Ile Maurice: 55 ans de combat – La GWF entre héritage et renouveau

55 ans de lutte en ce mois d’août. Plus d’un demi-siècle que la General Workers Federation (GWF) s’impose comme une voix incontournable du mouvement syndical mauricien. Une histoire jalonnée de grèves, de négociations serrées et de victoires sociales qui ont façonné le quotidien de milliers de travailleurs. Aujourd’hui, la GWF souffle ses 55 bougies avec un regard tourné vers l’avenir, portée par une nouvelle génération de négociateurs déterminés à poursuivre ce combat. Rencontre à Grande-Rivière-Nord Ouest avec deux figures montantes : Sharvin Sunassee et Ashvin Gudday.
Les deux jeunes syndicalistes ont rejoint la GWF presque au même moment, il y a cinq ans. Depuis, ils forment un tandem soudé, complémentaire et énergique. Tous deux ont appris le métier «sur le terrain», sous la houlette d’Ashok Subron, figure emblématique de la fédération et aujourd’hui ministre de la Sécurité sociale.
Pour Sharvin Sunassee, tout a commencé au sein du corps syndical d’Airports of Mauritius. Après un premier accord collectif en 2018, l’arrivée de Ken Arian en 2019 bouleverse la donne : le document devient source de conflits et le jeune syndicaliste se retrouve mis à pied. Mais loin de se décourager, il rebondit grâce au soutien de la GWF et de la Federation of Civil Service and Other Unions (FCSOU). «Ce qui m’a convaincu à rejoindre la GWF, c’est de pouvoir travailler avec toutes les catégories de travailleurs, pas seulement dans un secteur spécifique», confie-t-il.
À ses côtés, Ashvin Gudday incarne une autre trajectoire. Issu de la zone franche, où il a travaillé plus de 22 ans, il découvre le monde syndical en 2016. «J’ai constaté de mes propres yeux la mauvaise distribution de la richesse et les conditions parfois indignes imposées aux travailleurs.» Son engagement se cristallise en 2020, lorsqu’il fait ses armes à la GWF auprès d’Ashok Subron. «Seulement 16 % des travailleurs mauriciens sont syndiqués. Cela montre l’ampleur du défi», souligne-t-il.
Une nouvelle dynamique
Depuis les élections de 2024, les deux jeunes ont pris en main la plupart des négociations. En l’espace de neuf mois, ils ont déjà conclu quatre accords collectifs avec différents managements. Leur force ? Une approche moderne, centrée sur le dialogue et la proximité avec les travailleurs.
«Nous faisons parfois cinq ou six réunions dans une seule journée, dans des lieux différents. Pour l’instant, nous avons l’énergie de maintenir ce rythme», sourit Sharvin. À chaque fois, une constante : consulter les travailleurs. «Nous organisons des assemblées pour expliquer chaque point, car ce sont eux qui doivent décider. C’est un principe que nous tenons d’Ashok Subron : le dernier mot revient toujours à la base.»
Cette méthode porte ses fruits. L’accord avec la Water Research Ltd s’est conclu rapidement, grâce à un management ouvert au dialogue. Quant à celui signé avec Froid des Mascareignes, il est considéré par les deux jeunes comme «l’un des meilleurs obtenus à ce jour».
La GWF se distingue par une philosophie claire : privilégier le cadre légal et la concertation plutôt que l’affrontement stérile. «Nous ne sommes pas là pour taper la table à tout prix», insiste Sharvin. Un accompagnement particulier est aussi proposé aux travailleurs convoqués devant des comités disciplinaires. «Je sais le stress que cela engendre. Ayant moi-même vécu cette épreuve, je veux éviter que d’autres traversent cela seuls.»
Pour Ashvin, la force de la fédération réside dans son franc-parler et sa capacité à mobiliser. «Avant de signer, nous recherchons l’unanimité des travailleurs. C’est ce qui fait la légitimité de nos accords.» Il n’oublie pas les grandes grèves soutenues par la GWF au fil des ans, du transport à l’industrie cannière, autant de luttes qui ont marqué l’histoire sociale de Maurice. «Nous combattons un système capitaliste qui privilégie le profit au détriment de la vie. La vie doit primer.»
Des combats récents
Les deux syndicalistes rendent hommage à ceux qui ont marqué l’histoire de la fédération. Parmi eux, Clency Bibi, président de l’instance, mais aussi le regretté Rashid Imrith. «J’ai eu la chance de collaborer avec lui. Je pense aussi à Narendranath Gopee, avec qui nous avons une relation de respect mutuel», confie Ashvin. Sharvin, lui, insiste sur l’importance de la cohésion interne. «Il arrive qu’il y ait des tensions au sein du mouvement, mais nous devons toujours garder en tête l’essentiel : nous sommes là pour les travailleurs.»
La GWF a aussi marqué les dernières années par son opposition aux lois répressives du Quarantine & Covid Bill en 2020. «Nous avons participé à une marche et réussi à repousser certaines dispositions qui allaient à l’encontre des travailleurs», rappelle Ashvin. La fédération s’est également battue pour le maintien du Wage Assistance Scheme afin que les salariés continuent de percevoir leur salaire malgré la crise.
À travers sa page Facebook et des émissions régulières, le jeune négociateur contribue à moderniser la communication syndicale. «Être présent sur les réseaux permet de sensibiliser davantage, surtout les jeunes travailleurs.» Ashvin Gudday (à gauche) et Sharvin Sunassee (au centre): deux jeunes négociateurs de la GWF qui se donnent à fond.
Un avenir à bâtir
À 55 ans, la GWF ne compte pas ralentir. Au contraire, ses jeunes porte-flambeaux entendent injecter encore plus de créativité et de modernisation. «Nous voulons élargir notre champ d’action vers de nouveaux secteurs comme le BPO, mais aussi mieux protéger les travailleurs étrangers, souvent exploités», explique Ashvin. Il souligne aussi la nécessité de donner plus de responsabilités aux femmes au sein du mouvement. «La solidarité et le dialogue social seront nos maîtres-mots.»
Au coeur de leur vision, une conviction partagée : protéger et empower les travailleurs grâce à une GWF encore plus structurée et dotée de ressources accrues. «Nous croyons dans un syndicalisme moderne, proche des gens, qui ne se contente pas de dénoncer mais propose des solutions.» Depuis sa création, la GWF a été de toutes les luttes sociales, marquant de son empreinte l’histoire du pays. Aujourd’hui, elle continue d’écrire ce récit collectif avec une nouvelle génération de leaders qui conjuguent héritage et renouveau. «55 ans, ce n’est pas une fin, mais une étape», concluent Sharvin Sunassee et Ashvin Gudday d’une même voix.
Leur ambition : que la GWF reste ce qu’elle a toujours été, un rempart pour les travailleurs, un espace de solidarité et d’espoir, face aux inégalités et aux défis d’un monde du travail en constante mutation.