Guinée: à la tête de Nimba Mining, Patrice L’Huiller mise sur la reprise de la production «à la fin de l’année»

La société Nimba Mining Company, créée par décret présidentiel en août dernier pour reprendre les activités de l’émirienne Guinea Alumina Corporation (GAC), a procédé mardi 4 novembre à son premier chargement de bauxite. Mais l’exploitation de la mine n’a pas encore repris : la société cherche un nouveau sous-traitant pour le faire, après le départ de DTP, filiale du français Bouygues, fin octobre. Le projet de Nimba Mining comporte aussi un volet industriel : une raffinerie d’alumine doit voir le jour ces prochaines années. Son directeur, Patrice L’Huillier, répond aux questions de notre envoyé spécial à Kamsar, Tangi Bihan.
RFI : Quel est le projet de Nimba Mining ?
Patrice L’Huillier : La société Nimba Mining Company SA, c’est une société anonyme de droit privé détenue à 100% par le ministère des Mines et de la Géologie de Guinée. Elle a récupéré un permis minier par décret présidentiel daté du 5 août 2025, qui représente 690 km carrés de surface, situé sur le territoire de la préfecture de Boké, avec des installations portuaires à Kamsar pour le stockage, le chargement et l’export de la bauxite.
Ce mardi 4 novembre, vous avez procédé au premier chargement de bauxite. Qui achète cette bauxite ?
C’est une étape très importante pour Nimba Mining Company car nous réalisons notre premier chargement commercial. NMC a signé un contrat pour vendre le stock de 1,5 million de tonnes, d’ici fin décembre 2025-première semaine de janvier 2026, à une grande société internationale de trading reconnue sur la place.
Des traders de quelle nationalité ?
Les trois grandes sociétés de trading sont Suisses, c’est l’une de ces trois-là.
C’est de la bauxite que GAC, votre prédécesseur, avait extraite. Est-ce que vous aviez le droit d’exporter cette bauxite ?
Il n’y a pas de risque juridique au sens où ce stock n’est pas une production commerciale, ce n’était pas un produit fini, c’était un en-cours de production. Cet en-cours de production, il faut le « bleender », c’est-à-dire le mélanger pour obtenir la qualité, ensuite il faut l’analyser, le transporter, le charger. C’est bien Nimba Mining Company qui fait les étapes finales de telle façon que ça devienne un produit commercial.
Deuxième chose : il y a eu un décret présidentiel qui donne un permis minier à Nimba Mining Company SA, donc nous avons pris possession de cette licence.
Vendre le stock qui restait, c’était peut-être la partie la plus facile de votre travail. Maintenant, quelles sont les prochaines étapes du projet, et à quelles échéances ?
Ça peut paraître facile, mais le défi était la vitesse de redémarrage parce que le gouvernement avait exigé que cela se fasse dans les 60 jours. Sachant que j’ai pris mes fonctions le 1er septembre, la date limite était le 31 octobre. Grâce à une équipe que nous avons remobilisée, à partir des anciens employés qui sont revenus, on a réussi à faire les premiers essais le 30 octobre et mardi [4 novembre] c’était la cérémonie officielle, avec le remplissage des barges avec le produit commercial.
Les étapes suivantes, c’est le redémarrage de la mine de Tinguilinta avec l’extraction de la bauxite et le transport par train. On est devenus membres du réseau ferroviaires « multi-users » qui connecte les mines de Sangarédi au port de Kamsar.
On va produire 10 millions de tonnes en 2026 puis 14 millions de tonnes en 2027 [équivalent à la production de GAC avant son départ].
Vous êtes en train de chercher un nouveau sous-traitant minier depuis le départ de DTP, filiale du groupe français Bouygues, fin octobre. Où en êtes-vous ?
La société DTP Mining, qui était l’opérateur historique de notre prédécesseur, nous a fait savoir par courrier qu’ils ne désiraient pas signer de contrat à long terme avec Nimba Mining Company. Néanmoins, ils nous aident à faire la transition.
