Est de la RDC: au procès de l’ex-chef rebelle Lumbala, des témoins décrivent un violent système de racket

Onzième jour du procès de Roger Lumbala, mardi 25 novembre à Paris. Cet ex-chef rebelle est poursuivi pour complicité de crimes contre l’humanité et association de malfaiteur commis dans l’est de la RDC. L’audience a été marquée par le témoignage d’un homme entendu pour les violences qu’il dit avoir subies en 2002 et 2003 dans une région alors sous le contrôle de l’accusé, ainsi que d’hommes armées de Jean-Pierre Bemba et d’officiers ougandais.

Visiblement éprouvé, l’homme raconte en lingala les extorsions quotidiennes, les violences, et le pouvoir exercé par le « ministre des Finances » du « gouvernement de [Roger] Lumbala » qui se présentait comme le président de Bafwasendé, territoire situé dans l’actuel province de la Tshopo, dans l’est de la RDC. Ce « gouvernement » est soupçonné d’avoir fait le malheur des populations locales, en raison de la richesse de cette région en minéraux rares, or et diamants.

Ce dénommé Robert Ombilingo était chargé, selon le témoin, de collecter l’argent et les diamants. « Un jour, j’avais trois diamants sur moi. Les militaires me les ont pris », affirme-t-il.

Le témoin évoque ensuite la mort de son frère, en novembre 2003, et les tortures infligées à un certain Riga, détenteur d’une pierre de six carats. « Ils lui ont fait creuser sa propre tombe… Il a fini par donner la pierre, mais ils l’ont quand même battu », raconte-t-il, la voix brisée. Puis, quand il évoque l’assassinat de son frère, il éclate en sanglots et s’excuse d’être dans cet état : le président de la Cour l’invite à prendre son temps. Marc Summerer reprend : « Quelles traces laissent ces violences ? » L’homme répond doucement : « Je suis marqué, nous sommes tous marqués… »

Le témoin décrit également un système de jetons, appelé « contribution à l’effort de guerre » qui était imposé à toute la population. « Si on ne changeait pas nos « jetons » et si on n’apportait rien, on était envoyés aux travaux forcés », affirme-t-il.

« Travail, famille, paix ? Cette devise, c’est du mensonge de Lumbala ! »

Selon lui, militaires ougandais et milices contrôlaient l’ensemble de l’activité dans les champs et les mines.

Le président tente de lui faire préciser l’arrivée et le départ des troupes de Roger Lumbala dans la zone. « Je ne me souviens plus exactement », répond le témoin. Une imprécision qu’il justifie par l’extrême violence du contexte. Le magistrat recoupe alors avec un témoin entendu la veille, qui affirme avoir vécu des faits similaires à l’âge de 12 ans.

À la question des avocats généraux sur ce qu’était la devise du Rassemblement congolais démocratique-National (RCD-N), le groupe de Roger Lumbala, le témoin lâche : « Travail, famille, paix, c’est du mensonge de [Roger] Lumbala ! »

Le président de la Cour fait alors intervenir un témoin entendu la veille et resté dans la salle : « Avez-vous vous aussi été menacé ? » « Oui, monsieur le président, j’ai été menacé, assure-t-il. C’est un certain Robert Ombilingo, ministre des Finances de Roger Lumbala qui nous met la pression », dit-il. À Kisangani, ce deuxième témoin raconte par ailleurs avoir reçu des appels anonymes, et vu des inconnus prendre des photos de lui et d’autres témoins, quand ils se rendaient en France pour ce procès.

Une avocate de la partie civile interroge ensuite le premier témoin : « Qu’attendez-vous de ce procès ? » L’intéressé répond : « Une protection. » Le président de la Cour rappelle alors les limites de la justice française : « Ma compétence s’arrête aux frontières du tribunal, chaque État est souverain. Mais la Monusco peut intervenir si des victimes sont menacées. » L’avocat général ajoute que l’ambassade de France et plusieurs acteurs institutionnels suivent de près la situation. Le témoin quitte la barre, entouré par les membres du dispositif d’assistance aux victimes, encore secoué par l’évocation de ces souvenirs.

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« Tout le monde savait »

Une deuxième personne lui succède, mardi 25 novembre 2025 à Paris, sous le statut de partie civile, car son témoignage n’a pas été retenu lors de l’enquête préliminaire. Il raconte comment son activité d’acheteur et d’exploitant artisanal de diamants l’amenait régulièrement à Bafwasende, où il vendait les pierres extraites par son équipe de creuseurs. Il a présenté plusieurs photos illustrant son travail. Il explique qu’à cette période, alors qu’il rentrait à moto avec un employé et transportait des diamants valant plusieurs milliers de dollars, il a été pris dans une embuscade tendue par une dizaine de miliciens : ils opéraient, selon lui, sous l’autorité de Roger Lumbala.

« Tout le monde savait » que Roger Lumbala travaillait avec les hommes de Jean-Pierre Bemba, dit-il. Les soldats lui ont demandé ses diamants, l’ont fouillé, ont découvert les pierres cachées dans ses vêtements et l’ont violemment frappé, lui cassant trois dents et le blessant gravement au visage. Il fait projeter des photos de son activité et de sa dentition. Le témoin décrit les « militaires » qui contrôlaient la région, interceptaient les transporteurs de pierres précieuses, fouettaient publiquement ou tuaient ceux qui tentaient de contourner leur circuit, jetant les corps dans la rivière. Il affirme que les assaillants appartenaient aux Bana Yakoma, proches de Roger Lumbala, ce dernier ayant publiquement encouragé ses hommes à « aller trouver de l’argent dans la population ».

L’agression a, selon lui, brisé son activité et ses revenus familiaux. Depuis, il a lâché cette activité trop dangereuse, dit-il pour conclure.

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Premier procès en France visant un ressortissant de la RDC

Roger Lumbala a été interpellé en décembre 2020, mis en examen le 4 janvier 2021 et inculpé en 2023. Il est jugé depuis le 12 novembre 2025 à Paris, devant la Cour d’assises, pour complicité de crimes contre l’humanité et association de malfaiteur en vue de préparation d’un crime contre l’humanité pour des faits commis à l’est de la RDC, notamment en 2002. Il est aujourd’hui jugé en vertu de la compétence universelle. Il s’agit du premier procès en France visant un ressortissant de la République démocratique du Congo. À l’ouverture de son procès, Roger Lumbala a successivement récusé ses avocats et refusé de comparaitre : il estime cette juridiction française non-compétente.

Le président de la Cour d’assises, les deux vice-procureurs, examinent le rôle de cet ancien chef rebelle du RCD-N, accusé d’avoir participé à l’opération « Effacer le tableau » avec l’actuel vice-Premier ministre de la RDC et ancien chef rebelle Jean-Pierre Bemba, alors dirigeant du Mouvement de libération du Congo. Cette opération, marquée par des massacres, des viols et des actes de torture, essentiellement contre les populations civiles Batwa et Nande. Roger Lumbala n’avait jamais fait l’objet de poursuites judiciaires.

Plus de 20 ans après les faits, ce procès symbolique est fondé sur différents rapports et témoignages des victimes du Haut-Uélé et de l’Ituri. Pour les parties civiles, il incarne une avancée historique contre l’impunité ; pour la défense, une atteinte à la souveraineté congolaise.

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