Élections sous tension en Guinée-Bissau: un vote historique sans le PAIGC

Clap de fin pour la campagne électorale qui s’est terminée vendredi 21 novembre avec tous les candidats convergeant sur Bissau pour leurs derniers meetings. Ce dimanche, plus de 966 000 électeurs sont appelés aux urnes pour choisir le prochain président de la République et les 102 députés du Parlement, dissous en 2023 après une présumée tentative de coup d’État et inactif depuis. Douze candidats disputent la présidence, parmi lesquels le chef de l’État sortant, un ancien président et un ancien Premier ministre.
De notre envoyée spéciale à Bissau,
Ces élections, initialement prévues pour 2024 et reportées par le président pour des « raisons de sécurité », sont marquées par l’absence inédite du PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert) — le parti historique de l’indépendance et de la démocratisation — écarté du processus par décision de la Cour suprême de justice.
L’exclusion du PAIGC et de son leader, Domingos Simões Pereira, a ouvert la voie à une nouvelle configuration de l’opposition. C’est Fernando Dias, candidat indépendant et membre du PRS (Parti du renouveau social), qui mène désormais le camp opposant, renforcé par le soutien officiel du PAIGC. Bissau vit des jours intenses : les rues sont animées, les partisans de Sissoco Embaló portent des t-shirts avec la photo du président, tandis que les sympathisants de Fernando Dias arborent le traditionnel bonnet d’Amílcar Cabral. Des voitures décorées aux couleurs des dix autres candidats circulent dans la capitale, symbolisant la multiplicité des forces en présence.
Pendant deux semaines, les candidats ont parcouru le pays du nord au sud, dans un ultime effort pour convaincre les électeurs, avant leur retour dans la capitale vendredi, où ils ont été accueillis par des foules nombreuses. Umaro Sissoco Embaló a clôturé la campagne dans un espace vert au nord de la capitale, réaffirmant sa conviction qu’il « gagnera sans aucun doute », et dès le premier tour.
Les infrastructures au centre du discours présidentiel
Ses partisans mettent en avant les investissements réalisés en matière d’infrastructures durant son mandat : routes asphaltées au centre de la capitale, bâtiments publics rénovés et réhabilitation de l’aéroport Osvaldo Vieira. En 2025 a été inaugurée la première autoroute du pays, un tronçon de 8,5 km entre l’aéroport et Safim. De nouveaux projets sont également prévus, comme le port commercial de Bandim, considéré comme essentiel au développement du secteur des pêches, jusqu’ici stagnant et sans investissement.
L’économiste guinéen José Nico estime que le port pourrait accueillir de grands navires, ouvrant de nouvelles routes commerciales, y compris avec des pays sans accès à la mer comme le Mali ou le Burkina Faso. Pour ce chercheur de l’INEP (Institut national d’études et de recherche de Guinée-Bissau), il s’agit de « l’une des meilleures décisions des cinq dernières années », tout en avertissant que les travaux n’ont pas encore commencé.
Économie : croissance versus réalité sociale
Malgré trois tentatives de coup d’État prétendues durant le mandat, Embaló affiche une croissance économique d’environ 4 % du PIB en 2023, selon la Banque mondiale. Toutefois, José Nico souligne le paradoxe entre les chiffres et la réalité : « Les statistiques ne se reflètent pas dans la vie des Guinéens. La majorité vit avec moins de 800 francs CFA par jour — environ un euro — et le salaire minimum, fixé à 500 000 francs CFA, devrait être révisé pour que la richesse du pays ait un impact réel. »
Exclusions politiques et soupçons sur le processus
Parmi les Guinéens, beaucoup murmurent que le climat politique a été façonné pour favoriser la réélection du président. Plusieurs coalitions d’opposition ont été exclues, parmi lesquelles la PAI Terra Ranka (Plateforme de l’alliance inclusive), dirigée par le PAIGC, et l’API-Cabas Garandi (Alliance Patriotique Inclusive), liée au PRS, dont est issu Fernando Dias. La Cour suprême a justifié ces exclusions par des « retards » dans le dépôt des candidatures, bien que la PAI Terra Ranka affirme avoir remis toute la documentation quatre jours avant la date limite.
Pour des figures de la société civile comme Magda Correia, porte-parole du Conseil des Femmes Médiatrices, l’exclusion du PAIGC « contredit son histoire », rappelant qu’il fut le parti qui a ouvert la voie au multipartisme en 1991.
Bubacar Turé, président de la Ligue guinéenne des droits humains, considère la décision « purement politique » et rappelle que tant la Cour suprême que la Commission nationale des élections font face à des controverses sur la légitimité de leurs dirigeants.
L’émergence de Fernando Dias comme principal rival
Le principal adversaire qu’Embaló n’attendait pas a précisément émergé de cette situation : Fernando Dias, 47 ans, fait sa première apparition dans la course présidentielle avec le soutien explicite de Domingos Simões Pereira. Ensemble, ils parcourent le pays, interviennent côte à côte dans les meetings et apparaissent ensemble sur les affiches électorales. Fernando Dias promet d’appliquer le programme du PAIGC en cas de victoire, comptant sur la solide base électorale du parti, qui a remporté les législatives de 2023 avec une majorité absolue.
