Eswatini: Déni de justice pour les violences commises par les forces de sécurité en 2021

Les autorités devraient s’assurer de la reddition de comptes, et indemniser les victimes de manière rapide et efficace
- Aucun membre des forces de sécurité d’Eswatini n’a été tenu responsable de l’utilisation de pistolets à impulsion électrique, de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de balles réelles contre des manifestants et des passants lors des manifestations pro-démocratie de juin 2021.
- Plus de quatre ans se sont écoulés depuis que des dizaines d’étudiants, d’activistes et de passants ont été tués et des centaines d’autres blessés ; de nombreuses victimes survivantes se trouvent toujours dans des situations difficiles, mais se voient refuser l’accès à des recours.
- Le gouvernement d’Eswatini devrait renforcer ses politiques et procédures afin de prévenir et d’empêcher tout nouvel usage injustifié et disproportionné de la force par les forces de sécurité et les forces de l’ordre, et offrir des recours rapides et efficaces aux victimes survivantes.
(Johannesburg, 30 octobre 2025) – L’Eswatini n’a pas mené d’enquête efficace sur l’usage d’une force disproportionnée et meurtrière par les forces de sécurité lors des manifestations pro-démocratie de juin 2021, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch ; les autorités n’ont pas rendu justice ni assuré la reddition de comptes pour les incidents lors desquels des étudiants, activistes et passants ont été tués ou blessés.
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Au lieu de cela, le gouvernement a intensifié sa répression des opinions dissidentes en arrêtant des détracteurs du gouvernement sous de faux prétextes, en entravant la tenue de rassemblements pacifiques et en ignorant les appels de longue date en faveur de réformes démocratiques.
Le rapport de 26 pages, intitulé « You’ll Die Waiting for Justice » (« Vous mourrez en attendant la justice »), confirme que les forces de la police royale d’Eswatini (Royal Eswatini Police Service, REPS) et les forces de défense Umbutfo Eswatini (Umbutfo Eswatini Defence Force, UEDF) ont utilisé de manière abusive des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc, et ont agressé physiquement des civils lors des troubles de juin 2021.
Les forces de sécurité ont également tiré sans discernement sur des manifestants et des passants avec des balles réelles, tuant des dizaines de manifestants et en blessant des centaines d’autres, y compris des enfants. Le rapport souligne l’absence de reddition de comptes depuis lors, et la situation précaire et désespérée des victimes, qui ont besoin d’une action urgente pour y remédier.
« Il est consternant que plus de quatre ans après les incidents de juin 2021, les victimes et les survivants vivent avec les conséquences de la brutalité subie sans aucun recours pour les violations de leurs droits », a déclaré Nomathamsanqa Masiko-Mpaka, chercheuse auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Le gouvernement d’Eswatini devrait rapidement mener des enquêtes efficaces et approfondies sur tous les cas d’usage injustifié et disproportionné de la force contre des civils par des policiers et des militaires lors des manifestations de juin 2021. »
En avril 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 15 personnes eswatiniennes (neuf hommes et six femmes), alors âgés de 18 à 68 ans et qui avaient entre 14 et 64 ans au moment des manifestations. Trois des personnes interrogées avaient perdu des proches, tandis que huit autres étaient des victimes directes de la violence des forces de sécurité.
Human Rights Watch a également mené des entretiens avec quatre personnes ayant joué un rôle dans le paysage politique en Eswatini : un représentant syndical, un représentant d’un parti politique, un homme d’affaires et un avocat spécialisé dans les droits humains. Ces quatre personnes, ainsi qu’une des victimes interrogées par Human Rights Watch, ont fui l’Eswatini pour échapper aux persécutions liées à leur activisme politique, et vivent actuellement en exil en Afrique du Sud.
L’une des victimes a porté plainte auprès des autorités après que la police a abattu son mari en 2021, mais elle n’a reçu aucune nouvelle depuis, et ne sait pas si l’affaire est toujours en cours ou si elle progresse. Sa situation est emblématique de celle de nombreuses victimes et survivants.
Le rapport souligne également l’impact négatif du meurtre de Thulani Maseko, un avocat spécialisé dans les droits humains et défenseur de réformes démocratiques, sur la quête de justice pour les victimes et les survivants. Thulani Maseko a été abattu le 21 janvier 2023, alors qu’il se trouvait à son domicile à Luhleko.
Il avait souvent accepté de travailler sur des affaires que d’autres avocats jugeaient trop risquées, notamment celle de la femme qui a porté plainte pour le meurtre de son mari ; dans plusieurs cas, il le faisait même à titre gracieux. Le meurtre de Maseko a laissé les victimes et les survivants qu’il représentait désabusés par le système pénal, et perdant l’espoir que la justice puisse être rendue.
En octobre 2021, la Commission des droits de l’homme et de l’administration publique d’Eswatini a publié un rapport indiquant que 46 personnes avaient été tuées, dont deux enfants, et que 245 personnes avaient été blessées par balle, dont 22 par plusieurs balles. Selon la Commission, toutes les victimes ont identifié les forces de sécurité d’Eswatini comme étant les auteurs des tirs, mais la Commission n’a publié aucune information sur l’identité des responsables.
La Commission a recommandé une enquête indépendante et approfondie sur les troubles de juin 2021. Toutefois, aucune enquête de ce type n’a été menée depuis. Selon des organisations de la société civile en Eswatini, le rapport de la Commission a minimisé le nombre de civils tués. Certaines organisations estiment que le nombre réel de personnes tuées pourrait dépasser la centaine.
Le droit international relatif aux droits humains oblige les pays à garantir la responsabilité des forces de sécurité en cas d’usage de la force, en particulier de la force létale, en menant des enquêtes efficaces permettant d’identifier les responsables, de les poursuivre en justice et d’offrir des réparations aux victimes.
« Les autorités d’Eswatini devraient mettre en place des mécanismes de soutien officiels pour les victimes et les survivants des troubles de juin 2021, et collaborer avec ces réseaux pour élaborer un programme de réparations », a conclu Nomathamsanqa Masiko-Mpaka. « Elles devraient aussi mener des enquêtes efficaces sur l’usage de la force létale et d’autres formes de force excessive, rendre publics les résultats de ces enquêtes et engager des poursuites appropriées et d’autres sanctions à l’encontre des responsables. »



