Ile Maurice: Kevin Nagawa – «L'île Maurice devrait se doter d'un Master Plan Football sur 20-25 ans»

Kevin Nagawa, ancien footballeur mauricien devenu agent de football certifié par la FIFA, partage son parcours inspirant. Évoluant en Belgique, il évoque son expérience en tant qu’agent, les défis du football mauricien et ses ambitions pour l’avenir, tant au niveau local qu’international. Il partage également sa volonté de contribuer activement à l’éclosion de talents locaux.

🔹 Kevin Nagawa, vous vivez en Belgique et vous avez récemment obtenu votre licence d’agent de football. Racontez-nous votre parcours.

Je m’appelle Kevin Nagawa. Je suis né et j’ai grandi à l’île Maurice, où j’ai suivi un parcours scolaire classique. En revanche, mon enfance et mon adolescence ont été très sportives : j’ai pratiqué le karaté et la natation en club avant de me passionner pour le football. À 16 ans, en Form V, j’ai rejoint le Cadets Club, évoluant dans l’équipe réserve.

À l’entraînement, j’ai côtoyé des légendes comme Veda Balaghee, Alain Seerungen, Johnny Edmond, ainsi que Dhanraj Riga et Chandrasen Somah. Je suis resté au club jusqu’à mon départ pour la fac. J’ai eu la chance d’obtenir une bourse d’études pour poursuivre mon cursus universitaire en France et en Angleterre, où j’ai obtenu un diplôme d’ingénieur en informatique.

Cependant, je n’ai jamais exercé dans ce domaine. J’ai rejoint une société suédoise d’électroménager à Bruxelles, en Belgique. J’y ai travaillé pendant un peu plus de 21 ans, jusqu’en décembre dernier, occupant différents postes à responsabilité. En novembre dernier, j’ai obtenu ma licence d’agent de football de la FIFA et, dans la foulée, j’ai également suivi une formation complémentaire me permettant de représenter des joueurs mineurs. Je suis le papa chanceux de deux merveilleuses filles de 9 et 12 ans.

🔹 Comment êtes-vous devenu agent de football ?

Pour devenir agent de football certifié par la FIFA, il faut réussir un examen organisé deux fois par an (une seule fois à partir de 2026). Cet examen couvre tous les aspects du métier : transferts, règlementations, commissions, mais aussi la structure organisationnelle de la FIFA, incluant ses comités et souscomités. Il comporte également une section importante sur les bonnes pratiques à adopter, notamment pour la gestion de la carrière des mineurs et des footballeuses. J’ai préparé l’examen de novembre 2024 et je l’ai réussi, obtenant ainsi ma licence d’agent de football FIFA. Cette licence couvre le football à 11, le beach soccer et le futsal, tant masculin que féminin, à l’échelle mondiale.

🔹 Qu’est-ce qui vous passionne dans ce métier ?

Au-delà de baigner dans l’univers du football que j’adore, ce qui me passionne le plus est l’impact qu’un agent peut avoir sur la carrière d’un joueur. Un bon agent peut véritablement changer le parcours d’un joueur pour le meilleur, en lui ouvrant des portes qu’il n’aurait su franchir seul. Cela peut être dès le début de carrière, pour découvrir et accompagner de jeunes talents, mais aussi avec des joueurs confirmés, en leur assurant d’évoluer dans les meilleures conditions.

🔹 Quelle est votre principale responsabilité en tant qu’agent ?

La responsabilité principale d’un agent est de gérer la carrière sportive de son joueur. Cela implique de défendre ses intérêts, de trouver le club idéal pour son évolution, et de négocier les meilleures conditions contractuelles possibles. Même si le joueur ne change pas de club, l’agent peut intervenir lors d’une renégociation ou d’une prolongation de contrat suite à de bonnes performances. Mais être agent va bien au-delà : c’est également conseiller, soutenir, motiver, définir une stratégie de carrière, et assurer un accompagnement global. Parfois, l’agent fait appel à des professionnels comme des kinésithérapeutes, des préparateurs physiques ou des nutritionnistes pour optimiser la performance du joueur. Il peut aussi gérer des aspects extra-sportifs : trouver une école internationale pour les enfants, aider à la logistique d’un déménagement, ou organiser des cours de langue pour le joueur et sa famille dans un nouveau pays.

🔹 Parlez-nous un peu des joueurs que vous avez sous votre responsabilité actuellement.

