Expulsions de migrants africains : le Ghana accusé de faire « le sale boulot » des États-Unis


Ils s’appellent Ahmed, Ousmane, Joseph, mais leurs noms sont à peine mentionnés dans les rares documents publics. Originaires du Nigeria, du Mali, du Togo, du Liberia et de Gambie, ces hommes avaient espéré un avenir meilleur aux États-Unis. Pourtant, après avoir été détenus sur le sol américain, ils se retrouvent expulsés, non pas directement dans leur pays d’origine, mais via une escale peu médiatisée : le Ghana.
L’affaire, révélée progressivement par des avocats et des ONG, met en exergue une coopération opaque entre les États-Unis et le Ghana. Quatorze personnes en situation irrégulière ont été transférées depuis les États-Unis vers le Ghana, début septembre. À ce jour, leur sort reste flou. Un seul aurait été libéré, selon leur avocat. Les autres auraient été expulsés, pour certains vers le Togo, un pays qui ne serait même pas leur patrie d’origine. Les autorités ghanéennes assurent pourtant qu’elles ont « regagné leur pays d’origine ».
Mais derrière ce discours officiel se cache une réalité bien plus inquiétante : le Ghana aurait accepté de servir de plateforme d’expulsion pour les États-Unis, en contournant les recours juridiques normalement garantis aux migrants.
Une stratégie de contournement des tribunaux américains ?
Selon plusieurs juristes et organisations de défense des droits humains, le mécanisme utilisé par Washington repose sur une faille : en transférant les migrants vers un pays tiers comme le Ghana, présenté comme un pays « sûr », les États-Unis s’évitent la complexité et la durée des procédures judiciaires en matière d’immigration. Autrement dit, les migrants ne passent plus devant un juge d’immigration américain : ils sont discrètement éloignés du territoire, où leur sort est ensuite réglé loin des caméras.
Pour les ONG, cette pratique viole non seulement les droits fondamentaux des personnes concernées, mais crée un dangereux précédent. Human Rights Watch a vivement réagi cette semaine dans un communiqué, dénonçant « des accords opaques entre gouvernements » qui exposent des centaines de migrants à « des violations graves du droit international ». L’organisation demande l’arrêt immédiat de ces expulsions indirectes, et la mise en place de protections effectives contre les risques de refoulement.
Le Ghana dans le rôle du sous-traitant migratoire
C’est ici que le rôle du Ghana devient profondément problématique. Le ministre ghanéen des Affaires étrangères a tenté de justifier ces transferts en évoquant un geste de « solidarité panafricaine ». Mais cette rhétorique sonne faux aux oreilles des défenseurs des droits humains : comment parler de solidarité quand on expulse des individus vers des pays où ils ne sont pas en sécurité, parfois même sans lien avec leur origine ? Des avocats ghanéens parlent clairement de complicité : selon eux, le Ghana fait « le sale boulot » des États-Unis, en acceptant de servir de relais pour des expulsions qu’aucun juge américain n’a validées.
Ce rôle, très politique, revient à blanchir les pratiques migratoires américaines, sous couvert de coopération diplomatique. Le Ghana, perçu jusque-là comme un modèle de stabilité en Afrique de l’Ouest, risque aujourd’hui de perdre en crédibilité internationale. En acceptant ce rôle de sous-traitant, il se place en contradiction flagrante avec ses engagements en matière de droits humains, notamment ceux signés dans le cadre des conventions internationales sur les réfugiés et les droits civils.
Des expulsés en danger, parfois persécutés
Les conséquences pour les personnes concernées sont potentiellement dramatiques. Plusieurs expulsés risquent des persécutions dans leur pays d’origine, ou dans le pays vers lequel ils ont été réexpédiés. Certains sont recherchés pour des raisons politiques, d’autres sont en danger en raison de leur orientation sexuelle ou de leur appartenance religieuse. Le renvoi dans un pays tiers sans garanties de protection constitue une violation du principe de non-refoulement, inscrit dans la Convention de Genève sur les réfugiés.
Ce principe fondamental interdit à un État de renvoyer une personne vers un pays où elle risque d’être victime de torture, de traitements inhumains ou de persécutions. En acceptant ces expulsions, le Ghana pourrait se rendre responsable de graves violations du droit international. Au-delà de ce cas précis, l’affaire révèle un enjeu plus large. Les États-Unis ne sont pas les seuls à vouloir externaliser leur politique migratoire. L’Union européenne, depuis plusieurs années déjà, a mis en place des accords similaires avec la Libye, la Tunisie ou encore le Niger, souvent au détriment des droits des migrants.
Le cynisme ne fait pas une politique migratoire
Le cas du Ghana montre que cette logique pourrait désormais s’étendre à des États réputés démocratiques et stables. Si de tels pays deviennent des points de passage obligés pour contourner les tribunaux des pays riches, alors toute l’architecture du droit d’asile est menacée. Le Ghana a-t-il vendu son indépendance éthique contre une coopération stratégique avec Washington ?
À vouloir jouer un rôle d’intermédiaire dans des opérations d’expulsion douteuses, il prend le risque de ternir son image internationale, et surtout de trahir les valeurs qu’il prétend incarner. La politique migratoire ne peut pas être une affaire de marchandage entre chancelleries. Ce sont des vies humaines qui sont en jeu, souvent les plus vulnérables. En acceptant de devenir le bras exécutif de la politique migratoire américaine, le Ghana tourne le dos à la solidarité africaine qu’il prétend défendre.