Ile Maurice: Ce que la voiture dit de nous

À Maurice, la voiture reste plus que jamais reine. Bien plus qu’un simple moyen de transport, elle est devenue un fétiche statutaire, parfois poursuivi au mépris du bon sens économique. En juin 2025, à la suite de l’annonce précipitée d’une hausse des droits d’accise sur les véhicules, le pays a connu une ruée spectaculaire : 6 703 voitures ont été dédouanées en vingt-cinq jours, soit trois fois la moyenne mensuelle de 2024. Un emballement qui a provoqué une sortie de devises estimée à 200 millions de dollars en un seul mois.

Ce qui devait être une mesure budgétaire mesurée, destinée à freiner les importations et assainir la balance commerciale, s’est transformé en bombe à retardement. La période transitoire offerte par le gouvernement — censée amortir le choc fiscal — a eu l’effet contraire : elle a accéléré la spéculation et déclenché un effet d’aubaine généralisé.

Concessionnaires, importateurs, banques, consommateurs : tous ont joué la montre, anticipé la hausse et saturé les capacités douanières. À la fermeture du guichet, le 30 juin, près d’un tiers des importations annuelles de véhicules avaient déjà été consommées. Le signal envoyé au marché des changes est aussi clair qu’inquiétant.

On pourrait, comme souvent, accuser les coupables habituels : les concessionnaires opportunistes, les classes moyennes avides de symboles de réussite, les amateurs de SUV allemands rutilants. Mais la responsabilité est plus diffuse : elle relève d’une gestion publique hésitante, d’un déficit de coordination interinstitutionnelle et d’une certaine hésitation politique. La voiture reste, dans l’imaginaire mauricien, la preuve ultime que l’on a «réussi». Et cela, même quand le pays s’endette, que la monnaie flanche et que la précarité s’installe dans de nombreux foyers.

Pendant que certains acquièrent leur troisième véhicule, d’autres font la queue pour du riz subventionné. L’inflation reste tenace. Le système de pension est sous tension. Les réserves de change s’épuisent. Et pourtant, aucun signal fiscal ou monétaire ne semble suffisamment dissuasif pour casser cette frénésie automobile.

Le transport public étant ce qu’il est — vétuste, aléatoire, déconnecté des besoins réels et le Metro Express empêtré dans ses problèmes de dette et de gestion — la voiture personnelle est souvent perçue comme une nécessité. Mais l’explosion des importations de véhicules hybrides ou de prestige raconte une autre histoire : celle d’une bulle de consommation mal régulée.

Pendant ce temps, la Banque de Maurice peine à rassurer. Officiellement, la roupie se serait appréciée de 4,9 % face au dollar depuis janvier, tirée par un affaiblissement du billet vert et par les entrées de devises dans l’hôtellerie et les services financiers.

Mais sur le terrain, c’est un autre film. Les opérateurs dénoncent des retards, des allocations insuffisantes, un marché opaque, fragmenté, inefficace. Le taux offshore du dollar frôle les 49 roupies, bien au-dessus du taux officiel. Le maintien d’un spread de 90 points de base entre le bid et l’ask — hérité d’une époque plus liquide — étouffe aujourd’hui le marché.

Même la récente hausse du taux directeur (+50 points de base en février) semble hors-sol face à une réalité de liquidité contrainte et de spéculation rampante. Et la gouvernance de la BoM, minée par des tensions internes, n’arrange rien. Derrière les beaux discours et les rapports monétaires policés, le marché des devises reste malade. La Banque centrale argue qu’elle ne peut pas tout refaire en sept ou huit mois et qu’il faut laisser le temps au temps. La confiance, elle, est en chute libre.

L’épisode de juin dernier ne relève donc pas d’un simple dysfonctionnement budgétaire. Il révèle une faille structurelle dans notre gouvernance économique. Une réforme mal préparée, mal communiquée et socialement contre-productive. Il faut tirer les leçons.

La voiture ne peut plus être le centre de gravité d’une société en transition démographique et sous tension monétaire. Si la réussite continue de s’afficher en jantes alu et vitres fumées sur nos routes saturées, alors Maurice roule droit dans le mur. Un permis d’importation après l’autre.

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