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Ces derniers jours, l’opposition a dénoncé des enlèvements et agressions contre des militants, ainsi que l’expulsion de journalistes portugais. Les équipes de Lusa, RTP et RDP ont été suspendues et sommées de quitter le pays, sans explication officielle. Des actes de violence ont également visé des professionnels des médias, tels que le journaliste Waldir Araújo de la RTP, et des figures de la société civile, comme l’avocat Luís Vaz Martins.
Autres candidats et propositions alternatives
Bien qu’exclu du scrutin, le PAIGC maintient une présence marquante dans les rues de Bissau. D’autres candidats tentent de se faire une place, parmi lesquels trois anciens cadres du parti qui ont entre-temps créé ou rejoint de nouvelles formations. João Bernardo Vieira, neveu du premier président démocratiquement élu et assassiné en 2009, propose une Commission nationale de réconciliation pour atténuer les tensions politiques et ethniques qui ont émergé durant la campagne. Baciro Djá, ancien Premier ministre, promet d’organiser des élections « inclusives » en cas de victoire, tandis que José Mário Vaz, président entre 2014 et 2019, affirme vouloir revenir pour « achever le travail resté inachevé ».
L’agriculture domine le programme de tous les candidats. La Guinée-Bissau dépend presque exclusivement de la noix de cajou, qu’elle exporte comme matière première et transforme très peu localement. « Si le pays disposait d’une capacité de transformation industrielle, le chômage serait bien moindre », affirme José Nico. Le secteur des pêches fait face aux mêmes défis : bien que le pays dispose de vastes ressources, près de 90 % du poisson est débarqué à Dakar faute d’infrastructures sur le territoire national. Selon l’association des pêcheurs, le secteur pourrait générer des millions d’euros par an pour l’État.
Participation féminine encore très limitée
Sur le plan politique, la participation des femmes reste insuffisante. La loi sur la parité, adoptée en 2018 et fixant un quota minimum de 36 % de femmes dans les postes décisionnels, demeure largement inappliquée. Parmi les douze candidats à la présidentielle, il n’y a aucune femme, et un seul des quatorze partis en lice pour les législatives est dirigé par une femme. Pour Magda Correia, « la politique guinéenne reste un espace de confrontation extrême, dans lequel la femme s’intègre difficilement ».
Bissau est couverte d’affiches électorales, et la campagne domine les conversations dans les cafés, marchés et taxis. Les Guinéens réclament des écoles, des hôpitaux dignes, des salaires payés à temps — et, surtout, la paix. Dans un pays qui a connu quatre coups d’État depuis l’indépendance et dix-sept tentatives, Embaló est seulement le deuxième président à achever son mandat.
Obstacles au développement
L’instabilité politique a freiné le développement économique et éloigné les investisseurs, empêchant le pays d’exploiter ses ressources naturelles. Il n’existe actuellement aucune infrastructure d’extraction, bien que des études indiquent la présence de pétrole, de bauxite et de sables lourds. En juillet 2025, Embaló s’est rendu à la Maison Blanche et a invité le président Donald Trump à investir dans le pays, soulignant son potentiel.
En novembre, la compagnie pétrolière américaine Chevron a annoncé son entrée en Guinée-Bissau via deux licences d’exploration offshore accordées à sa filiale Chevron Guiné-Bissau Exploration. L’entreprise détiendra 90 % des blocs attribués, tandis que la société nationale Petroguin en conservera 10 %. L’opération a reçu l’approbation des autorités, bien que le Parlement ne fonctionne plus depuis 2023.
Le désir de paix dans un pays marqué par les coups d’État et l’instabilité
La rhétorique à connotation ethnique, répétée tout au long de la campagne, continue de susciter les critiques de la société civile, qui appelle à « apaiser les discours » afin d’éviter une escalade dans un pays marqué par des décennies d’instabilité politique.
Les deux principaux candidats, Umaro Sissoco Embaló et Fernando Dias, représentent également les deux plus grands groupes ethniques du pays : Embaló est d’origine peule, tandis que Dias appartient à l’ethnie balante.
Pour le défenseur des droits humains Bubacar Turé, il est crucial de recentrer le débat politique : « La vie ne se limite pas aux élections. Plus que tout, les Guinéens doivent se retrouver et travailler ensemble pour réaliser des transformations sociales et économiques. Ce que le peuple demande, c’est l’accès à l’éducation, à des services de santé et à des opportunités d’emploi pour les jeunes. »
Les chiffres confirment un intérêt croissant pour le scrutin : on compte 42 000 électeurs enregistrés de plus que lors des législatives de 2023.
Ce dimanche, les Guinéens élisent non seulement le président de la République, mais également un nouveau Parlement — une institution absente depuis 2023, lorsque Umaro Sissoco Embaló a dissous l’Assemblée nationale populaire à la suite d’une présumée tentative de coup d’État.
La tension électorale s’est fait sentir ces derniers jours. Vendredi, des militaires patrouillaient dans les rues de Bissau, plusieurs axes principaux ont été bloqués et l’espace aérien a été fermé, tous les vols civils, privés et commerciaux étant suspendus durant le samedi et le dimanche.
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