Farine au Maroc : soupçons de fraude et d’irrégularités dans les minoteries, une enquête judiciaire ouverte


Secoué par des accusations de fraude touchant la filière de la farine subventionnée, le Maroc fait face à un nouveau séisme politico-économique. Ce qui n’était au départ qu’une polémique parlementaire s’est mué en affaire d’État, poussant la justice à ouvrir une enquête nationale sur la transparence et la sécurité alimentaire. Entre soupçons de falsification, irrégularités confirmées par l’ONSSA et colère des consommateurs, le secteur de la minoterie se retrouve sous pression, symbole des défis de gouvernance et de contrôle que traverse l’agroalimentaire marocain.
Le Maroc est en émoi après les révélations explosives d’Ahmed Touizi, président du groupe parlementaire du Parti authenticité et modernité (PAM). Lors du débat autour du projet de loi de finances 2026, l’élu a lancé de graves accusations sur la qualité de la farine subventionnée par l’État, affirmant que certaines minoteries « moudraient du papier avec la farine ». Une phrase choc qui, bien que métaphorique selon l’intéressé, a suffi à déclencher une tempête politique et judiciaire. Le parquet général près la Cour d’appel de Rabat a immédiatement ordonné l’ouverture d’une enquête, confiée à la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ).
L’ONSSA confirme des irrégularités dans le secteur
L’affaire, d’abord perçue comme une querelle politique, a pris une tournure plus grave après les déclarations de l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). L’organisme public a confirmé l’existence d’« irrégularités » dans plusieurs minoteries marocaines. Selon les chiffres communiqués, neuf autorisations sanitaires ont été retirées et quatre autres suspendues en 2025 pour non-respect des normes de qualité et d’hygiène. Des inspections ont conduit à la saisie et à la destruction de 38 tonnes de farine impropre à la consommation, l’année dernière.
Entre janvier et septembre 2025, 577 échantillons ont été analysés, entraînant la destruction de 33 tonnes supplémentaires et la transmission de 60 dossiers aux autorités compétentes. Des anomalies importantes ont été relevées : taux de minéralisation excessif, tamisage non conforme, teneur en fer inférieure au seuil légal. La fameuse « farine nationale de blé tendre renforcée » ne respecterait d’ailleurs pas toujours les normes fixées par la réglementation marocaine.
Le secteur de la minoterie dans la tourmente
Face à la polémique, Moulay Abdelkader Alaoui, président de la Fédération nationale de la minoterie, a tenu à démentir fermement les propos de Touizi, qualifiant ses déclarations de « coup médiatique » et de « grave erreur ». Selon lui, le chiffre de 16,8 milliards de dirhams avancé par le député, censé représenter les aides indûment perçues, est « totalement irréaliste ». Il rappelle que les minoteries ne bénéficient pas directement des subventions, qui sont en réalité versées aux importateurs.
Ce versement s’effectue dans le cadre du mécanisme de compensation, suspendu depuis mai 2025 en raison de la stabilisation des cours mondiaux du blé. Touizi a, pour sa part, précisé que son expression « moudre du papier » n’était qu’une métaphore dénonçant la falsification de documents et de factures pour obtenir des aides publiques. Il affirme n’avoir jamais insinué que des substances non alimentaires étaient réellement incorporées à la farine.
Des scandales alimentaires récurrents au Maroc et en Afrique
Cette affaire ravive de douloureux souvenirs pour les consommateurs marocains. En 2018 déjà, un scandale similaire avait éclaté dans la région de Settat, où des boulangeries avaient été épinglées pour l’utilisation de farine impropre à la consommation. En 2022, des produits de semoule et de farine avaient été saisis à Casablanca et à Fès pour non-conformité sanitaire.
Au-delà des frontières marocaines, le continent africain a également connu plusieurs crises alimentaires retentissantes. En 2021, au Sénégal, des lots de farine importée avaient été rappelés après la découverte de résidus de pesticides interdits. Au Nigeria, en 2023, un scandale avait éclaté lorsque des lots de pain produits à partir de farine contaminée au bromate de potassium, un additif cancérigène, avaient été mis sur le marché.
Transparence, contrôle et confiance : un enjeu de santé publique
L’enquête en cours au Maroc vise non seulement à déterminer s’il y a eu fraude, mais aussi à rétablir la confiance entre les citoyens, l’État et les acteurs de la filière céréalière. La farine subventionnée joue en effet un rôle fondamental dans la sécurité alimentaire nationale, en particulier pour les ménages modestes. L’ONSSA promet de renforcer ses contrôles et d’étendre la surveillance à toutes les minoteries du Maroc. De nouvelles mesures pourraient être annoncées prochainement, notamment une révision du système d’agrément et un renforcement des sanctions en cas de falsification ou de non-respect des normes.
Sur les réseaux sociaux, les consommateurs marocains se montrent inquiets, mais aussi déterminés à exiger davantage de transparence. Le hashtag #FarinePropre circule déjà sur X (ex-Twitter) et Facebook, appelant à une consommation responsable et à des contrôles indépendants. Si les conclusions de la BNPJ confirment les soupçons de fraude administrative ou de manipulation des aides publiques, le scandale pourrait beaucoup influer la gouvernance du secteur agroalimentaire marocain.