France-Mali : une rupture sécuritaire aux allures de divorce diplomatique


Depuis une décennie, la France est un acteur clé de la lutte contre le terrorisme au Sahel, et particulièrement au Mali. Pourtant, le 20 septembre 2025, Paris a annoncé la suspension de sa coopération sécuritaire et antiterroriste avec Bamako. Cette décision fait suite à l’arrestation controversée d’un diplomate français au Mali, sur fond d’accusations d’espionnage. Deux diplomates maliens ont été expulsés en réponse par la France, exacerbant un climat diplomatique déjà très tendu.
Décryptage d’un bras de fer aux multiples enjeux.
Arrestation d’un diplomate français : l’étincelle de la discorde
L’origine immédiate de la crise actuelle remonte à l’arrestation en août d’un diplomate français à Bamako. Les autorités maliennes le soupçonnent de travailler pour les services de renseignement français. Une accusation que Paris juge « infondée », dénonçant une violation de l’immunité diplomatique inscrite dans les conventions internationales, notamment la Convention de Vienne de 1961.
La France exige la libération immédiate de son ressortissant et, en représailles, a ordonné l’expulsion de deux diplomates maliens, leur donnant jusqu’au samedi suivant pour quitter le territoire français. Cette décision fait écho à un acte antérieur du gouvernement malien, qui avait déclaré cinq agents de l’ambassade de France « persona non grata », les forçant à quitter le Mali.
Une rupture annoncée : le lent effondrement de la coopération franco-malienne
La coopération sécuritaire entre la France et le Mali, autrefois étroite, s’était déjà profondément effritée depuis les coups d’État militaires de 2020 et 2021. Le gouvernement de transition dirigé par le colonel Assimi Goïta a multiplié les reproches contre Paris, l’accusant d’ingérences et de tentatives de déstabilisation. La France, quant à elle, a progressivement réduit sa présence militaire dans le pays, notamment avec le retrait officiel de l’opération Barkhane en 2022.
Cette opération, lancée en 2014, avait pour but de lutter contre les groupes djihadistes dans la région du Sahel, mais a fini par être perçue comme une présence néocoloniale par une partie de l’opinion publique malienne. La décision française de suspendre toute coopération sécuritaire et antiterroriste avec le Mali s’inscrit dans cette dynamique de retrait progressif, mais marque également une rupture brutale, qui pourrait avoir des conséquences sérieuses sur la stabilité régionale.
Un Mali tourné vers la Russie
Depuis la prise de pouvoir par la junte militaire, le Mali s’est considérablement rapproché de la Russie. La coopération sécuritaire avec Moscou s’est intensifiée, notamment à travers le recours aux services du groupe paramilitaire Wagner, désormais renommé et réorganisé après la mort de son fondateur Evgueni Prigojine. Les autorités maliennes justifient cette réorientation stratégique par le besoin de partenaires « plus respectueux » de leur souveraineté.
Ce basculement géopolitique s’accompagne d’une rhétorique anti-française de plus en plus virulente, relayée par des médias locaux et sur les réseaux sociaux. Ce choix de partenaires alimente toutefois des inquiétudes concernant les droits humains, les méthodes brutales de Wagner ayant été dénoncées à plusieurs reprises dans des rapports d’ONG. La rupture avec la France pourrait ainsi ouvrir la voie à une influence russe plus marquée, au prix d’un isolement diplomatique accru pour le Mali vis-à-vis de ses partenaires occidentaux.
Les conséquences régionales : un vide sécuritaire inquiétant
Le retrait de la France et la suspension de la coopération antiterroriste posent un risque sécuritaire d’envergure. Le Mali est confronté, depuis plus de dix ans, à une crise multiforme : groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à Daech, milices locales, conflits intercommunautaires, trafics criminels… La présence de forces étrangères, françaises, mais aussi onusiennes à travers la MINUSMA, avait permis, sinon de contenir totalement la menace, au moins de limiter sa progression.
Avec le départ progressif de ces forces et la fin de la coopération française, le risque d’embrasement régional devient réel. Le conflit pourrait s’étendre plus fortement au Burkina Faso et au Niger, deux pays également en proie à l’instabilité et eux aussi engagés dans des reconfigurations diplomatiques et militaires.
Une crise symptomatique d’un désengagement français au Sahel ?
La rupture avec le Mali s’inscrit dans une tendance plus large de désengagement de la France au Sahel, après des années d’implication militaire coûteuse et peu populaire dans l’opinion publique française. La France revoit actuellement ses partenariats en Afrique, misant davantage sur des coopérations ponctuelles, ciblées et à la demande des États concernés, plutôt que sur des déploiements massifs et permanents.
Toutefois, cette stratégie de retrait laisse un vide que d’autres puissances, la Russie, la Chine, voire la Turquie, sont promptes à combler. La tension actuelle entre la France et le Mali semble difficile à résoudre à court terme, d’autant plus que les deux camps campent sur leurs positions. Paris exige la libération de son diplomate, tandis que Bamako affiche sa détermination à poursuivre une politique de souveraineté renforcée, quitte à s’isoler diplomatiquement.
Reconfiguration du rapport de force au Sahel
Cependant, cette rupture pourrait aussi servir de point de départ à une redéfinition des relations franco-africaines, souvent perçues comme déséquilibrées ou marquées par des relents de colonialisme. Pour que cette redéfinition soit positive, elle devra s’appuyer sur un dialogue renouvelé, sur des bases claires : respect mutuel, coopération équitable et reconnaissance des aspirations souverainistes des États africains.
La suspension de la coopération sécuritaire entre la France et le Mali reflète un changement profond d’orientation politique, tant du côté malien que du côté français, et s’inscrit dans une reconfiguration plus large du rapport de force au Sahel. Reste à savoir si cette rupture marquera le début d’une nouvelle ère de relations internationales plus équilibrées… ou si elle ouvrira une période de turbulence sécuritaire et diplomatique dans une région déjà fortement fragilisée.