Dis-moi à quel jeu tu joues?: en Côte d'Ivoire, «on est trois fois champion du monde» de Scrabble

« Dis-moi à quel jeu tu joues, je te dirai qui tu es ». C’est une série spéciale de RFI à la découverte des jeux populaires à travers le monde, ces jeux qui, à travers les joueurs, parlent de la culture et de l’identité de chaque pays. En Côte d’Ivoire, le Scrabble est le jeu où les Ivoiriens excellent. En plus de dizaines de milliers d’amateurs du jeu de lettres, le pays compte 800 joueurs de très bon niveau affiliés à la Fédération nationale. Benoît Almeras a disputé une partie au dojo de l’université d’Abidjan. Là-bas, le Scrabble, c’est presque un sport de combat.
De notre correspondant à Abidjan,
Le soleil se couche sur Abidjan, c’est le début de l’entraînement. Sous le badamier, une demi-douzaine de tables. Deux joueurs, un plateau, le Gborô, le combat peut commencer. Objectif : composer les mots qui rapportent le plus de points avec sept lettres tirées au hasard. En face, celui que l’on surnomme Ipman, comme le maître de Bruce Lee. Mathieu Zingbè, 37 ans, dix fois champion d’Afrique. Une machine. En quinze minutes chrono, le numéro un Ivoirien gagne avec près de 300 points d’avance. Pour lui, le Scrabble c’est une passion qui dure depuis près de 30 ans : « C’est en classe de CM1 quand j’ai fait la trouvaille du Scrabble, ça m’a tout de suite épaté, je me suis vite confectionné un tableau de Scrabble, j’ai commencé à m’entraîner et je suis immédiatement tombé amoureux de ce jeu. »
Professionnel depuis 2006, Mathieu Zingbè est actuellement le capitaine des éléphants scrabbleurs, l’équipe nationale fait la fierté du président de la Fédération Michel Tétialy : « On est trois fois champion du monde, nous sommes actuellement champion d’Afrique en titre. Avec ça, l’engouement grandit et chaque année, on a plus de personnes qui intègrent les salles (…) partout dans nos bureaux, vous voyez, dans les téléphones et autres, les gens ont des « applicatifs » qui leur permettent de passer le temps en jouant au Scrabble. »
Intégration du nouchi dans l’Officiel du Scrable
Autre motif de jubilation pour Michel Tétialy : l’intégration des mots du nouchi, l’argot des rues d’Abidjan, dans l’Officiel du Scrabble, à l’image de « s’enjailler », une reconnaissance pour l’écrivain Josué Guébo : « On a créé des termes qui étaient à la fois périphériques et marginaux, mais qui sont en train de passer à la postérité, c’est intéressant parce que ça montre que la créativité ici s’universalise, c’est une chose à souligner. »
Pour ce poète et philosophe, ancien joueur de Scrabble, les performances des Ivoiriens s’expliqueraient par un « amour pragmatique » du français : « Dans un pays où il y a plusieurs langues, la langue française est un bon moyen de communication. Donc, je pense qu’il y a un amour utilitaire pour ainsi dire. Mais il y a aussi l’amour de l’art parce que les Ivoiriens performent en Scrabble, mais aussi en Slam et aujourd’hui ça paye. »
Un outil pédagogique
Mais dans un pays où environ une personne sur deux est analphabète selon le gouvernement, le Scrabble reste trop élitiste et réservé aux citadins, pour Josué Guébo. Autre problème : le manque de joueuses, quand deux tiers des illettrés ivoiriens sont des femmes. Pour corriger cela, la Fédération fait la promotion du Scrabble comme outil d’apprentissage de la langue française – Adrien Edoukou, joueur et professeur de lettres : « Les enfants n’arrivent pas véritablement à saisir le sens de certains cours et le Scrabble intervient pour leur apporter une formation d’appoint. Apprendre à jouer au Scrabble pour des enfants ça leur apporte beaucoup, c’est un outil pédagogique complet. »
La Fédération ivoirienne propose le jeu comme activité extrascolaire dans une vingtaine de collèges et de lycées cette année et peut-être détecter les futures stars du Scrabble francophone.
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