Est de la RDC: ce qu’il faut savoir sur le procès de l’ex-chef rebelle Roger Lumbala en France

C’est le tout premier procès d’un ressortissant du Congo-Kinshasa en France, au nom du principe de la compétence universelle. À partir du 12 novembre 2025 et jusqu’au 19 décembre, la Cour d’assises de Paris jugera Roger Lumbala, ancien chef rebelle congolais, pour complicité de crimes contre l’humanité. Cette complicité réside notamment dans l’instruction d’ordres et l’aide matérielle aux combattants pour commettre les crimes au nord-est de la RDC en 2002. Quatre-vingt-cinq personnes sont citées à comparaître, dont 34 victimes, dans le cadre de l’audience. Explications.
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Plus de vingt ans après les massacres commis dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), l’ancien chef de guerre Roger Lumbala, ex-dirigeant du RCD-National (Rassemblement congolais pour la démocratie–National) et ministre du Commerce de 2003 à 2005, comparaît devant la Cour d’assises de Paris dans le cadre de la compétence universelle, un dispositif qui permet à la justice française de juger des crimes commis à l’étranger lorsque l’auteur allégué est en France. Il est poursuivi entre autres pour complicité de crimes contre l’humanité et participation à une association de malfaiteurs avec Jean-Pierre Bemba, actuel vice-Premier ministre de la RDC et ancien chef rebelle. Dans les territoires du Haut-Uele et en Ituri, personne n’a oublié le nom de l’opération baptisée « Effacer le tableau ». D’octobre à décembre 2002, les miliciens du RCD-N de Roger Lumbala et les troupes du MLC de Jean-Pierre Bemba multiplient les attaques contre les civils.
Opération « Effacer le tableau », l’alliance des chefs de guerre
Des enquêteurs de l’ONU, dépêchés sur place après les alertes de la Monuc (première opération de maintien de la paix en RDC en 1999 devenue Monusco en 2010), décrivent dans un rapport publié en juillet 2003 des crimes d’une ampleur inouïe : exécutions sommaires, viols systématiques de jeunes filles, esclavage, torture visant particulièrement les populations Batwa et Nande.
Sept ans plus tard, un autre rapport d’envergure, le « Projet Mapping », vient compiler et compléter l’ensemble des rapports déjà existants. Publié en 2010, ce document cartographie les crimes commis en RDC entre mars 1993 et juin 2003. Réalisée de 2008 à 2009 par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), cette enquête de plus de mille pages rassemble un millier de témoignages des horreurs vécues.
Mais ses conclusions, vivement contestées par le Rwanda et l’Ouganda, accusés d’avoir participé à certains massacres, ont longtemps dormi dans les tiroirs des Nations unies. C’est à la suite d’une fuite dans le quotidien Le Monde que le rapport a enfin attiré l’attention internationale sur l’ampleur des crimes commis en RDC durant cette décennie.
Dans le documentaire L’Empire du silence de Thierry Michel, Luc Henkinbrant, ancien officier des droits de l’homme pour les Nations unies en RDC, révèle l’existence d’annexes secrètes contenant les noms des auteurs allégués. Luc Côté, directeur exécutif du projet Mapping, se défend et précise que ces annexes pourraient servir dans le cadre d’enquêtes judiciaires. C’est justement l’ensemble de ces rapports onusiens et les témoignages directs qui ont permis d’inculper Roger Lumbala.
De la rébellion à la justice française
Installé en France en 1998, Roger Lumbala avait obtenu le statut de réfugié politique avant de rejoindre la rébellion congolaise, perdant de facto cette protection. En 2012, revenu à Paris, il redemande l’asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) rejette sa requête, considérant qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il a participé à des crimes graves. Sur la base de ces éléments, le Parquet national antiterroriste (PNAT) ouvre en 2016 une enquête préliminaire, confiée à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH). En décembre 2020, il est interpellé à Paris, puis mis en examen le 4 janvier 2021.
Après deux ans d’instruction, les juges du pôle « crimes contre l’humanité » rendent, en novembre 2023, une ordonnance de mise en accusation : pour la première fois, un ressortissant congolais est renvoyé devant les assises françaises sur le fondement de la compétence universelle.
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Ce principe, consacré par la loi du 9 août 2010, permet en effet aux tribunaux français de juger les auteurs allégués de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité commis à l’étranger, à condition qu’ils résident habituellement en France.