Je m’occupe actuellement de 13 joueurs : 9 hommes et 4 femmes. Le plus jeune a 17 ans, la plus âgée en a 30. Ils jouent en Europe, au Maroc, en Égypte et en Ouzbékistan. Le plus jeune est un international marocain, pur gaucher, extrêmement prometteur, qui évolue au Raja de Casablanca. L’une des quatre joueuses joue en D1 française à Nantes. Elle est internationale et a remporté la Coupe d’Afrique des nations avec le Nigeria en 2018.

🔹 Comment établissez-vous la confiance avec vos clients ?

En étant totalement transparent. Pas de flatteries inutiles ni de fausses promesses. Je suis honnête sur les performances, les contacts, les essais, les retours des clubs, les contrats et les propositions financières. Comme dans la vie, la confiance se mérite. Elle se construit avec le temps et peut se volatiliser en un instant.

🔹 Quelles sont les tendances actuelles dans le marché des transferts ?

En plein mercato estival (été hémisphère nord), deux grandes tendances se dessinent : l’émergence de championnats ambitieux comme ceux des pays du Golfe (Arabie saoudite, Qatar, Koweït), mais aussi en Chine, en Inde ou en Azerbaïdjan. Ces ligues investissent pour attirer joueurs et entraîneurs de qualité ; le développement rapide du football féminin. Les championnats anglais et espagnols dominent, avec des salaires de plus en plus compétitifs pour les meilleures joueuses. Autre évolution marquante : l’usage croissant des logiciels d’analyse de performance pour évaluer les joueurs.

🔹 Comment évaluezvous justement le potentiel d’un joueur ?

D’abord par son parcours: un jeune laisse entrevoir un potentiel lorsqu’il/elle est formé(e) dans un club professionnel (Ligue 1, Bundesliga, Liga, Premier League, etc.) et/ou sélectionné(e) en équipe nationale de jeunes (U15, U17, U19). Mais rien n’est garanti. J’en suis moi-même la preuve. D’où l’importance des retours de ses éducateurs, de son entourage, et des données objectives : statistiques physiques, techniques et mentales, obtenues via des logiciels ou des tests standardisés. L’entourage d’un jeune joueur est primordial. Le jeune doit être soutenu, bien conseillé, encouragé et protégé. La mentalité est également cruciale. Arsène Wenger disait que la différence entre les très bons et les excellents se joue vers 17- 18 ans dans la tête : cette volonté farouche de réussir et la résilience face aux échecs caractérisent les meilleurs professionnels.

🔹 Quels défis anticipez-vous dans ce secteur ?

Les nouvelles règles FIFA limitent la rémunération des agents à 3 % du salaire du joueur, réduisant nos revenus. De nombreuses actions en justice sont en cours. Des régulations futures pourraient interdire à un agent de représenter plusieurs parties (joueur, club acheteur, club vendeur), ce qui réduirait les marges de manoeuvre – même si la démarche est louable et évite des conflits d’intérêts. La protection renforcée des mineurs pourrait repousser la signature du premier contrat pro à 18 ans, ce qui impacterait la rémunération des agents. Les retards de paiement, voire les impayés, deviennent plus fréquents. Certains clubs, en difficulté financière, paient leurs agents en dernier. Exemple frappant : les déboires de l’Olympique Lyonnais pour raisons économiques. L’évolution technologique permet aux clubs de recruter sans intermédiaire via des plateformes, et aux joueurs de se promouvoir eux-mêmes. Les grosses agences disposent aussi d’outils et de moyens que les petites structures ne peuvent égaler — ce qui rend les plus forts encore plus forts.

🔹 Pouvez-vous nous parler d’un joueur dont vous êtes particulièrement fier ?

Oui, Mehdi, le jeune Marocain de 17 ans, international, formé à l’académie Mohamed VI et qui évolue aujourd’hui au Raja de Casablanca. Il vient de réussir son bac avec mention et il ne s’entraîne qu’une seule fois par jour, contrairement à ses coéquipiers qui font la séance du matin quand lui est à l’école. Il a subi une blessure (fracture du péroné), s’est fait opérer, a traversé les épreuves psychologiques prévisibles, mais s’est relevé avec une détermination incroyable. Il a rejoué en septembre et a été rappelé en sélection nationale en décembre. Il vient de se voir offrir, à 17 ans, son premier contrat professionnel. Audelà de ses qualités sportives, c’est sa résilience et sa hargne qui m’impressionnent et me rendent fier de l’accompagner.

🔹 Sur le plan local, suivez-vous le parcours de la sélection nationale ?

