Embargo jihadiste sur le carburant: le gouvernement malien rend les entreprises responsables de la pénurie

Au Mali, le gouvernement de transition accuse les opérateurs économiques. Les jihadistes du Jnim ont décrété début septembre un embargo sur les importations de carburant. Leurs attaques quasi quotidiennes empêchent l’approvisionnement normal du pays. Le 13 octobre, ce sont les entreprises du secteur des hydrocarbures qui ont été sévèrement tancées par le ministre malien de l’Industrie et du Commerce.

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Le matin même, les jihadistes du Jnim incendiaient des camions citernes sous escorte militaire entre Kolondieba et Kadiana, à la frontière ivoirienne. Le nombre de morts n’a pas pu être suffisamment recoupé par RFI, et les autorités de transition n’ont pas communiqué sur cette attaque.

Pendant ce temps, à Bamako comme dans tout le pays, les Maliens les plus chanceux forment d’interminables files d’attente devant les stations-essence encore ouvertes.

Mais à la télévision d’État ORTM, ce que le ministre malien de l’Industrie et du Commerce, Moussa Alassane Diallo, tient à dénoncer, c’est la spéculation des opérateurs économiques.

« Responsabilité totale et entière »

« Cette spéculation a trois formes, détaille le ministre. La première, c’est toutes les questions liées à la rétention des stocks. C’est une violation des règles du commerce. Il y a aussi des hausses non justifiées des prix. (…) Et la troisième chose qu’on voit, de la part des opérateurs économiques, c’est toutes les questions liées à la désinformation sur l’approvisionnement du pays, de façon à créer la psychose, afin que chacun puisse ruer vers les stations d’essence ».

Moussa Alassane Diallo estime encore que les entreprises du secteur des hydrocarbures « ont la responsabilité totale et entière » de la crise actuelle et leur demande d’y « apporter des réponses », rappelant que « le secteur du pétrole est un secteur totalement libéralisé ».

« Où est le secteur privé ? Où est-il ? Il ne répond pas, il est sur répondeur », a enfin déploré le ministre de l’Industrie avec virulence.

Une conséquence à la marge et non une cause

Les témoignages recueillis par RFI confirment que la pénurie d’essence a provoqué une explosion des prix au marché noir, le litre pouvant atteindre 2 500 à 5 000 francs CFA, alors que le prix légal plafonné par l’État est de 775 FCFA.

Mais selon ces mêmes témoignages, les prix réglementés sont globalement respectés en station – les autorités ont d’ailleurs instauré des contrôles policiers pour y veiller -, et les « profiteurs » sont surtout à l’œuvre dans les zones où les Maliens n’ont plus d’alternative pour trouver de l’essence : quartiers périphériques de Bamako, localités isolées en région.

En clair, ces comportements sont une conséquence à la marge et non la cause de la pénurie d’essence.

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« On ne peut rien faire sans énergie »

Mamadou Sinsy Coulibaly est un l’un des plus importants opérateurs économiques du Mali, patron du groupe Kledu et ancien président du Conseil national des entreprises du Mali. Selon lui, ce n’est pas la bonne cible qui est visée. « Le secteur privé ne peut pas être le seul responsable du malheur du peuple malien, estime Mamadou Sinsy Coulibaly. Nous ne prenons pas de décisions, c’est la sphère publique qui prend des décisions. Nous sommes les premiers à souffrir de cette pénurie, rappelle ce chef d’entreprises, c’est notre outil de travail. On ne peut rien faire sans énergie ».

Dans l’opposition malienne pro-démocratie, les propos du ministre sont perçus comme du déni et suscitent l’indignation. RFI a sollicité des figures politiques de l’opposition, qui réagissent de façon anonyme, les partis politiques maliens ayant tous été dissous en mai dernier, et les voix trop critiques vis-à-vis des autorités de transition risquant d’être enlevés par la sécurité d’État ou d’être poursuivies en justice.

« Bouc émissaire »

« S’en prendre aux effets plutôt qu’à la cause est irresponsable, c’est attaquer l’ombre plutôt que la proie, juge un ancien ministre. La cause, c’est la crise de ravitaillement imposée par le Jnim et non un quelconque incivisme des opérateurs pétroliers. Ces propos du ministre sont dangereux et montrent l’irresponsabilité des autorités dites de transition ».

« Cette situation inédite et extrêmement grave montre surtout l’incapacité des autorités à assurer la sécurité promise aux Maliens, réagit pour sa part un président de parti aujourd’hui dissous. C’est le propre des régimes autoritaires de chercher toujours un bouc émissaire pour leurs échecs ».

Depuis un mois et demi, de nombreux chauffeurs et apprentis, salariés donc d’opérateurs économiques privés, bravant l’embargo du Jnim sur le carburant, ont été tués par les jihadistes.

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