Démystifier le folklore, avec le Marocain Fouad Laroui

Mathématicien, ingénieur des ponts et chaussées, docteur en sciences économiques, le Marocain Fouad Laroui est aussi romancier. L’homme compte parmi les plus importants écrivains contemporains du royaume chérifien. Son nouvel opus « La Vie, l’Honneur, la Fantasia » qui fait partie des 484 romans prévus pour cette rentrée 2025, raconte l’histoire d’un assassinat clanique, perpétré pendant le déroulement d’une parade équestre folklorique. Ce drame interroge le sens de la mythologie de la fantasia. Fouad Laroui, son nouveau roman, son parcours sont au menu de Chemins d’écriture de ce dimanche.
Fouad Laroui a publié une dizaine de romans, plusieurs recueils de nouvelles, de la poésie, des livres pour enfants, de nombreux essais dont les sujets vont du totalitarisme religieux dans l’islam à la « bosse des maths », en passant par « le drame linguistique marocain ». De formation scientifique, l’homme est un auteur polyglotte, qui écrit des romans en français, de la poésie en néerlandais et des essais à la fois dans la langue de Voltaire et dans celle de Shakespeare. Partageant sa vie entre le Maroc qu’il a quitté à l’âge de 20 ans pour partir faire ses études en Europe, l’écrivain aime à répéter que ses romans lui permettent de garder le contact avec son pays natal, avec sa culture et sa société. « Écrire des romans, c’est ma manière de demeurer Marocain sans vivre dans ce pays », soutient-t-il.
Son nouveau roman illustre ses propos. La Vie, l’honneur, la fantasia s’ouvre sur la tenue d’une parade équestre folklorique, qui fait l’admiration des touristes au Maroc. Mais derrière le folklore se cache une organisation clanique, des allégeances familiales, des bizutages et parfois même l’instrumentalisation de la cérémonie par des puissants pour perpétrer des vengeances claniques, comme cela se passe dans l’histoire racontée dans ce roman.
Voici comment la quatrième de couverture résume le récit : « La troupe s’ébranle. Elle marche au pas, puis l’allure augmente et c’est le galop. Le chef lance un deuxième cri. Les cavaliers se dressent sur leurs étriers et brandissent haut leurs fusils. Le chef donne le troisième signal. De la buche de chaque fusil jaillit l’éclat de lumière et puis c’est la déflagration, une seule détonation faite de quinze autres, sinistre, effrayante, qui retentit dans le ciel. Arsalom se redresse, hagard, les yeux exorbités. Il porte la main à son cou, titube, pantin désarticulé à la chemise ensanglantée, fait quelques pas puis s’effondre au pied de la tribune. J’avais dix ans. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris pourquoi cet homme devait mourir ce jour-là – et de cette façon. »
Des chevaux richement carapaçonnés
Ce meurtre qui a entaché la belle parade est un défi pour l’état de droit que le Maroc moderne met en place. Le narrateur du récit est un très jeune adolescent. Il dit sa fascination devant l’apparat, les chevaux richement carapaçonnés, les cavaliers altiers en gandoura lançant leurs chevaux contre la tribune d’honneur en déchargeant leurs armes. Mais il est trop jeune pour comprendre le sens de ces rites immémoriaux et encore moins l’assassinat qui vient d’ensanglanter la cérémonie.
L’un des cavaliers a tiré à balle réelle faisant un mort parmi les notables de la tribune d’honneur. Il est question de crime d’honneur, couvert par tous les participants de la cavalcade. L’honneur du groupe est en jeu. Il y a en effet quelque chose de tribal, cru, brutal dans ce récit de vengeance médiévale où les hommes font justice eux-mêmes pour laver leur honneur. On découvrira l’enjeu et l’histoire en poursuivant la lecture de de bref roman, à la fois didactique et passionnant.
Rappelons seulement que la victime était loin d’être un ange. « Une petite frappe », écrit l’auteur, devenue un notable corrompu et vil qui faisait trembler l’administration et la police. Le roman raconte la lente montée dans la hiérarchie sociale de cet homme, qui s’est enrichi arrosant les responsables et profitant des failles dans l’État de droit.
Un écrivain engagé
Portraitiste engagé et radical, Fouad Laroui s’est imposé comme un observateur impitoyable des tares et des faiblesses de la société marocaine contemporaine. De livre en livre, il a bâti une œuvre de critique sociale, satirique à souhait, dénonçant l’obscurantisme et la corruption.
« Je suis un écrivain engagé. Je pense que c’est impossible de ne pas être engagé, quand on est artiste ou écrivain, en particulier écrivain. Il y a tellement de choses qui ne vont pas dans tous les pays arabo-musulmans. On le voit très bien avec les débats, et les crispations autour de l’islam. En réalité, les crispations autour de l’islam, c’est surtout autour de quelle forme d’islam veut-on ? Je pense que c’est une question individuelle. L’exploitation d’une religion à des fins politiques pour dominer les autres, non et non. Et de ce point de vue, je suis forcément un écrivain engagé. »
Cette vision combative de la littérature que revendique Fouad Laroui vient de loin. Les modèles en littérature de l’écrivain ont pour noms Voltaire, Diderot que celui-ci a découverts au lycée français de Casablanca où il a fait ses études secondaires dans les années 1970. Il est intarissable sur cette période qui lui a donné le goût de la lecture, mais regrette encore avoir été orienté par ses professeurs vers la filière scientifique, alors qu’il rêvait de faire une carrière littéraire. « Quand on est premier en mathématiques, on suit la voie royale jusqu’à Polytechnique », lui avaient répété ses professeurs. C’est ce que le jeune Laroui s’est employé à faire, sans toutefois jamais enterrer son rêve d’écrire.
Diderot ou rien
Le rêve deviendra réalité en 1996 lorsque, proche du quarantenaire, il publie son premier roman, Les dents du topographe. Ce premier roman sera couronné par le prix Découverte Albert-Camus. En trente ans de carrière littéraire, Fouad Laroui a donné une œuvre à nulle autre pareille, inventive, jouissive et profondément engagée. L’homme aime à rappeler sa dette aux années de lycée et aux grands maîtres de la littérature française au contact desquels il s’est forgé son propre art romanesque.
« En réalité, moi bien que je sois marocain, mes références littéraires ne sont pas absolument marocaines, explique l’auteur de La Vie, l’honneur, la fantasia. Mes références culturelles, elles viennent d’abord de l’adolescence au lycée, au lycée français de Casablanca, le lycée Lyautey. Et ces références-là sont des références de la littérature classique française. Par exemple, pour moi, quelqu’un qui a énormément compté, ce n’est pas très original, c’est Voltaire. L’une de mes autres références que je cite souvent, c’est Diderot. C’est ‘Jacques le fataliste’, c’est un livre qui a été pour moi un éblouissement parce que j’ai compris une chose qui est très importante, c’est la liberté du créateur, la liberté de ton, il y a constamment des digressions. Quand j’étais adolescent, j’avais l’intention de devenir écrivain, ça aurait été être Diderot ou rien. »
Récit parodique, riche en digressions, La Vie, l’honneur, la fantasia a, certes, quelque chose de l’art romanesque de Diderot, mais aussi peut-être du sémiologue français Roland Barthes, qui a puisé dans les mythologies de sa société le sens de son devenir.
La Vie, l’honneur, la fantasia, par Fouad Laroui. Mialet Barrault éditeur, 169 pages, 19 euros.