Je suis les résultats dès que nos filles ou nos garçons jouent. Récemment, j’ai suivi la COSAFA Cup où le Club M a fait trois matchs nuls et obtenu deux titres d’Homme du Match — bravo à Kevin Jean-Louis et Dylan Collard ! Les filles, hélas, ont été un peu moins chanceuses. Pour l’anecdote, quand j’étais au collège, avec mes amis les plus proches — ceux avec qui on faisait les 400 coups — on s’était autobaptisés le «Club M» ! C’est dire l’attachement qu’on avait tous à la sélection nationale. De surcroît, quand le collège jouait en rouge de la tête aux pieds, c’était facile de se prendre au jeu aux intercollèges de football. J’ai aussi des souvenirs extraordinaires du vieux stade George V. Je me rappelle d’un match contre l’Égypte Espoirs, où Michael Badal avait tiré un missile en demi-volée depuis le rond central. Le bruit que cela avait fait dans le stade m’avait marqué ! Et la fois où Désiré Périatambée a marqué sur un coup franc indirect en toute fin de match contre le Cameroun, pour une victoire en Coupe d’Afrique Junior en 1993. Et bien sûr, la finale des JIOI face à La Réunion, avec les buts de Jimmy Cundasamy et Jean-Marc Ithier pour une belle médaille d’or.

🔹 Vous qui avez déjà évolué à Maurice en tant que footballeur, quel est votre constat du football mauricien ?

Tout d’abord, j’aimerais souligner que, bien qu’ayant évolué à Maurice, je suis loin d’avoir eu la carrière de nos illustres légendes mauriciennes. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir une opinion. Le football mauricien pourrait mieux se porter. Je pense que je ne surprends personne. On a souvent tendance à comparer (à tort ou à raison) l’avant et l’après régionalisation. Au niveau des clubs, c’est difficile de comparer un champion actuel à un champion d’antan… Si on prenait le champion 2025 et qu’il affrontait la Fire Brigade ou le Sunrise FC à leur summum, difficile de dire quel serait le résultat. Par contre, ce que l’on peut affirmer, c’est qu’aujourd’hui, peu d’adversaires craignent de rencontrer des clubs mauriciens dans des compétitions africaines.

🔹 Et au niveau des performances de la sélection nationale ?

Quant à la sélection nationale, nous avons perdu 65 places en 30 ans au classement FIFA. Chez les filles, nous sommes malheureusement aujourd’hui lanterne rouge de ce même classement. Ce n’est pas simplement de la malchance. Idéalement, on aurait aimé voir nos clubs atteindre régulièrement les quarts de finale, voire parfois mieux dans des compétitions africaines. On aurait aussi aimé voir le Club M rivaliser avec les meilleures nations du continent. Mais force est de constater que nous ne produisons pas ce type de résultats. Depuis 2022, sur 31 matchs disputés, le Club M a fait 8 nuls, n’a remporté que 5 rencontres et en a perdu 18.

🔹 À quoi attribuezvous cet état de fait ?

Je l’attribue à un manque de vision et de constance, à notre formation qui est perfectible, et à une carence de frottements. L’île Maurice devrait se doter d’un Master Plan Football sur 20-25 ans, se donner les moyens d’y arriver et s’y tenir sur la durée, même quand des éléments extra-footballistiques changent, notamment dans le contexte politique ou institutionnel. Dans un monde idéal, il nous faudrait un système structuré de détection et de formation dès 7 ans, comme cela se fait à l’étranger, et non pas commencer dans l’année de leur 12e anniversaire comme c’est fait aujourd’hui. L’Académie de Football Nord (AFN) de Joe Tshupula se rapproche de cette philosophie avec des petits qui commencent à 4 ans. Le nombre de terrains à 11 à Maurice est tout à fait respectable, et un bon nombre d’entre eux sont synthétiques et éclairés la nuit — c’est très bien. Mais il faudrait aussi une douzaine de demi-terrains pour le football à 7, ainsi que 70 à 80 terrains synthétiques de mini-foot éclairés, avec un mur sur un côté pour jouer seul et en accès libre, disséminés partout dans l’île. Pour info, l’Islande, avec 350 000 habitants, en compte 150 ! Il faudrait également augmenter le volume d’entraînement. Même à haut niveau, certains joueurs à Maurice ne s’entraînent que trois fois par semaine et, s’ils ont de la chance, ils disputent un match le week-end. Il faudrait systématiquement viser les 4 à 5 séances hebdomadaires, plus un match de haute intensité le samedi ou le dimanche. Enfin, nous devrions augmenter rapidement le nombre d’entraîneurs mauriciens titulaires des diplômes UEFA A, B ou Pro, ou CAF A, B. Nous en avons moins de vingt à Maurice, et il faudrait un plan ambitieux pour en avoir une cinquantaine d’ici 10 ans.