Nous avons lancé un appel d’offres pour chercher un ou plusieurs sous-traitants miniers, que ce soient des sous-traitants guinéens ou des sous-traitants internationaux reconnus.
L’exploitation de la mine doit reprendre quand ?
À la fin de l’année ou dans les deux premières semaines de janvier 2026 au plus tard.
Ce projet n’est pas seulement extractif, c’est aussi un projet industriel, avec une usine d’alumine. À quelle échéance doit être construite l’usine ?
Dans leurs discours, le ministre des Mines et de la Géologie Bouna Sylla et le ministre directeur de cabinet de la présidence Djiba Diakité ont été très clairs sur le fait que Nimba Mining Company devait à la fois faire l’extraction et la transformation du minerai en Guinée. C’est l’objectif.
Le projet d’usine d’alumine de 1,2 million de tonnes, c’est l’étape prochaine pour nous. Nous avons déjà démarré avec un autre appel d’offres pour les études de faisabilité, ce qu’on appelle en français l’avant-projet détaillé, pour vérifier la fiabilité technico-économique de ce projet. On souhaite construire cette raffinerie d’alumine sur le territoire de notre licence, vers Sangarédi.
À quelle échéance ?
Pour ce genre d’études, il faut environ 18 mois de travail pour obtenir un rapport final, qui doit inclure une étude d’impact social et environnemental. J’insiste sur l’aspect social et environnemental. Les deux ministres ont souligné l’importance qu’on respecte les meilleures normes internationales, les best practices.
En Guinée, l’un des grands freins à l’industrialisation, c’est le manque d’énergie. Quelles pourraient être les solutions envisagées ?
Il n’y a plus de projets à partir de charbon, c’est interdit.
La Guinée, qu’on appelle le « château d’eau de l’Afrique », dispose d’un grand potentiel de ressources hydroélectriques avec des barrages. L’autre solution classique pour ce type d’usine, c’est le fioul. On va étudier les différentes possibilités.
Une usine de 1,2 million de tonnes d’alumine, ça consomme environ 40 mégawatt. C’est significatif.
Est-ce que de l’alumine guinéenne, produite au fioul, serait compétitive sur le marché international ? Produire au fioul coûtera sans doute plus cher que dans les usines chinoises…
D’après moi, ce sera compétitif.
L’alumine, c’est un produit à valeur ajoutée. Pour vous donner une indication, la bauxite se vend en ce moment à 70 dollars la tonne délivrée en Chine, alors que l’alumine se situe à entre 500 à 600 dollars la tonne, donc presque dix fois plus.
GAC avait environ 600 employés directs et 2 500 indirects avant d’arrêter ses activités et de perdre son permis. Combien avez-vous pu en reprendre, à ce jour ?
Actuellement, nous avons repris environ 250 employés, principalement au port de Kamsar car les opérations ont repris là. On monte en régime et on va rapidement arriver au nombre de 600.
La grosse différence, c’est qu’il y aura beaucoup moins d’expatriés. On est une société minière guinéenne, on veut mettre en valeur et développer l’emploi pour les Guinéens. Notre objectif c’est d’être le plus proche possible de 100% d’employés guinéens – des opérateurs, des techniciens, des cadres, des ingénieurs – dans tous les secteurs.
Mais vous, le directeur, êtes Français…
Je suis le seul !
L’objectif est de reprendre les employés directs d’ici janvier ?
L’objectif, c’est de les réintégrer le plus rapidement possible.
Est-ce que le nouveau sous-traitant devra s’engager à reprendre les environ 2 500 employés du précédent sous-traitant ?
Ce n’est pas couvert par un accord. Mais le sous-traitant a vraiment intérêt à reprendre les gens qui connaissent la conduite des engins miniers. S’il y a des gens disponibles dans la région, il va évidemment prendre des gens qui ont travaillé plusieurs années avec le prédécesseur.
