Cote d'Ivoire: Portrait – Jean-Eudes Kacou, le goût du terroir

À proximité des vastes champs traditionnels de cacao, café et d’hévéa de Tiassalé, le jeune homme défie les habitudes avec un trésor rare et parfumé : ses poivriers.
Un brouhaha peu commun agite la ville de Tiassalé d’ordinaire calme et tranquille. Ce 5 septembre, en effet, à la faveur du Festival national des fanfares qui se tient dans ladite ville, cuivres et percussions résonnent et entraînent les habitants dans une euphorie perceptible. Et pourtant, à quelques kilomètres du centre ville, un calme bucolique règne à peine troublé par le bourdonnement des insectes et le chant des oiseaux.
Non loin des grandes plantations qui épousent le relief relativement plat de la ville de Tiassalé et ses environs, Jean-Eudes Kacou, casquette vissée sur la tête et vêtu d’une surchemise, travaille au pied d’un arbre qui ne ressemble à aucun autre. Il ne s’agit ni d’un caféier ni d’un cacaoyer, ni d’un anarcadier non plus.
Comme tous les jours de la semaine, de 8 heures à 16 heures, le jeune homme d’un peu plus de 40 ans est dans sa plantation pour examiner ses poivriers d’une variété rare, aux fruits dorés et dont la culture est son secret bien gardé.
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« C’est mon père qui m’a mis le pied à l’étrier. Comme beaucoup de gens de sa génération, il avait parallèlement à ses fonctions de haut cadre de l’administration publique, un champ qu’il cultivait les week-ends et pendant ses congés. Donc tout jeune, il nous a inculqué l’amour de la terre. Après des études et quelques années de travail dans une multinationale, j’ai décidé de revenir continuer l’oeuvre de mon père », confie-t-il, les mains quelque peu abîmées par des années de travail de la terre.
Produit de terroir
Jean-Eudes qui a hérité de son père d’une dizaine d’hectares de terre arable entend faire reconnaître le poivre de Tiassalé comme un produit de terroir. En obtenant le fameux label Aoc produit (Appellation d’origine contrôlée Ndlr). Le quadragénaire choisit de sortir des sentiers battus avec une innovation radicale dans cette région où l’on privilégie les plantations de produits de rente. Si au départ, sa décision a suscité réserve et scepticisme de ses proches, aujourd’hui, avec ses résultats, il se révèle être un visionnaire.
« On m’a traité de fou. Beaucoup se sont demandé comment j’ai pu prendre le risque de quitter un poste confortable dans une multinationale pour choisir la terre. Moi j’avais en tête de ne pas laisser à l’abandon la plantation de mon père », explique-t-il en inspectant avec un soin infini la qualité de ses fruits. Son verger produit du poivre d’une qualité exceptionnelle, prisée par les chefs et les épiceries fines du pays et les fins gourmets.
Dans sa plantation dont la récolte annuelle est d’environ 3 tonnes, les lianes poussent sur des tuteurs vivants. Et les branches cassées ainsi que les feuilles mortes restent au sol pour conserver l’humidité et régénérer la terre. Ici aucune chimie, les fertilisants sont naturels et les pesticides prohibés. Jean-Eudes envisage d’aller plus loin. Mais, cela exige beaucoup de travail.
En effet, les lianes de ses poivriers nécessitent un entretien régulier et de la patience. « Le poivrier commence à produire des fruits après trois ou quatre ans. Et la récolte a lieu quand les grappes de poivre sont arrivées à maturité. Elle se fait manuellement, grappe par grappe, pour garantir une qualité optimale», nous informe-t-il.
Son activité, loin de concurrencer les cultures traditionnelles comme le cacao ou le café, les complète. « La diversité des cultures pourrait permettre au sol de se régénérer, et les revenus supplémentaires pourraient assurer la sécurité financière des familles de la région, leur permettant même d’investir dans des méthodes de culture plus durables », déclare-t-il convaincu que le poivre a de l’avenir dans cette région.
Militant prosélyte
Depuis quelques années, Jean Eudes s’est assigné la mission de convertir les agriculteurs de sa localité en cultivateurs de poivre parallèlement à leurs autres cultures. En militant prosélyte du poivre, il part régulièrement à leur rencontre pour tenter de les convaincre. « Il y en a qui sont réceptifs et d’autres qui le sont moins. Vous savez, ce n’est pas facile de rompre avec les habitudes », concède-t-il.
Pourtant, son discours est convaincant, car le poivre est une culture rentable. « Le kilo se vend jusqu’à 6000 francs Cfa, mais il faut le transformer », révèle-t-il. Alors que le marché ivoirien est encore dominé par le poivre importé, de moindre qualité, Jean-Eudes mise sur la transformation de son produit pour le faire découvrir.
« En Côte d’Ivoire, les ménages qui ne connaissent pas encore bien notre poivre achètent celui qui est importé. Or celui là est de moins bonne qualité. Le nôtre est bien meilleur », dit-il avec une pointe de fierté.
Pour faire connaître son poivre, ce jeune agriculteur ne se contente pas de le cultiver. Il a, en effet, opté pour la transformation. « Nous faisons des assaisonnements, une moutarde à base de poivre frais, des biscuits, des cacahuètes, etc. On peut faire une variété de produits à base de poivre. Les gens sont assez surpris chaque fois qu’on leur présente nos produits », affirme Jean-Eudes qui parle avec une gourmandise contagieuse de notes florales, épicées, boisées ou légèrement sucrées.
« Chaque poivre a ses spécificités gustatives. Qu’il soit noir, rouge, vert ou blanc, on peut utiliser le poivre différemment pour assaisonner tel ou tel type de repas », explique-t-il avec une passion qui révèle un lien profond avec son travail. Si sa plantation de 10 hectares n’est exploitée qu’à 80% de son potentiel, Jean-Eudes entend accroître sa production. Avec l’aide de ses quatre ouvriers agricoles et la quinzaine d’autres qui viennent lui prêter main forte lors des récoltes.
Ainsi que les conseils des ingénieurs agricoles. « Je me documente énormément sur les moyens d’accroître mes récoltes et je consulte régulièrement les experts », dit-il le regard résolument tourné vers l’avenir ; un avenir où les saveurs de Tiassalé s’inviteront sur toutes les tables du pays et d’ailleurs.
Sous la marque Kapécé, phonétisation des initiales de son défunt père (Kpc), Jean-Eudes, petit gabarit s’autorise à rêver : « J’espère qu’un jour, toutes les maisons du pays auront dans leur cuisine du poivre de Tiassalé pour relever la saveur de leurs plats. Il faut rêver grand », lâche-t-il avec un grand sourire, la promesse d’une Côte d’Ivoire agricole plus diversifiée et plus riche en saveur.



