Guinée: sous Mamadi Doumbouya, les principaux médias audiovisuels privés sont fermés et les acteurs menacés

En Guinée, la présidentielle est prévue pour le 28 décembre. Après avoir renversé Alpha Condé il y a quatre ans, le 5 septembre 2021, le général Mamadi Doumbouya, qui assure la présidence de la transition, est candidat en indépendant. Avec la disqualification des principaux partis d’opposition, le chef de la junte du CNRD est vu comme le grand favori de ce scrutin. Depuis son arrivée au pouvoir, la majeure partie des voix critiques et d’opposition sont soit en prison, soit en exil, sans compter les enlèvements en série de politiciens, magistrats ou militants pro-démocratie. Dans ce contexte, la presse guinéenne a été particulièrement touchée, surtout depuis la fermeture totale des principaux médias audiovisuels privés l’an dernier.
C’est dans une discrète rue du sud de Paris que se trouve la Maison des journalistes, structure associative qui accueille, soutient et accompagne des reporters du monde entier persécutés dans leur pays d’origine.
Le Guinéen, Abdoulaye Oumou Sow, 35 ans, fréquente les lieux depuis l’an dernier. « C’est vrai que je suis journaliste, mais je suis également activiste de la société civile et des défenseurs des droits de l’Homme. J’étais secrétaire générale de l’Association des blogueurs de Guinée, qui regroupe des journalistes indépendants, mais aussi des blogueurs guinéens vivant en Guinée un peu partout dans le monde. Et dans ce cadre, j’ai milité dans le Front national pour la défense de la Constitution dont je suis l’un des membres fondateurs. »
« J’étais activement recherché et mon domicile a été même attaqué »
C’est le FNDC, issu de la société civile, qui a fragilisé le pouvoir du président Alpha Condé en mobilisant des centaines de milliers de manifestants contre son troisième mandat illégal avant sa chute par celui-là même qu’il avait parachuté à la tête des Forces spéciales : un certain colonel Mamadi Doumbouya. Mais la lune de miel entre le FNDC et la nouvelle junte du CNRD tourne court. « En 2022, je n’avais plus la possibilité de rester parce que beaucoup de mes camarades ont été arrêtés. J’étais activement recherché et mon domicile a été même attaqué deux semaines après le baptême de ma seconde fille. Donc, j’étais dans l’obligation de quitter le pays et j’ai quitté le pays pour le Sénégal fin 2022. Je suis arrivé en France en 2023. »
« Quand l’État veut te faire taire, il te fera taire »
Dans son exil parisien, Abdoulaye Oumou Sow poursuit son métier de journaliste et fonde le site d’information militant Kouma Media – « la parole » en langue bambara. Tous n’auront pas cette chance. L’année suivante, ses camarades Foniké Menguè et Billo Bah sont enlevés à leur domicile sous les yeux de leurs épouses et de leurs voisins qui attestent que les ravisseurs sont des gendarmes.
Pour la presse en Guinée, le coup de grâce viendra en mai 2024 lorsque le ministre de l’Information décide de fermer totalement les radios et télévisions privées nationales pour « non-respect du cahier des charges », mettant 700 personnes au chômage dans un climat d’« agressions, arrestations et menaces » permanentes, dénonce RSF.
Triste ironie : c’est Fanah Soumah, présentateur vedette du JT fraîchement nommé ministre, qui justifie sa décision devant des journalistes à Nzérékoré. « Moi-même, je suis allé dans plusieurs médias. Ce sont mes petits, ce sont mes amis, les patrons des médias. Avec certains, on a même fait ensemble La Mecque pendant deux semaines pour leur dire de faire attention. Nous ne sommes pas des extraterrestres, nous ne pouvons pas affronter l’État. On n’est pas plus puissant que l’État. Quand l’État veut te faire taire, il te fera taire. Tu ne peux rien. »
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Les attaques contre la presse se multiplient
Depuis, les attaques contre la presse se multiplient. Il y a deux mois, le journaliste en exil Babila Keita annonçait le kidnapping aux aurores de son père qui se préparait pour la mosquée. « C’est moi qu’ils veulent avoir. Ils n’ont qu’à laisser mon père. Je rentre à Conakry, mais que je sois informé que mon père a retrouvé sa famille. » Et, voilà un an que son confrère Habib Marouane Camara est porté disparu, enlevé lui aussi par des gendarmes selon les témoins.



