrands-parents, la boulangerie Soobraty est aujourd’hui dirigée par Muhammad Arshad Ali Soobraty, représentant de la quatrième génération. À ses côtés, son père, Liaquat Soobraty, 70 ans, continue d’allumer le four tôt le matin, de surveiller la pâte, de partager son expérience avec la même passion qu’à ses débuts. «Mo’nn koumans travay depi mo ena 13 an, avek mo papa», raconte Liaquat, le visage éclairé par la lumière du four. «Sa lepok-la, ti pe servi four tradisionel ar dibwa. On restait là jusqu’à ce que le pain soit bien cuit.» Ce four traditionnel, en briques, alimenté au bois de filaos, est toujours là, fièrement dressé au fond de la boulangerie. Les murs, noircis par la fumée, témoignent d’un savoir-faire qui a survécu aux décennies, sans jamais perdre son âme.

Le travail commence alors que la plupart dorment encore. «La préparation de la pâte à pain prend environ quatre heures», explique Arshad. «Ensuite, la cuisson dure 23 minutes. Quand c’est fini, on laisse le pain refroidir sur les râteliers, jusqu’à ce qu’il soit prêt à être livré.» Ici, chaque geste est précis, appris à longueur d’années. Les boulangers dosent la farine, surveillent la levée de la pâte, tournent les miches avec dextérité. La chaleur du four, parfois étouffante, ne les empêche pas de sourire. «C’est notre vie», glisse Arshad.


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Dans l’île, le pain est bien plus qu’un aliment : c’est une habitude, un repère, une présence dans chaque foyer. «Dan sak lakaz, sak gramatin, tou dimounn al rod dipin. Ena mem dir: ‘Si pena dipin, lazourne-la pa kapav koumanse’», confie Arshad. Le pain se partage autour du thé, accompagne le curry, devient dipin gato pima ou sandwich emporté à l’école. De la table du pêcheur à celle du fonctionnaire, il traverse les générations, liant les Mauriciens par ce goût simple et universel. «Lekol, travay, partou li al avek nou», ajoute Liaquat. «Dipin, li fer parti nou lavi toulezour.»

La boulangerie Soobraty ne se contente pas de produire du pain. Elle perpétue aussi un art de vivre, celui du four ros, symbole de la tradition mauricienne. On y prépare toujours des spécialités bien locales : macachia, tarte banane, feuilleté, pâté, pain au chocolat, pizza… des douceurs dont la croûte dorée cache le goût fumé du bois de filaos. «On ne fait pas beaucoup de profit sur le pain cuit au four traditionnel, mais on continue quand même. C’est une question de coeur, pas d’argent», confie Arshad. Pour compenser, la famille s’est adaptée : une partie du pain est désormais cuite dans un four électrique, mais le four traditionnel reste le symbole du lieu, le coeur battant de la boulangerie.

Si le savoir-faire est resté, les temps ont changé. Autrefois, les jeunes apprenaient le métier aux côtés de leurs pères. Aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile de recruter. «Zordi, gagn difikilte. Bizin pran travayer etranze, parski bann zen pa oule travay dan boulanzri, sirtou aswar», regrette Liaquat. «Ena dirmem si pena manze, zot pa pou fer travay aswar.» Le métier est exigeant, il demande des nuits blanches, de la force et une véritable passion. Mais pour Liaquat, le secret réside dans la fierté du résultat : «Kan mo trouv dimounn aste mo dipin, mo santi mo travay inn fer sans.»

Dans le quartier, tout le monde connaît le «boulanger Soobraty». Les anciens en parlent avec affection. Certains s’y rendent encore chaque matin, comme un rituel immuable. «Mem bann ansien dir zot konn sa boulanzrila depi zot zanfan.» Les clients viennent pour la qualité, bien sûr, mais aussi pour l’histoire, l’authenticité et le lien humain. Ici, on ne vend pas seulement du pain : on transmet une mémoire.

Malgré les défis, la famille Soobraty refuse de tourner la page. Chaque jour, le four s’allume, la farine vole, la pâte lève doucement – comme un hommage à ceux qui ont bâti cette boulangerie avant eux. «Ce métier, c’est notre vie. Si mo pa santi parfin dipin, mo lazourne pa kav bien koumanse», confie Arshad. Et il espère que, d’une manière ou d’une autre, la tradition continuera. «Kitfwa pa tou bann zenes. Ena bann ki pou interese, bann ki pou trouv valer ladan. Bann ki pou kontan travay ar zot lame.»

En cette Journée mondiale du pain, la boulangerie Soobraty incarne bien plus qu’un métier : elle symbolise la patience, la transmission, la passion et le respect du travail bien fait.Liaquat Soobraty (à dr.) et son fils Arshad perpétuent la tradition familiale, unis par la même passion du pain et du travail bien fait.

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