En Côte d'Ivoire, une Couverture maladie universelle entre ambitions et limites

Les Ivoiriens sont appelés aux urnes pour la présidentielle du 25 octobre 2025. La santé a été un des thèmes récurrents de la campagne. En Côte d’Ivoire, l’espérance de vie moyenne est de 62 ans. Un dispositif tente d’améliorer l’accès à la santé pour tous : la Couverture maladie universelle (CMU). Mais celle-ci se heurte aussi à des limites.

De notre envoyé spécial à Abidjan,

Elise patiente à côté de ses trois enfants dans la salle d’attente bondée du Centre de santé (CSU COM) d’Anono, dans la capitale économique de Côte d’Ivoire. Cette Abidjanaise de 40 ans vient de retirer un bon de la Couverture maladie universelle (CMU), tout en tenant un de ses petits dans l’autre bras. « C’est ma première fois avec la CMU, glisse-t-elle, l’air fatigué. Je vais voir comment ça va. J’ai eu des témoignages de collègues. Ils m’ont dit que c’était bien. Et donc, moi aussi, je vais essayer. »

À quelques mètres de là, dans son bureau, le docteur Idriss Coulibaly, médecin-chef des lieux, vante les mérites de ce dispositif créé en 2014, lancé en 2019 après une phase pilote auprès des étudiants. Il assure voir de plus en plus de détenteurs de la CMU défiler dans son établissement. « Fin août 2025, il y a eu une mesure de sensibilisation importante qui a permis d’augmenter le nombre de patients qui l’utilisent », explique-t-il, faisant référence au programme « Zéro cotisation » qui vise à séduire les travailleurs du secteur informel (environ 90 % des emplois en Côte d’Ivoire). Lancé fin mai et prolongé jusqu’à la fin de l’année, celui-ci exonère les Ivoiriens les plus démunis. « Je peux peut-être dire qu’approximativement 40 % à 50 % de nos patients se servent de la CMU », estime le docteur Coulibaly, contre « 10 % à 15 % avant ».

En principe, un bénéficiaire, après s’être acquitté d’une mensualité de 1 000 francs CFA (environ 1,5 euro), a droit à un large éventail de soins et de traitements dans les centres et pharmacies agréés. Le tout en payant 30 % du tarif, les frais des plus pauvres étant, eux, pris en charge par l’État.

« Sur les réseaux, pas mal de gens se plaignent »

Dans la cour du CSU COM, la réalité semble toutefois plus contrastée. Yoan (le prénom a été modifié), 22 ans, patiente avec un ami atteint de paludisme et de fièvre typhoïde. « C’est un peu compliqué, rouspète-t-il. Dans la plupart des pharmacies où je vais avec ma carte CMU pour acheter ce qu’il faut, ça ne fonctionne pas. C’est toujours la même chose. Donc, on doit se casser la tête pour trouver de l’argent pour payer les médicaments. Les trois qui ont été prescrits ne passent pas avec la carte. »

Une carte de la CMU détenue désormais par plus de 20 millions d'Ivoiriens.
Une carte de la CMU détenue désormais par plus de 20 millions d’Ivoiriens. © David Kalfa/RFI

Un peu plus loin, Jeanne, 30 ans, n’a, elle, pas le document. Ce dernier est pourtant obligatoire depuis fin 2022 pour tout Ivoirien, et indispensable pour certaines démarches comme retirer un permis de conduire ou inscrire un enfant au lycée. « J’ai vu sur les réseaux sociaux que pas mal de gens se plaignent de problèmes de connexion, se justifie-t-elle. Avec les retours de certains, ça n’encourage pas à y aller. »

Plusieurs autres patients rencontrés ce matin-là à Cocody affirment avoir adhéré au dispositif mais ne pas l’utiliser. Ceux qui en ont les moyens privilégient une assurance privée.

Vingt millions d’inscrits…

Ibrahima, 21 ans, lui, n’a pas le choix. Il attend sur une chaise derrière plusieurs rangées de personnes venues se faire enrôler dans un centre de Bingerville, qui traite désormais jusqu’à 300 demandes par jour. « Je vais avoir une opération dont le prix est vraiment énorme. Je pense qu’avoir cette carte va me permettre d’avoir des médicaments gratuits et des consultations gratuites », espère-t-il.

Après des débuts compliqués, la CMU a franchi cet été la barre des 20 millions d’inscrits sur près de 32 millions de personnes, contre 4 millions en 2022. Les autorités ne lésinent pas sur les moyens, avec près de 600 sites d’inscription et d’autres sous formes d’unités mobiles.

