Ile Maurice: Changement cherche mode d'emploi

C’est un clash qui ne dit pas son nom, mais qui révèle une réalité rarement exposée. À pratiquement neuf mois de mandat, le gouvernement dit du «changement» donne quelques signes d’usure interne. Le dernier épisode ? Une scène de ménage institutionnelle entre Arianne Navarre-Marie, ministre de l’Égalité des genres, et sa junior minister, Anishta Babooram. Un pugilat feutré, sur fond d’ego, de marginalisation perçue et de silences trop longs devenus explosifs. Mais derrière le duel, c’est l’édifice du pouvoir exécutif qui tremble sur ses bases. Ce n’est pas une simple querelle de personnes : c’est le révélateur d’un système à réparer ou à réinventer.

Dans tout gouvernement de coalition, il y a une part d’équilibrisme. Il faut caser les uns, ménager les autres, distribuer des postes sans trop heurter les susceptibilités politiques, régionales ou communautaires. C’est un jeu de dominos aux allures de Rubik’s Cube. Le poste de junior minister a été, dans ce contexte, la solution magique : un ministrapontin ministériel qui permet de récompenser un allié sans trop lui donner de pouvoir. Le problème, c’est que cette position, floue par définition, devient rapidement explosive quand les rapports humains s’enveniment ou que la chaîne hiérarchique est pervertie.

Le cas Navarre-Marie-Babooram est emblématique. Une ministre expérimentée, gardienne d’un système dynastique en voie de disparition, face à une élue jeune, volontaire, issue d’une génération plus récente et moins sous tutelle, voire plus rebelle. L’une affiche son tempo ; l’autre dit qu’on l’a effacée. L’une affirme avoir confié des dossiers ; l’autre clame qu’on ne lui a rien laissé. Et au milieu, des conseillers politiques, parfois zélés, parfois malveillants, qui pensent que leur proximité avec le pouvoir les autorise à marcher sur les plates-bandes des élus. Ce sont eux, souvent, les vrais fauteurs de tension – ceux qui soufflent sur les braises quand le feu couve.

La vérité est plus large : cette cohabitation laborieuse n’est pas un cas isolé. Avant ce duel, on se souvient du tandem néophyte à la Sécurité sociale, avec deux membres de Rezistans ek Alternativ. Là aussi, la confusion entre militantisme et gouvernance a fait des dégâts. Le scandale autour de la National Empowerment Foundation n’a pas seulement révélé des nominations douteuses : il a mis en lumière une incompréhension du rôle de l’État par ceux censés incarner le renouveau. Le militantisme de terrain ne suffit pas quand il s’agit de gérer un ministère. Il faut de l’écoute, de la rigueur, du respect de l’institution et des règles de la fonction publique.

Ramgoolam, fin connaisseur des dynamiques de pouvoir, l’a bien compris. Il a tenté de limiter les dégâts en affectant des ministres et leurs juniors issus du même bord politique dans des portefeuilles sensibles :Environnement, Agro-industrie, Affaires étrangères, Sports. Là, les tensions sont moindres. Les affaires de famille se règlent en famille, loin des yeux de la presse. Mais dans les ministères mixtes – où la cohabitation se fait entre partenaires différents – les tensions ressurgissent. Tourisme, Collectivités locales, Égalité des genres : les frictions sont plus visibles, parfois brutales.

Alors, que faire ? Continuer à colmater ? À prier pour que les ego se taisent ? Ou bien, enfin, affronter la réalité : notre architecture institutionnelle est bancale. Le poste de junior minister est aujourd’hui une coquille vide ou un levier politique, selon le bon vouloir du ministre de tutelle. Il n’a ni autonomie, ni budget, ni pouvoir réglementaire clair. Il est à la merci de la générosité ou du mépris du ministre principal, lui-même tributaire des prérogatives que veut bien lui léguer le Premier ministre. Et ce flou, institutionnalisé, ne peut que générer des frustrations.

La solution ? Elle est double. D’un côté, il faut un vrai toilettage du rôle des junior ministers dans la Constitution ou dans la loi : définir leur champ d’action, leur rendre des comptes au Parlement, leur confier des responsabilités précises. De l’autre, il faut un code de conduite clair sur la collaboration entre ministres et juniors. La politique ne peut pas être livrée aux caprices ou aux susceptibilités.

Et les Senior Advisors doivent rester à leur place : au service de la mission gouvernementale, pas d’une guerre d’influence bureaucratique. Le Premier ministre devra trancher. Car si ce type de crise se répète, l’Alliance du changement risque de sombrer dans le ridicule. Déjà, dans l’opinion, les promesses électorales non tenues, les réformes mal expliquées et l’absence de résultats concrets ont érodé la confiance. Les clashs internes ne feront qu’ajouter au malaise. L’autorité de Ramgoolam est en jeu. Celle de Bérenger aussi, qui a toujours prôné la discipline ministérielle. Si le duo veut encore incarner le changement, il doit discipliner ses troupes et clarifier les rôles.

Anishta Babooram ne démissionnera pas. Elle demande du respect. Elle a raison. Mais le respect ne se décrète pas : il se construit. Et pour cela, il faut d’abord réparer une mécanique gouvernementale qui tourne à vide. Sans cela, les prochains clashs sont inévitables. Et ce ne sera pas toujours sur Facebook. Ce sera dans la rue, dans les urnes, dans les coeurs fatigués d’un peuple qui attendait un changement… et qui ne récolte que des bisbilles ministérielles. Maurice mérite mieux. Que les ministres travaillent. Que les juniors s’affirment. Que les conseillers se taisent. Et que le changement ne soit pas un slogan, mais une culture de gouvernance.

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