🔹 Et qu’en est-il de l’aspect purement compétitif ?

Il serait bénéfique que les équipes de jeunes affrontent régulièrement des adversaires plus aguerris, voire des adultes. Les U17 du High Performance Center (HPC) et de l’exLiverpool FC Academy évoluaient en D2, et les U20 du HPC et du Centre Technique National en D1. C’est un bon début. On devrait participer à plus de compétitions à l’étranger et se confronter au niveau des meilleures nations africaines et européennes. Il faudrait que nos jeunes disputent 40 à 50 matchs par saison alors qu’aujourd’hui, ils peinent à dépasser la barre des 20. Nous devrions également moins nous disperser quand il s’agit de notre élite footballistique : aujourd’hui, les tout meilleurs sont issus de différents systèmes (ex-LFC Academy, CNFF, HPC, académies privées…). Nous commençons aussi à avoir une diaspora nombreuse, variée et performante en football, notamment en Europe et en Australie. J’ose espérer que nous disposons d’une liste exhaustive de ces joueurs, et que nous suivons leur évolution.

🔹 Pensez-vous vraiment que cette approche ferait progresser le football mauricien ?

Des fois je me surprends à rêver que le Club M joue la Coupe du Monde de la FIFA et pas que sur la PlayStation. Et après tout, pourquoi pas ? Trinidad-et-Tobago, avec 1,4 million d’habitants, s’est qualifié pour la CDM 2006, la Slovénie, avec 2 millions d’habitants, s’est qualifiée deux fois pour des Coupes du Monde, et l’Islande a réussi le même exploit. L’Islande a même éliminé l’Angleterre en Coupe d’Europe 2016.

🔹 Alors pourquoi pas nous ?

Les Comores, à la CAN 2021, sortent de la phase de poules avec le Maroc et s’inclinent en huitième de finale contre le Cameroun qui joue à domicile. Ils sont une énième preuve que la taille du pays (même superficie que Maurice, mais avec 900 000 habitants) n’est pas un obstacle à la performance. À Maurice, on pourrait se fixer comme objectif la qualification pour la Coupe du Monde 2046… dans 21 ans… ou 2050 dans 25 ans. On appellerait ça le projet CDM’50. En allant avec une équipe d’une moyenne d’âge de 25 ans, cela voudrait dire que nous aurions des cadres expérimentés qui sont encore des enfants aujourd’hui, et des jeunes talents de 20 ans qui ne sont pas encore nés à l’heure actuelle.

C’est là que le Master Plan Football prend tout son sens et requiert une vision à long terme, des moyens et une persévérance à toute épreuve. On établirait des temps de passage clairs et précis : exemple, en route vers la CDM 2046/2050, on devrait s’être qualifiés pour la CAN régulièrement, avec des paliers passés à chaque fois (phase de poules en 2037, huitième de finale en 2041, quart de finale en 2045). On devrait aussi décrocher la médaille d’or de football aux Jeux des Îles au moins 4 ou 5 fois d’ici là. Malgré l’expérience ratée d’il y a quelques années, je reste persuadé que la professionnalisation du football mauricien fera obligatoirement partie de ces objectifs intermédiaires.

🔹 Y a-t-il la possibilité que vous preniez un jour des joueurs mauriciens sous votre aile ?

Ah oui – je le souhaite de tout mon coeur. Et pas un jour, j’espère le plus vite possible. Rien ne me ferait plus plaisir que d’aider nos jeunes filles et garçons à percer dans le monde du football et à vivre leur rêve.

🔹 Quels sont vos projets dans les semaines à venir, et notamment pendant le mercato estival ?

J’étais en Afrique du Sud jeudi où je me suis entretenu avec Jean-Marc Ithier. Je me rends ensuite à Madagascar, où je rencontrerai le directeur technique national actuel, Rado. Je me rends ensuite aux Seychelles pour suivre la compétition de football aux Jeux de la CJSOI. Ce sera une occasion unique de voir les jeunes de 16, 17 et 18 ans de toutes les îles de l’océan Indien au même endroit en l’espace de 10 jours. J’espère également pouvoir nouer des relations avec les dirigeants des différentes délégations, car nous savons tous que des pays comme les Comores, Madagascar et La Réunion placent pas mal de professionnels en Europe. J’espère que Maurice y arrivera très bientôt. Et après ça, je reviens à Maurice pour une dizaine de jours pour voir la famille et les amis.

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