Une vingtaine de personnes faisant la queue dans un centre d'enrôlement de la CMU, dans la commune de Bingerville, à Abidjan.
Une vingtaine de personnes faisant la queue dans un centre d’enrôlement de la CMU, dans la commune de Bingerville, à Abidjan. © David Kalfa/RFI

Le budget de la santé pour 2025 est d’environ 760 milliards de francs CFA (environ 1,17 milliard d’euros), avec 13,2 milliards de francs CFA (environ 20 millions d’euros) pour le régime non-contributif de la CMU. L’enjeu est en effet de taille : si la Côte d’Ivoire affiche un taux de croissance bien supérieur à celui des autres pays d’Afrique subsaharienne – près de 6 % contre 3,4 % en 2024 –, son espérance de vie moyenne (62 ans) était en 2023 inférieure à celle de la région (63 ans).

…mais un taux d’utilisation de 24 %

En revanche, si les deux-tiers de la population a désormais sa carte, seul un quart des inscrits l’utilisait vraiment à la mi-2025, selon des données du ministère de la Santé. Comment expliquer un tel décalage alors que le dispositif promet de prendre en charge 170 pathologies, plus de 900 types de médicaments à travers près de 2 200 établissements de santé et un millier de pharmacies (selon les chiffres de la Caisse nationale d’Assurance maladie) ?

Matin Djedou Amalaman est socio-anthropologue et maître de conférences à l’université Peleforo Gon Coulibaly de Korhogo. Il est le co-auteur d’une vaste étude de 2023 sur la perception de la CMU. « Au départ, les personnes qui se sont fait enrôler, peut-être que ce n’était pas dans un souci de vraiment vouloir disposer d’une assurance-maladie qui les protège, mais c’était sous la contrainte que, pour tel ou tel dossier administratif, on avait besoin de la carte CMU », souligne-t-il.

Le chercheur indexe par ailleurs plusieurs facteurs pouvant plomber sa popularité : une cotisation mensuelle élevée pour les ménages modestes, son manque de progressivité, la concurrence d’assurances privées, l’absence de prise en charge par la CMU les week-ends et jours fériés dans certains centres, ou une culture de l’assurance encore perfectible chez les Ivoiriens.

« La CMU peut changer la vie des gens »

Matin Djedou Amalaman évoque aussi un déficit dans la prise en charge de certains « grands malades » et certaines « maladies chroniques », alors que « ce sont ces grands malades qui, naturellement, ont besoin beaucoup plus de la prestation ». « Donc, ceux qui sont allés à une consultation et qui n’ont pas pu bénéficier, malgré leur carte, d’une assistance médicale appropriée, eh bien leurs témoignages auprès d’autres personnes ont fait ensuite que ces dernières ne sont pas pressées d’aller se faire enrôler », développe-t-il.

Si la CMU couvre un éventail large d’affections comme la méningite, le paludisme ou la tuberculose, des pathologies cardiaques ou des cancers, elles, ne rentrent encore pas dans son panier de soins. Sollicitée par RFI pour évoquer cette offre, la Direction générale de la CMU n’a pas donné suite, invoquant un calendrier surchargé en cette période électorale. Les autorités ont toutefois récemment annoncé que l’hypertension et le diabète – deux maladies répandues – vont désormais être pris en charge.

Le docteur Idriss Coulibaly, du Centre de santé Anono, se montre optimiste : « On a des exemples factuels du fait que la CMU peut changer la vie des gens : un scanner qui devrait coûter 50 000 francs CFA qu’on peut réaliser à 5 000, une appendicectomie qu’on peut réaliser en urgence à moins de 20 000 francs CFA… Tout n’est pas parfait, c’est vrai. Mais des efforts sont faits pour répondre à un besoin réel. »

« L’assurance-maladie est une très bonne politique »

Se pose, à terme, la question de la viabilité du système, dans un pays à la forte croissance démographique. Celui-ci est financé en partie par des prélèvements à la source sur les salaires des fonctionnaires et des salariés du privé. Fonctionnaires et salariés qui usent peu du dispositif. « Il faut être à jour de ses cotisations pour pouvoir logiquement permettre à l’assurance d’être viable et permettre à la CMU de pouvoir vraiment être un projet efficace et durable, souligne Matin Djedou Amalaman. Le problème se pose en termes de recouvrement des cotisations. C’est ça qui est actuellement le gros défi. »

Le chercher espère que les autorités le relèveront. Car, conclut-il : « L’assurance-maladie est une très bonne politique. Il faut vraiment encourager les acteurs à la réussir, encourager l’État de Côte d’Ivoire à la réussir. »

À lire aussiPrésidentielle en Côte d’Ivoire: la vie chère, l’emploi et la sécurité au cœur du scrutin

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to top
Close