Mais peut-être qu’il voudra moins d’employés ?
C’est difficile de répondre tout de suite à cette question. Mais le ministre a dit plusieurs dizaines de millions de tonnes de bauxite par an. La production devrait augmenter et dépasser ce qui se faisait avant [une dizaine de millions de tonnes par an]. Les emplois seront proportionnels, donc je ne suis pas inquiet sur la reprise des anciens opérateurs et des anciens employés.
Il faut investir à peu près combien pour relancer la mine ?
Pour le sous-traitant, l’appel d’offres fait appel aussi à des sociétés qui sont déjà en opérations en Guinée et qui possèdent déjà les flottes de machines. Pour une société qui voudrait démarrer sans être encore présente, ça représente un investissement de l’ordre de 50 à 100 millions de dollars pour constituer la flotte de machines nécessaires.
GAC envisage de recourir à l’arbitrage international contre l’État guinéen, après avoir perdu sa licence. Pensez-vous que des investisseurs puissent être frileux de reprendre une mine qui fait l’objet d’une forme d’insécurité juridique ?
Je ne sais pas. Je pense qu’il y avait un cahier des charges très clair. Il y a eu une violation du Code minier. Dans un contrat, les deux parties doivent respecter le contrat. Si une partie ne respecte pas, des décisions doivent être prises. C’est un différend qui se situe entre l’État guinéen et la société que vous avez mentionnée.
Djiba Diakité a aussi annoncé que Nimba Mining Company devra à l’avenir opérer dans l’or. Quels sont les contours de ce projet ?
Le ministre a parlé de partenariats industriels avec d’autres sociétés. L’objectif c’est de lancer le plus rapidement possible de l’exploration sur des licences en Guinée, dans l’est du pays, la frontière avec le Mali. Ce sont des zones aurifères connues où de grandes sociétés minières opèrent.
Il s’agit de lancer de l’exploration, que ce soit en solo, ou en joint-venture (coentreprise) avec d’autres sociétés locales ou étrangères.
L’exploration c’est la première étape. Il faut absolument en faire en Guinée pour continuer à faire apparaître le potentiel minier du pays.
Vous en ferez dès 2026 ?
Dès 2026.
Et où exactement : Siguiri, Mandiana ?
C’est la zone… On fera des annonces très rapidement.
Faire de l’exploration, ça coûte relativement cher. Nimba Mining le fera avec quels moyens ?
Dans l’exploration, il y a plusieurs étapes. On commence par la physico-chimie, puis les sondages, etc. On parle de l’ordre de dizaines de millions de dollars pour faire de l’exploration.
Mais c’est le meilleur investissement que vous puissiez faire. Toute mine a commencé par de l’exploration. Pour développer la production minière aurifère en Guinée, il faut absolument faire de l’exploration. L’exploration d’aujourd’hui, c’est la mine de demain pour nos enfants.
Djiba Diakité a aussi parlé de « Nimba Mining services ». De quoi s’agit-il ?
L’idée c’est de créer des pôles de compétences dans l’électronique industrielle, l’automatisme, la planification minière, etc. Dans les sujets très pointus techniquement où on peut former de jeunes cadres et ingénieurs Guinéens dans l’utilisation de technologies. Actuellement, on est parfois obligés de faire appel à des étrangers alors qu’on a le potentiel pour former de jeunes Guinéens. Ce pôle de compétence pourrait être à la disposition des entreprises minières du pays.
Les contours restent à définir, mais je le vois comme un mélange de formation opérationnelle et de personnes disponibles pour effectuer le travail de collaboration entre les différentes sociétés. Avec nos voisins de la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), juste à côté de nous, on a les mêmes problèmes techniques, en mine, en transport ou en logistique. On pourrait créer en commun un pôle de sujets techniques sur lesquels on prenne des Guinéens à la place de consultants venus de Chine, d’Inde ou d’Europe.
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