Si, pour les défenseurs de Roger Lumbala, ce procès illustre une « justice néocoloniale qui bafoue la souveraineté de la RDC », à l’inverse, pour les ONG ou associations comme Trial International, Justice Plus, Minority Rights Group (MRG), Clooney Foundation for Justice (CFJ), Ligue pour la paix les droits de l’homme et la justice (LIPADHOJ) et le Club des Amis du Droit du Congo, il marque une avancée historique contre l’impunité des crimes commis à l’est de la RDC. « Les victimes d’Ituri attendent depuis plus de vingt ans que justice soit faite », rappelle Danièle Perissi, responsable de Trial International pour la RDC.
Un procès symbole
Ce procès, très attendu, met en outre en question la façon dont les conflits passés sont abordés et mémorisés, tout en rappelant le sort tragique des victimes trop longtemps sans reconnaissance. Il permet également de comprendre la part de responsabilité des dirigeants politiques congolais, qui ont contribué à dissimuler ou minimiser les exactions graves perpétrées à l’est de la RDC entre 1993 et 2003, sous couvert d’accord de paix.
L’ouverture de cette affaire s’inscrit dans la continuité de plusieurs procédures engagées en France sur le fondement de la compétence universelle, principe qui a déjà permis au système judiciaire français de condamner des individus pour des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité en jugeant notamment d’anciens responsables ou complices du génocide rwandais. Le procès qui s’ouvre ce 12 novembre marque une étape importante, c’est le tout premier en France lié aux crimes commis en RDC pour faire entendre la voix des victimes des régions du Haut-Uélé et de l’Ituri. Jusqu’à présent, ces victimes ont été largement ignorées, aussi bien par la justice congolaise qu’au niveau international. La tenue de ce procès représente pour elles l’espoir que leur souffrance et leur histoire soient enfin prises en compte.
Roger Lumbala, un parcours entre exils, alliances et revirements
Propagande, partis politiques, rébellion, alliances : Roger Lumbala a toujours navigué entre ces sphères, rappelle Patient Ligodi du service Afrique. Et chaque fois, son parcours s’est terminé de la même façon : par l’exil ou par l’arrestation.
C’est un homme qui a vécu entre plusieurs mondes : la diaspora, les villages et le Parlement. Un homme de réseaux, lié aussi bien au Rwanda qu’à l’Ouganda.
Dans les années 1990, il est un militant actif de l’UDPS à Paris, le parti d’Étienne Tshisekedi. Il en dirige même la section parisienne entre 1993 et 1997.
Puis, il se rapproche de Laurent-Désiré Kabila. Mais très vite, c’est la rupture. Il retourne en exil et fonde son propre parti : le Rassemblement populaire des Congolais (RPC).
Quelques années plus tard, nouveau virage : il rejoint la rébellion du RCD, soutenue par Kigali, installée à Goma, contre le pouvoir de Kabila. Arrêté à Goma par ses propres camarades, il se réfugie ensuite en Ouganda.
Et c’est là qu’il prend une autre dimension. Il crée ensuite le RCD-N, un groupe armé qui occupe des zones minières à Bafwasende, dans l’ex-province Orientale. Un an plus tard, son mouvement rejoint le Front de libération du Congo, soutenu par Kampala, aux côtés de Mbusa Nyamwisi et Jean-Pierre Bemba. C’est à cette période que sont commis les crimes pour lesquels il est aujourd’hui poursuivi.
En 2002, il participe au dialogue inter-congolais. L’année suivante, il transforme sa rébellion en parti politique et devient ministre. À Kinshasa, il fonde une chaîne de télévision populaire.
En 2006, il se lance dans la présidentielle. Candidat au premier tour, il soutient Jean-Pierre Bemba au second.
Cinq ans plus tard, retour à ses origines : il reprend contact avec l’UDPS et dirige une plateforme d’Étienne Tshisekedi.
En 2013, il quitte de nouveau Kinshasa. Cette fois-ci pour Bunagana, et apporte son soutien à la rébellion du M23, qu’il accuse Joseph Kabila de soutenir.
Et en 2020, nouveau revirement : il crée une plateforme, cette fois pour soutenir Félix Tshisekedi.
C’est donc l’histoire d’un homme politique congolais toujours en mouvement, souvent au cœur des crises, et aujourd’hui, face à la justice française.



