En RDC, vers la fin de l'intégration des ex-rebelles dans l'armée?

En République démocratique du Congo, un député de la majorité présidentielle a déposé une proposition de loi qui pourrait en fâcher plus d’un. Tandis que les négociations de Doha piétinent, Trésor Lutala Mutiki souhaite interdire l’intégration des ex-rebelles dans les institutions étatiques et sécuritaires. Un défi, lorsque l’on sait que de nombreux anciens combattants se trouvent aujourd’hui au gouvernement comme dans l’armée.
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Trésor Lutala Mutiki est député de la circonscription de Mwenga, territoire meurtri, récemment au cœur des combats entre l’armée et l’AFC/M23. Habitué des rébellions à répétition depuis près de trente ans, il souhaite aujourd’hui interdire l’intégration des groupes armés dans les institutions, et plus particulièrement l’armée. « Ces rébellions ne servent à rien, sinon à se partager le gâteau du pouvoir », gronde l’élu sous l’étiquette du parti présidentielle, « à Mwenga, d’où je suis originaire, on tue chaque jour et je n’en peux plus d’observer cela ».
Depuis les accords de Sun City en 2002, l’intégration des éléments de groupes armés dans l’institution militaire est devenue l’une, sinon la sortie de crise privilégiée, entrainant certains effets pervers : prendre les armes, c’est disposer d’arguments de poids pour négocier son entrée dans l’armée.
Le 23 mars 2009, l’accord signé entre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et le gouvernement prévoyait l’intégration des rebelles dans « la police nationale congolaise et les forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ». Un texte qui n’a jamais été respecté, provoquant la colère des combattants. Le Mouvement du 23-Mars, autrement plus connu sous son acronyme du M23, était né. « Lorsqu’une personne est un peu frustrée, elle prend les armes contre son propre pays pour tuer ses propres frères, abonde Lutala Mutiki, et le lendemain, le jour d’après, elle réclame un poste ? Non, nous devons mettre fin à cela. »
« Certes, la proposition de loi ne prévoit pas la rétroactivité, mais au moins, les gens sauront que, lorsqu’ils entrent en rébellion, ils ne pourront pas venir réclamer des postes à Kinshasa », s’enthousiasme Michel Moto Muhima, député du territoire de Walikale, dans le Nord-Kivu. S’il assure soutenir la proposition, il convient que sa mise à l’agenda de l’Assemblée nationale nécessitera une certaine « volonté politique » au regard des nombreux ex-rebelles présents dans les institutions congolaises.
Mettre fin à l’impunité
Certains d’entre eux se sont hissés aux plus hauts postes comme l’ancien membre du Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma [RCD-Goma, le général Gabriel Amisi Kumba, alias Tango-Four, aujourd’hui inspecteur général des armées], Jean-Pierre Bemba, nommé ministre de la Défense nationale en 2023 puis des Transports en 2024 ; ou encore Joseph Kabila, chef de l’État entre 2001 et 2019 ayant servi dans les rangs de l’Alliance des forces démocratiques de libération du Congo (AFDL).
Le projet est de mettre fin à l’impunité. À une exception près, souligne le député de Walikale : les Wazalendo. « Ils sont les boucliers de la République, ils sont en première ligne avec des moyens dérisoires », insiste-t-il. Ceux que l’on appelle les patriotes, pour la plupart issus d’anciennes formations armées aujourd’hui réunies sous une même bannière, sont souvent pointés du doigt par différentes organisations de défense des droits de l’Homme.
Dans son rapport de juillet 2025, les groupes d’experts des Nations unies relèvent qu’en février, dans la ville d’Uvira, « des éléments criminels et indisciplinés des FARDC et des Wazalendo se sont livrés à des meurtres, à des pillages et à des attaques généralisées contre les infrastructures civiles et humanitaires », alors qu’une offensive de l’AFC/M23 se profilait. « Il revient à leurs responsables de les encadrer et nous devons accélérer leur intégration dans les FARDC, pour ceux qui veulent servir sous les drapeaux et acquérir une discipline militaire », presse Michel Moto Muhima.
Vers une baisse de confiance
Sur la forme, cette interdiction n’est pas pour déplaire à Dismas Kitenge, président de l’ONG Lotus, spécialisée depuis plus de trente ans dans la défense des droits de l’Homme. « Il serait pour autant bienvenue que des acteurs de la société civile et des spécialistes du droit soient consultés », déplore l’enseignant-chercheur à l’université de Kisangani. Selon lui, tous les rebelles ne sont en effet pas à mettre dans le même panier « et il ne faudrait pas que cela devienne un instrument de vengeance ».
Il pointe cependant un conflit de calendrier. À l’heure où les négociations entre le gouvernement et les membres de l’AFC/M23 battent de l’aile à Doha, il craint que cette proposition érode un peu plus la confiance entre les parties prenantes. « Ce qui se fait à Kinshasa montre clairement qu’il n’y a pas volonté de négocier avec ces gens », craint ce représentant de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) en RDC, « ce qui pose un problème très sérieux dans la réussite et dans la sincérité qui réside dans ces négociations-là. On négocie avec ces gens mais on les condamne, qui plus est d’une façon peu équitable ». Une référence explicite au procès de Corneille Nangaa, président de l’AFC/M23, qui a été condamné à mort par contumace en août 2024 et plus récemment au verdict prononcé contre l’ancien président Joseph Kabila, également condamné à mort.
« Jean-Pierre Bemba a des ambitions présidentielles »
« Le contexte de la guerre contre l’AFC/M23 pourrait motiver cette proposition », analyse un ancien député qui ne souhaite pas dévoiler son nom, « la loi serait alors une couverture pour décliner certaines revendications ». Selon lui, elle serait aussi un moyen d’écarter de potentiels concurrents à Félix Tshisekedi en vue de l’élection de 2028. La Constitution, et l’enjeu d’un troisième mandat présidentiel étant débattu, notre source craint que certains pontes de la politique congolaise sortent du bois. « Jean-Pierre Bemba est pour l’heure un bon soldat, mais on sait qu’il a des ambitions présidentielles, prophétise l’ancien élu, il pourrait prochainement s’élever contre cette réforme. » La loi, bien qu’elle ne contienne pas de volet rétroactif sous sa forme actuelle, serait alors un moyen de préparer la disgrâce du ministre et chef du Mouvement de libération du Congo (MLC), un groupe armé devenu parti politique.
L’initiateur de la proposition de loi s’en défend. « Le texte ne cite personne et ne vise en aucun cas à saper les efforts de Doha », balaie Trésor Lutala Mutiki du revers de la main. « Nous sommes des législateurs, nous ne répondons à aucun calendrier », appuie Michel Moto Muhima. Pour le moment en cours d’examen à la chambre basse du Parlement, la proposition devra parcourir un long chemin avant son adoption, à commencer par sa mise à l’agenda.



